Envoyé spécial… Seule une dizaine d’organisations humanitaires travaillent dans le Nord Mali… Six mois après le début d’affrontements à l’origine d’une crise alimentaire et sanitaire, les acteurs présents racontent les conditions d’intervention… et dénoncent les -mauvaises- raisons d’une mobilisation jugée trop faible.
« Après les premières offensives du mois de janvier, toutes les ONG présentes se sont retranchées à Gao, Tombouctou ou dans d’autres centres urbains. Les ONG, les petites comme les grosses, ont évacué le terrain par mesure de prévention. Puis, après la grosse offensive qui a suivi le coup d’Etat du 22 mars, toutes les ONG ont été pillées, de même que les centres administratifs et les autres institutions. Par les groupes armés, par la population… Toujours est-il que les ONG ont évacué la zone et que, depuis, presque personne n’est remonté ! On entend des discours complètement faux sur les difficultés d’accès, qui ont été entretenu par les organisations internationales et par les politiques occidentaux. Mais depuis le début, nous, nous n’avons subi aucun braquage, aucune menace et nos camions sont toujours passés. Le fantasme de non accès, c’est faux ! »
José, humanitaire, travaille au Mali. C’est le nom que nous donnerons à tous ces acteurs du monde humanitaire présents au Mali qui ont accepté de répondre à Grotius mais qui n’ont pas voulu être cités. Parce qu’ils ne veulent pas critiquer ouvertement leurs confrères. Ils estiment cependant que leur message est important : dire qu’il est possible de travailler dans le Nord Mali, dire que les besoins sont immenses. Aussi parlerons-nous de José au pluriel… José, c’est à dire eux bien présents, sur le terrain. Et qui donc entendent garder l’anonymat. Et qui parlent aussi des absents…
« L’accès est là »
Les premières opérations militaires des rebelles touaregs dans le Nord Mali remontent à janvier dernier. Depuis des combats ont eu lieu, l’indépendance de l’Azawad a été proclamée, la région a été le théâtre d’exactions diverses et ce sont à présent des groupes islamistes, pour certains des terroristes preneurs d’otages, qui se la partagent. « L’accès est là, tranche pourtant Frédéric Sizaret, représentant adjoint de l’Unicef au Mali. Active dans le Nord depuis début avril, l’Unicef a envoyé plus de vingt camions, représentant 140 tonnes de matériel, dans les trois régions de Gao, Tombouctou et Kidal. On n’a pas de route bloquée avec une frontière étanche entre le Nord et le Sud, les mouvements sont possibles. L’accès aux populations n’est pas phénoménal mais plus il y aura d’acteurs dans le nord, plus on pourra l’élargir. »
« On peut travailler dans le nord », confirme Sébastien Lemaire, coordinateur général de MDM-Belgique dans le pays. Cette organisation médicale est implantée depuis plus de dix ans à Kidal, Gao et Ménaka où elle mène des programmes adressés aux populations nomades et, depuis crise, aux démunis, aux déplacés et aux enfants. Une vingtaine de structures, 3000 consultations hebdomadaires. « Depuis le début de la crise, nous n’avons jamais quitté la zone. » « Cet accès est et a toujours été possible », dit encore Guillaume Baret, représentant au Mali de l’ONG Alima. Cette jeune ONG a participé à la remise en service de l’hôpital de Tombouctou, mis en place des cliniques mobiles, soutenu des centres de santé communautaires et lancé une campagne de vaccination.« Il n’y a pas tant de difficultés que ça, poursuit Guillaume Baret. Après les premières offensives, au mois d’avril, il y a eu des gaps en médicaments et en matériel divers, mais ça fait déjà plusieurs mois que nous n’avons plus ce problème. Aujourd’hui, ce qui manque, ce sont des acteurs. »
Un manque d’acteurs que José, « eux », ne comprennent pas : « Je trouve ça bizarre, je ne m’explique pas qu’après autant de temps il y ait toujours si peu d’acteurs. Je pense que le Mali était surtout un terrain calibré pour le développement, pas pour les situations d’urgence, et que les gens qui se trouvaient sur place n’étaient pas prêts à faire face. Au Mali, c’était du développement bisounours, alors tout le monde a été surpris, pris au dépourvu. Il y a ceux qui dramatisent le contexte, et il y a aussi ceux pour qui ce contexte ne relève pas assez de l’urgence. Les besoins sont classiques, comme les soins palu, alors ça les intéresse moins. »
« Comme avec des autorités classiques… »
