Enlèvement d’humanitaires nationaux dans le nord du Mali : une nouvelle donne ?

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Distribution alimentaire à Tombouctou © David Baché
Distribution alimentaire à Tombouctou © David Baché

Au Mali, on est toujours sans nouvelles des cinq humanitaires maliens enlevés le 8 février dans le nord du pays. Le Mujao (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest), a revendiqué l’enlèvement de l’équipe qui travaillait pour le CICR (Comité international de la Croix rouge). Un enlèvement qui remet en question les conditions d’accès aux populations du Nord.

Il y a ceux qui n’ont rien changé à leur dispositif, parce qu’il est encore trop tôt, et parce que les conditions dans lesquelles les cinq humanitaires du CICR ont été enlevés le 8 février dernier restent encore floues. « On écoute, on regarde ce qui se passe, explique Christian Munezero, responsable des programmes humanitaires pour Oxfam, mais le dispositif opérationnel est resté le même. » L’ONG mène des programmes d’assistance alimentaire et de soutien agricole dans la région de Gao.  » Nous avons des programmes en cours, et nous devons rester auprès de nos bénéficiaires, surtout en ce moment, avec une crise alimentaire qui menace. Mais nous restons attentifs aux signaux du contexte d’opération ».

Mouvements restreints

Mais il y a aussi ceux qui ont réagi très vite, et qui ont adapté en urgence leurs dispositifs de sécurité. Hélène Quéau est chef de mission de Solidarités International, une ONG qui mène des interventions d’assainissement, d’accès à l’eau et de sécurité alimentaire dans les régions de Kidal, Tombouctou et le long du fleuve Niger. « Nous avons des équipes qui circulent sur les axes entre Kidal et Gao », pointe Hélène Quéau. Or c’est justement sur la route qui relie ces deux villes que les cinq humanitaires de l’équipe du CICR ont été enlevés. « Nous ne faisons plus de mouvements terrestres sur ces axes, poursuit Hélène Quéau, nous privilégions les transports aériens mis à la disponibilité des humanitaires » (par les Nations unies, ndlr). Et dans la région de Kidal, nous limitons les mouvements des équipes sur certaines des zones où nous pourrions être confrontés à ce type d’incidents. »

Et de préciser qu’il ne s’agit que de mesures de court terme, le temps d’analyser la situation.
Même réaction du côté de Médecins sans frontières, présente dans la région de Tombouctou. « On a fait une restriction de mouvements sur l’axe Tombouctou-Nyafunké, explique Alpha Diallo, coordinateur médical MSF pour le nord du Mali. On a aussi diminué l’équipe qui est sur le terrain, passant à sept personnes au lieu de onze-douze habituellement. Jusqu’à présent, analyse Alpha Diallo, les organisations ne se sentaient pas menacées. Mais à partir de maintenant, ça donne beaucoup à réfléchir. On commence à se poser beaucoup de questions, même pour le personnel expatrié africain. »

Personnels « non visibles »

Jusqu’à présent, les organisations humanitaires ont toujours pu travailler dans le nord du Mali : malgré des difficultés ponctuelles, et même pendant la période d’occupation, les groupes armés ont toujours accepté leur présence, mais uniquement celle de Maliens ou d’expatriés africains, les Occidentaux courant le risque d’être pris en otage. L’enlèvement de l’équipe malienne du CICR marque-t-elle un tournant ? Le recours à ces « personnels non visibles », comme on les désigne dans le jargon humanitaire, est-il dorénavant une stratégie caduque ? « Non, il est trop tôt pour tirer des conclusions », affirme avec véhémence Franck Vannetelle, chef de mission d’Action contre la faim. L’ONG travaille dans la région de Gao, avec des salariés en majorité issus des communautés locales, ainsi qu’avec des expatriés africains. « Le temps est à l’analyse, à la concertation, à l’échange, plaide encore le chef de mission, pour voir s’il s’agit d’un phénomène isolé ou d’un phénomène qui pourrait se reproduire. Pour le moment, on reste à l’écoute, en observation ». « Ce qu’on retire pour le moment de l’incident, dit encore Hélène Quéau, de Solidarités International, c’est davantage une nécessité de prudence, le temps de mieux comprendre ce qui s’est passé et les risques auxquels nos équipes pourraient être exposées. Nous ne voulons pas tirer de conclusions trop hâtives. »

Le ton est mesuré, personne ne souhaite dramatiser un évènement dont les paramètres ne sont pas tous connus et dont l’issue reste incertaine. Mais toute la communauté humanitaire du Mali scrute avec inquiétude la suite des évènements, d’abord parce que la vie de cinq personnes est en jeu, et ensuite parce qu’il en va des conditions d’accès à toutes les populations vulnérables du nord du Mali.

Incertitudes sur le ciblage de l’équipe du CICR

L’équipe du CICR (Comité international de la Croix rouge) enlevée le 8 février est composée de quatre employés du CICR, et d’un vétérinaire qui travaillait avec eux. Tous sont Maliens.
Leur voiture circulait dans la région de Gao. L’enlèvement a été revendiqué deux jours plus tard par le Mujao.
Les ravisseurs ont-ils planifié l’enlèvement ? Savaient-ils que le véhicule du CICR était de retour d’une mission à Kidal et qu’il serait une proie facile ? Les ravisseurs, qui préfèrent habituellement cibler les Occidentaux bien plus rentables dans le cadre d’une demande de rançon, comptent-ils à présent faire payer les organisations internationales en enlevant également leurs ressortissants nationaux, ou ont-ils simplement profité de l’occasion qui se présentait ?
En effet, il se peut également que l’équipe du CICR ait été enlevée à la faveur des affrontements intercommunautaires sanglants qui ont opposé, au cours du même week-end et dans la même région, des membres de l’ethnie peule à des Touaregs. Selon de nombreuses sources, les combattants peuls comptaient dans leurs rangs des jihadistes du Mujao. Si rien ne permet de l’affirmer, il est donc également possible que des combattants peuls du Mujao, impliqués dans ces affrontements, aient surpris la voiture du CICR. Circonstance aggravante : sur les cinq membres de l’équipe du CICR, quatre sont des Touaregs.

David Baché

David Baché

David Baché est journaliste indépendant.