Mali : en attendant l’accès humanitaire

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Plus de deux semaines après le début des bombardements, bientôt suivis de combats, dans le Nord Mali, l’accès humanitaire n’est toujours pas assuré. Les ONG et les Nations unies crient au scandale…

Les humanitaires étaient déjà présents dans le Nord. Mais pas forcément sur les zones de combat. Depuis le début des hostilités, leurs activités ont par surcroît été sensiblement réduites : problèmes de déplacement, pour les populations comme pour les staffs, problèmes de sécurité, bien sûr… Les programmes ruraux sont stoppés, les populations les plus éloignées sont isolées, on peine à trouver les déplacés qui cheminent –« on continue de chercher » dit un humanitaire… Bref, deux problèmes se posent : la sécurisation des zones de combat, pour soigner les blessés en urgence, et la sécurisation des routes, notamment du seul grand axe qui relie le Sud au Nord, en passant par Bamako et Mopti. Là, la nécessité, c’est de ravitailler les équipes, en matériel comme en homme, et d’assurer l’acheminement de nourriture. Car, pour le moment, cette route est coupée par l’armée malienne. Les voix d’accès côté Algérie sont bouclées : dommage, c’est de là que venaient l’essentiel des commerçants qui approvisionnaient le Nord. Reste la route du Niger : pas pratique et pas durable, une offensive est en préparation sur ce front. Du coup, le mil a augmenté de 40% en huit jours dans la ville de Gao, les organisations humanitaires parlent de pénurie… Bref, c’est un gros problème, qui mêle bras arrachés et ventres creusés, et c’est celui de l’accès humanitaire dans le Nord Mali.

 « Aucun rendez-vous refusé »

David Gressly est le Coordinateur humanitaire régional pour le Sahel des Nations unies. Pour lui, l’accès humanitaire est fondamental. Non seulement pour identifier et répondre aux besoins des populations, mais aussi pour avoir sur place des équipes susceptibles de témoigner et d’éviter la propagation de rumeurs sur la réalité des combats. « On cherche à avoir cet accès », confirme-t-il avec conviction, à l’issue d’un périple de trois jours dans la capitale malienne, où il est passé de bureaux en bureaux pour plaider sa cause. « J’ai vu beaucoup de monde », souffle-t-il en souriant, comme si ce marathon  avait été plus épuisant qu’efficace…

Paris est sur la même ligne, qui a toujours soutenu la nécessité de garantir l’espace humanitaire, pour le bien être des populations civiles. David Gressly a-t-il obtenu des garanties de l’armée française, qui mène les opérations sur le terrain ? « Je n’utiliserais pas le mot « garanties »… C’était une discussion, on va trouver un moyen pour travailler avec eux. Mais ce n’est pas à eux de garantir cet accès, poursuit-il, c’est à nous et au gouvernement malien d’y travailler. » Et de conclure avec un optimisme rassurant : « c’est en cours… » « Il faut être juste, plaide à sa suite Valentin Tapsoba, représentant régional du HCR, l’agence onusienne en charge des réfugiés, l’armée malienne coopère. » La preuve : « aucun rendez-vous ne nous a été refusé. » Si ça c’est pas de la bonne volonté… « C’est sûr que notre temps n’est pas le leur, concède-t-il malgré tout, donc on doit mettre la pression. »

 Un papier tamponné pour aller sous les bombes

Les Maliens seraient donc trop mous, trop longs à la détente. C’est aussi la position de MSF, Médecins sans frontières, qui a réclamé pendant près d’une semaine l’accès à la ville de Konna, le premier théâtre des affrontements, où tout a commencé, le 11 janvier dernier. « Depuis le début de l’offensive des forces maliennes et françaises, nous ne pouvons plus traverser les lignes de front malgré notre neutralité, » s’insurgeait l’ONG française jusqu’à ce que, jeudi 24 janvier, l’autorisation soit finalement accordée. Grâce à un intense travail de plaidoyer face à des interlocuteurs qui, vraiment, ne voulaient pas donner l’accès ? La question est délicate. « De l’avis de nos interlocuteurs, certaines zones ne sont pas encore totalement sécurisées, explique Valentin Tapsoba, du HCR, je ne peux pas exposer nos équipes. » Et MSF ne le pouvait pas non plus.

Lucile Grosjean, d’ACF (Action contre la faim), ne voit quant à elle aucune mauvaise volonté du côté de Bamako : « On a toutes les autorisations pour circuler. Pourtant,  c’est vrai que d’habitude on arrive à passer plus rapidement…» 

Un autre humanitaire, qui préfère ne pas dire pour qui il travaille, s’énerve carrément : « on ne va pas te donner un papier tamponné pour aller sous les bombes ! »

Si l’on peut à la limite comprendre, à MSF, que l’accès à la ville de Konna ait été compliqué pendant les bombardements, on digère moins le fait d’avoir dû attendre encore trois jours  avant de pouvoir y envoyer deux médecins et deux infirmiers, actuellement sur place. Ils sont cinq à Douentza. Et MSF aimerait bien pouvoir envoyer des renforts.

« C’est la guerre, c’est compliqué »

Mais il y a aussi ceux pour qui l’on ne peut pas reprocher à une armée qui vient de se prendre une dérouillée de ne pas être en mesure d’assurer la sécurité des convois humanitaires. «Je ne dis pas que c’est inadmissible, je dis que c’est la guerre et que c’est compliqué, analyse un dernier humanitaire qui, lui aussi, préfère rester anonyme. Il ne s’agit pas de taper sur l’armée malienne.» Sur les Français alors ?

Reste que les problèmes d’accessibilité ne sont toujours pas résolus, et que même les plus compréhensifs commencent à s’impatienter. « On est très inquiets pour les populations, se désole encore une fois Lucile Grosjean, d’ACF. Il faut qu’on retrouve cet accès aux populations, que les routes soient rouvertes et sécurisées le plus vite possible ! C’est en cours », paraît-il.

Mali : Premier bilan de la situation des droits humains après trois semaines de combats – Rapport d’Amnesty international

David Baché

David Baché

David Baché est journaliste indépendant.