Pourtant, la nature des groupes qui contrôlent actuellement la zone incite rapidement à penser que toute intervention est compliquée. Eh bien c’est le cas. Mais pas davantage que sur la plupart des terrains d’urgence, où des contacts sont nécessairement établis avec toutes les parties prenantes. « Ces groupes sont présents au quotidien, donc forcément on les rencontre, raconte Guillaume Baret. Mais on fonctionne avec eux comme avec des autorités classiques. On n’a jamais eu de difficulté pour accéder aux bénéficiaires, de la part d’aucun de ces groupes. Il y a des zones où nous ne sommes pas allés, mais il s’agit davantage de contraintes liées à nos propres capacités. » Même constat du côté de Sébastien Lemaire, de MDM : « Ils savent que nous sommes là depuis longtemps, que nous aidons la population et que nous sommes acceptés, donc ils nous laissent agir. Pour l’instant, nous n’avons pas été ennuyés de ce côté-là. »
Derrière le camion chargé de Plumpy’ Nut, une barre aux arachides destinée aux malnutris, José lèvent la main. Il veulent parler plus fort : « Pour travailler quelque part, il faut négocier avec les différentes parties. C’est comme ça dans tous les pays. Mais dans ce cas précis, certaines organisations, en particulier les Nations unies, ne veulent pas trop se mouiller. Elles sont frileuses. A mon sens, ici, la démarche n’est pas vraiment amorcée, ça reste à l’état de parole. Normalement, c’est Ocha qui est chargée de coordonner l’aide aux déplacés : ils sont seulement en train de se mettre en place ! Six mois après le début de la crise, il y a un gros retard ! «
Pas d’occidentaux
Ce qui ne signifie évidemment pas que les humanitaires ne subissent aucune contrainte. La première est de taille : l’impossibilité d’envoyer dans le Nord des expatriés occidentaux, qui risqueraient aussitôt de se faire enlever. Alima a donc choisi de travailler avec des habitants de la région : « On travaille dans le Nord avec des équipes qui sont dans la grande majorité issues de la région de Tombouctou, explique Guillaume Baret. Dans certains cas nous les avons trouvés sur place, dans d’autres nous les avons fait revenir. Je pense que notre équipe est à l’image de la pluralité ethnique de cette zone. » D’autres organisations, la plupart, emploient également des expatriés africains ou des Maliens venus du sud du pays.
Une possibilité que ne s’autorisent même pas les agences humanitaires des Nations unies, soumises à une règle très stricte : aucun staff dans le Nord, quel qu’il soit. L’Unicef ou encore le Pam passent donc systématiquement par les organisations déjà présentes. « Cela implique que nous travaillons de Bamako en ‘remote control’, à distance, avec une télécommande, explique Frédéric Sizaret. C’est une difficulté mais nous sommes habitués à ce type de situation, cela ne nous empêche pas d’intervenir en Somalie ou en RDC. » Quant aux dispositifs de sécurité mis en place pour les protéger : « Ce sont des choses que nous ne dévoilons pas, » coupe net Sébastien Lemaire, de MDM. Question de sécurité, justement. Une raison invoquée parfois par de nombreuses organisations pour ne pas accorder d’entretien – MSF, Handicap international, ACF…
Problèmes logistiques
Toutes ces organisations rencontrent aussi d’autres difficultés concrètes, qui ne sont pas liées au contexte sécuritaire. Notamment celle de parvenir à couvrir un territoire grand comme deux fois la France. « La superficie est immense, souligne Sébastien Lemaire, de MDM, et la population nomade est très éparpillée. Nous avons mis en place des équipes mobiles qui sillonnent la zone, mais logistiquement c’est une difficulté. » « Plus on s’éloigne du fleuve vers le nord, plus la densité de population est faible et donc l’intervention compliquée, précise Guillaume Baret, d’Alima. La saison des pluies complique aussi l’accès car certaines zones inondables se retrouvent isolées. »
Un risque épidémique de rougeole et de choléra a été décelé, avec des cas déclarés entre Gao et la frontière nigérienne. Un risque jusqu’ici maîtrisé mais une nouvelle fois, c’est l’absence des collègues qui est pointée : « Certains sont positionnés, s’alarme Frédéric Sizaret, de l’Unicef, mais si demain l’épidémie dépasse Gao et se rapproche de Tombouctou, on manquera d’acteurs pour se positionner. On essaie d’anticiper, mais la mobilisation reste assez faible. »
José, eux, attend là mais il n’a pas les bras croisés. Il fut bien faire le boulot. Regardant de loin les autres s’affairer, il a aussi très hâte d’arriver. C’est prévu, annoncé, mais il attend toujours.
