Bernadette Sayo Nzale tente de ne pas le montrer, mais l’anxiété se lit sur son visage. Il y pourtant déjà deux mois que des hommes en armes sont venus devant la grille de sa demeure. Ils ont tenté d’en forcer l’entrée, en vain. – Qui étaient-ils ? « Nous ne savons pas les décrire avec précision. Selon les voisins, il s’agissait d’hommes habillés en treillis », explique-t-elle avec une voix peu assurée, avant d’ajouter : « mais ici toutes les agressions de ce genre ont lieu avec de tels vêtements ». Pourquoi ont-ils tenté de l’agresser ? A cette question, la réponse est cette fois plus affirmée. « C’est en raison de nos activités au sein de l’association, bien sûr (…) Ces gens savent que si ici ils ne risquent pas grand chose, la Justice internationale elle, peut les rattraper. »
Bernadette Sayo Nzale est la présidente de l’Organisation pour la compassion et le développement des familles en détresse (OCODEFAD), une association de victimes de violences sexuelles qui a beaucoup fait parler d’elles après le coup d’Etat de 2003. Il y a quelques années, Bernadette était en effet considérée comme une égérie, dans le petit monde des médias et du droit international. Son histoire personnelle atroce – elle même a été violée et son mari décapité devant les yeux de son enfant – et le courage dont elle a fait preuve pour monter son organisation et s’attaquer aux responsables hiérarchiques de ces crimes avaient alors forcé l’admiration.
Militante et ministre : l’association impossible
Dans le premier dossier traité par la Cour pénale Internationale, qui concernait les événement survenus en 2002 et 2003, c’est en effet en grande partie grâce aux témoignages recueillis au sein de son organisation, puis transmis à la Cour pénale internationale (CPI), que des inculpations ont pu être lancées. Le procès Bemba, actuellement en cours à La Haye n’aurait ainsi jamais pu avoir lieu sans ce patient travail d’écoute et de relais. Mais les plaintes ne concernaient pas uniquement l’ancien chef de guerre congolais, et les principaux responsables politiques du conflit – dont l’actuel et l’ancien président, François Bozizé et Ange-Félix Patassé – qui étaient également visés. Et très rapidement, à la faveur du processus de réconciliation nationale et d’une loi d’amnistie, les principaux auteurs et supérieurs hiérarchiques impliqués dans ces crimes de masse se sont retrouvé hors d’atteintes de la justice nationale. Dans un rapport publié (« Déjà-vu : D(é)s accords pour la paix au détriment des victimes », décembre 2008), la FIDH évoquait les conséquences désastreuses de cette impunité: « Ces initiatives (pour la paix) sont fragilisées par la mise à l’écart de la justice pourtant socle essentiel du règlement des conflits: l’impunité donne un blanc seing aux criminels pour commettre de nouveaux crimes (…) favorise la répétition des violations des droits des victimes et le désaveu envers l’institution judiciaire. » Déjà marginalisées, les victimes se sont senties plus menacées que jamais, alors que nombre de leurs bourreaux des deux camps se retrouvaient à des postes de l’administration, ou dans les forces armées. A plusieurs reprises, Bernadette Sayo Nzale a été alors menacée de mort, et elle a même dû quitter le pays avec sa famille pendant un temps.
Mais c’est à son retour, que le coup le plus rude est certainement venu, qui s’est présenté sous forme d’une offre de travail pour le gouvernement. Bernadette Sayo s’est en effet vu proposé de prendre le poste de ministre du Tourisme et de l’Artisanat au sein du gouvernement. Un « baiser qui tue », et qui a abouti à son entrée au gouvernement en janvier 2008, après consultation de son organisation. « Nous avons organisé une très grande réunion avec toutes les victimes explique-t-elle, et nous avons beaucoup discuté pour savoir si je devais ou non accepter. Il y en avait beaucoup qui étaient contre, parce que les anciens dignitaires et auteurs des crimes étaient également au gouvernement. Mais au final, nous avons accepté pour tenter de faire faire bouger les choses de l’intérieur ». Si elle affirme que sa position a aidé à faire accepter la parole des victimes, elle reconnaît qu’il y a eu des moments difficiles, comme au moment du Dialogue politique inclusif. « Puisqu’il y avait un consensus autour de la table, je me suis tue, mais ce qui est sûr, c’est que je n’ai jamais été d’accord avec l’amnistie (…) pour moi, ce qui comptait, c’est que la société civile soit autour de la table ».
