Un mois après le passage du tsunami qui a touché des millions de personnes dans l’océan Indien en décembre 2004, 168 pays ont signé un plan d’action de 10 ans afin de rendre le monde plus sûr face aux catastrophes naturelles. Pourtant le plan, le Cadre d’action de Hyogo (CAH) pour 2005-2015 s’est attaché dans un premier temps à « ce qu’il faut faire pour prévenir les catastrophes, mais pas assez sur la façon de le mettre en oeuvre », déclare Neil McFarlane, coordinateur en chef en charge de tous les programmes régionaux au Bureau des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNISDR).
Les pays ont depuis commencé à débattre d’un plan d’action de suivi, le Cadre d’action de Hyogo 2 (CAH2). Les résultats de ces débats, une première version du CAH2, seront présentés lors de la 4e Session de la Plateforme mondiale pour la réduction des risques de catastrophes, qui a débuté à Genève le 19 mai.
Une première version sera disponible fin 2014 afin d’être examinée et adoptée lors de la Conférence mondiale sur la réduction des catastrophes au Japon en 2015.
Le CAH2 devra prendre en compte un certain nombre de risques émergents et d’inquiétudes. Si le CAH a aidé les pays à réduire le nombre de pertes en vies humaines, les conséquences économiques des catastrophes naturelles ne cessent d’augmenter. Pour la troisième année consécutive, le coût total des catastrophes naturelles dans le monde a dépassé la barre des 100 milliards de dollars par an, selon des données rendues publiques en mars 2013 par le Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres (CRED) basé à Bruxelles.
De plus, les risques de catastrophes changent. Les effets du changement climatique devraient intensifier et augmenter la fréquence des phénomènes extrêmes, notamment des inondations, des sécheresses et des cyclones. Les populations urbaines sont en augmentation, tout comme la demande alimentaire, ce qui accentue la pression sur des ressources telles que la terre et l’eau.
Responsabilisation
Les spécialistes s’interrogent sur la façon de développer la responsabilisation dans l’élaboration du CAH2. « Nous avons un cadre avec des options pour développer des plans en cas de catastrophe dans le cadre de Hyogo, mais comment faire en sorte que les gouvernements, les organisations… les appliquent », a déclaré à IRIN Tom Mitchell, dirigeant du programme sur le changement climatique à l’Institut de développement d’outre-mer (Overseas Development Institute, ODI).
M. Mitchell affirme que l’une des principales faiblesses du CAH est son incapacité à garantir que les politiques de réduction des risques de catastrophes (RRC) « bien élaborées » soient vraiment appliquées. Comme l’accord est volontaire, il n’y a pas de sanctions prévues en cas de non-application des mesures mises en place pour protéger les citoyens.
« Comme c’est [le CAH] volontaire, nous devons nous poser la question de son efficacité », a souligné Frank Thomalla, directeur de recherche à l’Institut pour l’environnement de Stockholm (SEI) en Asie.
La question de savoir si le monde devrait envisager un traité de prévention des catastrophes juridique assorti de sanctions.
L’échéance du nouveau plan est significative pour la communauté mondiale. En effet, 2015 marque également la fin des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), ainsi que l’éventuelle mise en ouvre de nouveaux Objectifs de développement durable (ODD) qui sont toujours débattus. Un nouveau rapport sur la façon de répondre et de s’adapter au changement climatique devrait aussi être mis en place à cette période. Les organisations d’aide humanitaire et les groupes de réflexion appellent la communauté mondiale à prendre en compte les synergies dans les processus d’élaboration des politiques.
De nombreux observateurs posent maintenant la question de savoir si les politiques de RRC doivent inclure un volet juridique sur le climat, ce qui pourrait garantir leur application. Les activités de RRC menées par les pays sont de plus en plus considérées comme faisant partie des plans d’adaptation au changement climatique et sont financées comme telles.
Or, il n’y a pas de réelle volonté d’établir un traité juridique sur la RRC, d’après M. McFarlane de l’UNISDR.
Harjeet Singh, coordinateur international pour la RRC et l’adaptation au changement climatique (ACC) à ActionAid, affirme qu’il ignore si un traité juridique « amènerait un changement radical. Après tout, nous avons pu constater que la Convention cadre [des Nations Unies] sur les changements climatiques (CCNUCC) n’avait pas atteint son objectif au cours des vingt dernières années ».
En outre, l’accord sur le changement climatique ne s’intéressera pas aux phénomènes géophysiques tels que les tremblements de terre et autres déclencheurs de catastrophes naturelles éventuelles non liés au climat, a-t-il ajouté.
Cette réalité, alliée aux différents facteurs économiques et sociaux qui contribuent aux risques de catastrophes, remet en cause la nécessité de concevoir la RRC, l’ACC et le développement d’un point de vue purement climatologique, a déclaré à IRIN par courriel M. Thomalla du SEI.
Mais le Cadre de Cancún pour l’adaptation, adopté par les pays à l’occasion de la CCNUCC élaborée au Mexique en 2010, exhorte les pays à appliquer le CAH, donc cela en fait un engagement plus ferme à l’égard du changement climatique, affirme M. McFarlane de l’UNISDR.
Prendre des mesures
Dans le cadre du CAH, les pays doivent rendre compte de la façon dont ils mettent en oeuvre les stratégies et les politiques de RRC. Mais dans quelle mesure « ces données sont-elles fiables ? », a demandé M. Thomalla. « Jusqu’à quel point les gouvernements peuvent-ils ‘manipuler’ les informations afin de faire croire qu’ils agissent ? »
Ainsi, un pays peut déclarer qu’il a établi un système d’alerte précoce pour réduire la vulnérabilité face aux risques. « Mais comment pouvons-nous être sûrs que le système fonctionne ? que les gens savent comment réagir en cas d’alerte ? », a déclaré M. Thomalla.
