« Le HCR face aux catastrophes naturelles : Ce que le tsunami de 2004 a changé »

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Le HCR face aux catastrophes naturellesL’ouvrage que nous présente Lucile Maertens  apparait comme l’expression même d’une recherche réussie : un sujet empirique majeur qui examine le rôle du HCR  face à l’ampleur de la catastrophe imputable au tsunami de 2004 ; une vraie question de théorie, prenant en compte l’aptitude des organisations internationales à se transformer et à s’adapter ; un défi épistémologique puissant, lié au choix pertinent d’utiliser les hypothèses et les méthodes de la sociologie des organisations pour comprendre la dynamique des institutions multilatérales. L’énigme posée par l’auteure est lumineuse : comment une organisation, réputée pour sa prudence, voire sa timidité, a-t-elle pu faire, à ce point, preuve d’innovation dans la gestion d’une crise si grave et exceptionnelle?

A ces questions fortes qui intéressent autant les acteurs que les analystes, s’en agrège au moins une autre que l’auteure dégage de manière subtile : la concurrence évidente entre la grammaire classique du multilatéralisme, issue de la prudence réaliste du compromis de 1945, et l’idée d’aide humanitaire, forgée dans le contexte qui fut celui de la fin de la bipolarité, suggérant déjà l’existence d’un espace mondial qui n’est pas seulement la résultante de l’équilibre entre les Etats, mais aussi le prolongement des drames humains et sociaux.. On touche ici au fond même du problème : le multilatéralisme se limite-t-il à une police d’assurance que s’offrent parcimonieusement les Etats et les gouvernements ou gère-t-il véritablement des biens sociaux collectifs qui vont alors bien au-delà de l’agenda diplomatique traditionnel pour enfin s’intéresser aux besoins de l’humanité toute entière?

Dans la première de ces options, l’inter-gouvernementalisme reste maître du jeu, et très vite celui-ci consistera à ne pas écorner les souverainetés et à agir selon l’ordre légalisé de la puissance. Dansla seconde, tout peut échapper aux Etats et les institutions multilatérales gagneraient alors fortement en autonomie. D’une certaine manière, cette hypothèse a toujours été la crainte obsessionnelle des Etats les plus petits qui redoutent alors de disparaitre purement et simplement pour être mis en tutelle définitive, comme celle des plus puissants qui y voient le risque de perdre leurs privilèges aristocratiques. D’où ce consensuel freinage imposé à toutes les organisations internationales et, en particulier, au HCR, comme Lucile Maertens le rappelle très bien.

Il fallait donc des circonstances bien spécifiques pour que les comportements changent : d’où cette fonction de la « crise », si bien analysée dans l’ouvrage. Certes, on devra concéder que ce mot (est-ce même un concept ?) est vague et galvaudé par le langage courant, pour couvrir des réalités en fait très différentes. Mais la manière dont Lucile Maertens en fait usage emporte la conviction, montrant précisément que le tragique épisode du tsunami contenait les paramètres les plus décisifs pour précipiter l’innovation : il était médiatisé, touchait l’opinion mondiale et notamment occidentale, puisque les victimes n’étaient pas seulement locales ; il était surtout dissocié de toute considération politique, enlevant ainsi à toute intervention multilatérale cette propriété anti-souverainiste tant redoutée : la politisation reste plus que jamais l’ennemi juré de la régulation globale…

Paradoxalement, les catastrophes naturelles ont acquis ainsi un rôle moteur dans la transformation du jeu international, comme on avait déjà pu le constater avec le tremblement de terre qui avait affecté l’Arménie en décembre 1988, le jour même où l’Assemblée Générale des Nations Unies avait adopté la fameuse résolution ouvrant la voie à l’ingérence humanitaire. L’URSS d’alors s’était montrée prompte à accueillir  les secours internationaux, au-delà de ses habituels scrupules souverainistes. En fait, on constate, à travers cette belle étude, que la scène internationale change et évolue beaucoup plus au rythme des transformations de l’espace mondial, dans ses dimensions sociales et technologiques, qu’à celui de volontés politiques qui se révèlent, pour leur part, essentiellement conservatrices : on est ici à l’opposé des thèses trop optimistes des néo-institutionnalistes qui continuent à parier sur le choix rationnel et spontané des Etats à conforter le jeu multilatéral…

On atteint du même coup un autre intérêt de l’ouvrage, novateur et pertinent : comment, par quels mécanismes, l’institution réagit-elle à la sollicitation de l’événement ? L’auteure développe une analyse subtile et convaincante, montrant que l’effet d’entraînement est irréversible, sans être pour autant linéaire : elle explique que la reproduction du scénario de 2004 transite par des décisions internes qui n’ont rien de mécanique.  En même temps, elle révèle très finement que l’institution a su tirer parti de cette rupture pour renforcer ses ressources et ses aptitudes à réagir, gagnant ainsi une autonomie plus forte. Celle-ci est bel et bien le paramètre-clé de l’analyse.

On ne s’y trompera pas : les progrès du multilatéralisme sont à rechercher dans ce jeu que Lucile Maertens décrit et analyse fort bien, cette interaction entre les contraintes objectives propres à un monde où les Etats ne peuvent plus à eux seuls faire face aux menaces les plus classiques, et des jeux institutionnels qui savent capitaliser correctement leurs ressources…Plus qu’une perspective institutionnaliste, on trouvera ici les éléments d’analyse d’une production sociale du changement international. Soyons reconnaissants à l’auteure d’avoir su si rigoureusement s’inscrire dans une veine qui apparait plus que jamais féconde et qui réoriente positivement les analyses consacrées au multilatéralisme. Saluons ce travail, issu du master de recherches en Relations Internationales de Sciences Po qui apparait brillamment comme un modèle  du genre.

« Le  HCR face aux catastrophes naturelles : Ce que le tsunami de 2004 a changé », Lucile MAERTENS –  Ed. L’Harmattan, Coll. Perspectives organisationnelles

Bertrand Badie

Bertrand Badie

Bertrand Badie est Professeur des universités en sciences politiques à Sciences Po, co-directeur du master et du doctorat (Ph.D.) en Sciences politiques, mention Relations internationales. Il a écrit la préface de l’ouvrage: “Le HCR face aux catastrophes naturelles : Ce que le tsunami de 2004 a changé”, Lucile MAERTENS – Ed. L’Harmattan, Coll. Perspectives organisationnelles.