Comme il fallait s’y attendre, ce nouveau statut a eu d’autres effets au niveau international. « Si cela n’a rien retiré à la qualité du travail effectué par l’OCODEFAD, il nous était devenu difficile de discuter de la même façon qu’auparavant avec une personne qui était devenu un membre du gouvernement », souligne ainsi un responsable d’une ONG internationale». Mais si la position de Bernadette Sayo a quelque peu été affaiblie auprès de certaines institutions ou organisations, d’autres, comme l’Organisation Mondiale Contre la Torture ou Women’s Intitiatives for Gender’s Justice, ont continué à la soutenir. Car si sa fonction de ministre lui a apporté une plus grande sécurité, elle n’en a néanmoins pas eu fini avec le harcèlement constant de la part des dignitaires visés par les plaintes. « J’ai continué à être agressé et à recevoir des menaces de mort de la part des deux camps lorsque j’étais ministre, témoigne-t-elle. Mon chauffeur a été tabassé et est en exil depuis. Une autre fois, mes enfants ont découvert qu’il y avait quatre personnes armées qui étaient cachées à côté de ma maison. » L’OCODEFAD n’a pas été épargnée et a dû faire face à plusieurs cambriolages. Son coordinateur intérimaire, Eric Kpakpo, s’est même envolé avec la caisse de l’organisation, emportant avec lui de nombreux dossiers concernant des témoins de l’association.
Bernadette n’a plus désormais aujourd’hui aucune responsabilité au sein du gouvernement. Elle a repris ses fonctions à la tête de l’OCODEFAD, et si le redémarrage est difficile, l’association semble à nouveau fonctionner correctement, et des programmes sont financés pour aider les nouvelles victimes de viols, notamment pour héberger des jeunes femmes avec des enfants issus des viols. Car les violences sexuelles ne se sont malheureusement pas arrêtées après les événements survenus en 2002 et 2003. « Dans l’arrière pays, dans les zones de conflits, surtout, de nouveaux cas sont signalés régulièrement. Nous avons aujourd’hui plus de trois cent victimes, dont les crimes n’entrent pas dans les compétences des enquêtes menées par la CPI en Centrafrique. »
Peu après la tentative d’intrusion à son domicile, Bernadette a dû trouver un endroit plus sûr. Mais son assistante, Edith qui avait prévenu les forces de l’ordre le jour de l’agression, a été suivie dans la rue, interpellée par des inconnus et rouée de coups. Elle est restée cinq jours à l’hôpital. Bernadette a peur, incontestablement, mais elle se dit prête à « aller jusqu’au bout ».
Affaire Bemba : « Beaucoup de victimes sont dans l’attente de réparations »
2003 : Après la défaite du camp Patassé, le chef de guerre Jean-Pierre Bemba retourne avec ses troupes en RDC, semant, selon les témoignages recueillis, la désolation sur son passage, appliquant une politique macabre de terre brulée (viols de masse, assassinats, etc…).
Devenu par la suite vice-président, puis candidat malheureux à la présidence de son pays, ce dernier a finalement fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la part de la Cour pénale internationale pour les crimes commis en RCA en 2002 et 2003.
Arrêté en mai 2008 alors qu’il se trouvait en Belgique, il est transféré à La Haye deux mois plus tard, et son procès débute le 22 novembre 2010. « Nous avons déjà enregistré 2700 victimes acceptées par la Cour, afin de participer à la procédure », rapporte Mathias Morouba, avocat et défenseur centrafricain des droits de l’Homme, qui suit le dossier pour les victimes. « Il y en a encore 3000 qui attendent que leurs demandes soient examinées par les juges de la CPI. » Mais le procès traîne en longueur, or pour les victimes, il y a urgence. « Beaucoup sont déjà mortes, et nous avons rencontré récemment des victimes souffrantes, trop pauvres pour se faire soigner »s’inquiète ainsi Mathias Morouba. Selon lui, « beaucoup de victimes ont tout perdu lors des pillages systématiques organisés par les troupes de Bemba, et elles sont dans l’attente de réparations, pour tout ce qu’elles ont vécues. »
En dépit de nombreuses sollicitations de la part des organisations de défense des droits de l’Homme, aucun autre mandat d’arrêt n’a pour le moment été délivré par le procureur pour ce qui concerne les faits commis en 2002 et 2003. Le 5 avril 2011, l’ancien président Ange-Félix Patassé, également visé dans le cadre de l’enquête, est ainsi décédé sans avoir jamais été jugé pour les crimes qui lui étaient reprochés.
Gaël Grilhot
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