L’aide détournée du Pam
Aux mois de mai et juin, le Pam (Programme alimentaire mondial, agence onusienne) confie des chargements d’aide au HCIM (Haut conseil islamique du Mali). « Une grande partie de l’aide a été déléguée aux groupes armés, confient José. Les agences des Nations unies savaient que c’était détourné ! Le Pam a filé de la bouffe au HCIM qui l’a refilée à Ansar Dine et tout le monde le savait! »
Démenti du représentant du Pam à Bamako, Moumini Ouédraogo : « Ce ne sont que des rumeurs. Nous en avons parlé avec eux (le HCIM, ndlr) et ils nous ont décrit point par point comment ils avaient acheminé les vivres. Bien sûr, ils ne sont pas allés directement dans chaque village, mais ce sont des représentants des communautés qui se sont déplacés à Gao pour venir les chercher. » Moumini Ouédraogo tient quand même à expliquer la démarche : « Dans un premier temps, immédiatement après le début de la crise, le HCIM était le seul acteur présent. Il avait mobilisé ses propres réseaux pour acheminer la nourriture et nous avons fait avec eux un test. Il n’y avait personne d’autre, c’était le seul recours possible. »
« L’enfer est pavé des meilleurs intentions du monde, justifie Frédéric Sizaret, de l’Unicef, pour venir en aide aux collègues qu’il n’a pas cités. « Il faut faire très attention à respecter certaines procédures, on ne s’improvise pas du jour au lendemain acteur humanitaire. Sinon, on prend le risque de se faire récupérer par des acteurs et de voir l’aide détournée. »
Depuis ces deux « convois-tests », le Pam ne travaille plus avec le HCIM.
Débat sur un convoi militaire armé pour acheminer l’aide
Le convoi n’est pas passé loin. Heureusement, il a été stoppé en route. Depuis le mois d’avril jusqu’à « il y a quelques semaines », les réunions des humanitaires présents au Mali étaient le théâtre d’un débat sensible : faut-il travailler avec des militaires en armes pour acheminer l’aide dans le Nord ?
« Ca a été débattu, confirment José, mais ça a été un gros couac. Heureusement, les Nations unies ont fait marche arrière. Elles avaient lancé ça comme un pavé dans la mare, mais ça aurait éclaboussé tout le monde. Les ONG s’y sont opposées. » Et s’ils s’indignent tous, ils ne sont pas à l’abri de contradictions : « tout le monde voulait un corridor humanitaire, dénonce-t-il, et tout le monde justifiait même une intervention militaro-humanitaire ».
« Le risque de la confusion humanitaire/militaire est une ligne rouge à ne pas franchir », rappelle-t-il, évoquant les sacro-saints principes de neutralité et d’indépendance qui permettent aux ONG de se présenter partout dans le monde sans être assimilées à un pays, à un parti ou… à une force militaire. « D’ailleurs, si tu envoies un convoi armé dans cette zone, c’est perçu comme une provocation ! Ca crée encore plus d’emmerdes : au lieu de réduire le risque, ça l’augmente. »
Aujourd’hui, la perspective d’une intervention militaire dans le Nord se rapproche de plus en plus. Les organisations internationales se sont déjà adressé aux responsables politiques et militaires du Mali et des pays voisins pour leur demander de garantir l’accès à un espace humanitaire -en résumé: « battez-vous mais laissez-nous bosser ». Il n’est cependant plus, à ce jour, question de collaboration directe.
David Baché
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