Il n’y a pas de réelle ligne directrice prévue par le CAH, comme il n’y a pas d’objectifs spécifiques à suivre pour les pays, a affirmé M. Singh.
« Les objectifs et les échéances pour la mise en application doivent être pertinents et réalistes pour chaque pays, et décidés en concertation avec de multiples parties prenantes », a souligné M. Mitchell dans une note d’information co-écrite avec sa collègue, Emily Wilkinson.
M. McFarlane et M. Mitchell estiment que le développement d’un mécanisme d’examen par les pairs, qui vient d’être adopté dans certains pays développés, serait un moyen efficace de faire respecter le traité par les pays.
La dirigeante de l’UNISDR, Margareta Wahlstrom, a déclaré qu’il y avait eu un changement de mentalité depuis le CAH. « Les signes les plus visibles de ce changement peuvent se résumer au fait que 121 pays ont promulgué une législation visant à réduire l’impact éventuel des catastrophes, et que 56 pays enregistrent des données nationales sur les pertes liées aux catastrophes, ce qui illustre le fait de plus en plus reconnu qu’il ne peut pas y avoir de gestion des risques sans mesurer les pertes occasionnées par une catastrophe ».
La note d’information de M. Mitchell de l’ODI suggère « une approche basée sur les droits de l’homme, selon laquelle les pays s’engagent à respecter, à protéger et à mettre en oeuvre les droits de l’homme fondamentaux, notamment le ‘droit à la sécurité’ des populations vulnérables exposées aux dangers ».
Cette suggestion est bien accueillie. M. Singh affirme que « la législation visant à garantir la sûreté et la sécurité est une première étape importante », mais qu’elle doit être appliquée efficacement, jusqu’au niveau communautaire, et prendre en compte la parole des femmes et des pauvres, a-t-il ajouté.
M. Thomalla affirme qu’une approche fondée sur les droits pourrait être efficace dans la RRC « car de nombreux facteurs de vulnérabilité sont dus à l’inégalité et à la marginalisation, ce qui signifie que certaines régions et groupes sociaux sont plus vulnérables que d’autres face aux risques et sont plus fortement touchés par leurs impacts ».
Mais, une fois encore, la création d’une législation internationale pourrait s’avérer problématique, a-t-il souligné. « Surveiller et appliquer sera également difficile. Les pays riches doivent fournir des ressources et transférer des compétences aux pays en voie de développement afin de réduire les risques de catastrophes ».
La résilience est fondamentale
La plupart des experts placent leurs espoirs dans un intérêt nouveau pour le « développement de la résilience ». La resilience est présentée comme un concept qui favorise le lien entre le développement, la RRC et l’ACC en rapprochant la communauté d’aide humanitaire qui répond aux catastrophes, aux agences de développement. Se concentrer sur la résilience pourrait également être utile pour mettre en place des plans de RRC et pour promouvoir leur financement.
« La séparation actuelle entre ce qui est principalement [une] réponse humanitaire aux catastrophes par le biais de la RRC et de l’ACC, et le financement du développement économique ordinaire n’a plus aucun sens », a déclaré M. Thomalla.
En effet, les catastrophes menacent systématiquement les acquis en matière de développement. Ainsi, les inondations en Thaïlande en 2012 ont coûté trois pour cent du PIB annuel du pays, ont mis en péril l’éducation et ont détruit les avoirs des familles vulnérables.
« Les nouveaux objectifs de développement doivent tenir compte des risques, tous les objectifs, dans la mesure du possible, doivent analyser les risques », a déclaré Antony Spalton, spécialiste en RRC pour le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). « Au vu de la signification des risques posés par le changement climatique, la fragilité et les conflits, il faudrait envisager un cadre post-2015 qui rassemblerait la RRC, l’adaptation au changement climatique et la prévention des conflits/construction de la paix dans un même objectif de résilience ».
L’UNISDR a déjà ébauché un plan en cas de catastrophe fondé sur la résilience dans son agenda de développement post-2015, le Plan d’action sur la réduction des risques de catastrophes pour la résilience. Il souligne que la « RRC pour la résilience » est fondamentale pour les accords et les objectifs de développement post-2015. Il appelle à une aide de grande qualité, coordonnée et rapide, dans les pays où les pertes dues aux catastrophes menacent le développement, et demande que la RRC devienne une priorité pour les organisations spécialisées, les programmes et les fonds des Nations Unies.
M. Singh affirme que les pays « doivent développer une stratégie de résilience holistique plutôt qu’une stratégie fragmentaire, quand elle est ‘portée’ par les donateurs ».
Selon M. Thomalla, le développement de la résilience face à l’ensemble des changements et des risques a tout son sens. Mais le chemin est encore long.
« Si nous avons fait beaucoup de progrès dans notre réflexion sur la résilience en tant que concept fédérateur, nous devons renforcer nos méthodes et nos outils pour aider à. développer les institutions et les structures gouvernementales qui améliorent la résilience et leur permettent de mesurer et de montrer les progrès accomplis », a-t-il déclaré.
Enfin, M. Singh affirme que « tout dépend de la volonté des gouvernements à prendre des mesures concrètes, tant au niveau local que national, et à améliorer [la] résilience des communautés vulnérables et défavorisées ». M. McFarlane affirme qu’il y a de nombreuses idées et suggestions à l’étude. Affaire à suivre.
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Irin
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