L’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE), nouvelle formule…

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Tunis
© Sébastien Bousois

En Tunisie, si le péril des assassinats politiques a eu pour effet contingent l’accélération de l’élaboration des instances constitutionnelles, toutes n’ont pas le même accueil auprès de l’opinion. Face à la plus aboutie à ce jour, celle des élections, il n’y a pas foule en matière de dépôt de candidatures.

La loi organique sur l’Instance supérieure indépendante des élections (Isie) promulguée le 20 décembre 2012 comporte 38 articles relatifs aux prérogatives confiées à l’Isie, à la composition de son conseil de direction, aux conditions à remplir par les candidats à ce conseil, au renouvellement du tiers de ses membres, à la composition de l’appareil exécutif du conseil, à la création de directions régionales, à la désignation d’un directeur exécutif qui assurera ses fonctions sous la supervision du conseil de direction de l’Instance et enfin à la gestion et au contrôle des comptes financiers de l’Isie. Maintenant que la loi sur l’Isie est entrée en vigueur, la première étape pratique serait le choix des candidats.

L’Assemblée nationale constituante (ANC) a annonce dans un communiqué, qu’en application de l’arrêté N°16 du président de l’ANC, en date du 22 février 2013, paru au Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT), que les candidatures au conseil de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE) seront recevables pendant une durée de dix jours à compter de la date dudit arrêté. Cette commission sera présidée par le Président de l’ANC.

Ce texte fixe les modalités d’envoi des dossiers des postulants et des conditions de candidature à remplir, à commencer par les pièces devant figurer dans le dossier. Le Journal officiel a, en outre, publié en annexe à cet arrêté le barème qui sera appliqué par la commission de sélection des candidatures au conseil de l’ISIE.

L’arrêté du président de l’Assemblée nationale constituante, fixe comme suit les conditions devant être remplies par les postulants:

– Etre électeur;

– Etre âgé d’au moins 35 ans;

– Avoir les qualités de probité, d’indépendance et d’impartialité;

– Justifier d’un certain niveau de compétence et d’expertise;

– N’être membre élu d’aucune instance professionnelle;

– Ne pas avoir été adhérent ou élément actif d’un parti politique durant les cinq années antérieures à l’ouverture des candidatures;

– N’avoir exercé aucune responsabilité au sein du parti du Rassemblement constitutionnel démocratique dissous ou avoir adjuré le Président de la République déchu de briguer un nouveau mandat présidentiel;

– Ne pas avoir exercé de responsabilité au gouvernement ou la fonction de gouverneur, Secrétaire général, délégué pendant toute la durée de pouvoir du président déchu.

La commission spéciale chargée de l’examen des dossiers des candidatures a fixé quatre critères d’éligibilité en l’occurrence l’âge, les qualifications académiques, l’ancienneté dans le métier exercé par le candidat et enfin la participation aux élections de l’assemblée constituante.

Au jour de la clôture de dépôt des candidatures, avant d’être prolongé de 10 jours,   le nombre des candidats ne dépassait pas 34. Premier problème, élémentaire, les deux derniers jours de ce délai correspondent à des jours non ouvrables où il est impossible d’envoyer les candidatures par la poste. La commission parlementaire chargée du dossier a décidé de prolonger le délai de réception des candidatures au 14 mars 2013.

Pour l’heure, seules 973 candidatures pour siéger au conseil de l’ISIE ont été adressées à la commission de tri qui se compose de 22 membres et qui en choisira 36 parmi les 108 candidats prévus dans une première étape dont 9 seulement (la composition finale du bureau directeur de l’Isie avec un président et 8 membres) seront élus par les constituants lors d’une séance plénière.

La Composition du Conseil de l’Isie sera comme suit
1) Un magistrat judiciaire
2) Un magistrat administratif
3) Un avocat
4) Un notaire ou un huissier de justice
5) Un enseignant universitaire
6) Un ingénieur spécialisé en logiciels et en sécurité informatique
7) Un expert en communication
8) Un expert en finances publiques
9) Un représentant des Tunisiens à l’étranger.

Comment expliquer un tel désintérêt ? Le manque de communication ne peut en être la seule raison, les réseaux sociaux ayant largement ébruité l’évènement. Les raisons sont nombreuses, le critère de l’âge et la grille d’évaluation en sont les principales. Il n’y a pas que cela, la question de la future composition de la nouvelle instance électorale est la plus problématique car c’est celle qui menacerait le plus l’indépendance de l’ISIE nouvelle formule

1Le critère de l’âge  

C’est la deuxième condition, celle relative à l’âge, qui fait l’objet d’une vive controverse. Ses détracteurs lui reprochent en effet son caractère arbitraire.  Très vite, un groupe de jeunes diplômés, de 24 à 34 ans pour la plupart, créent une page sur facebook qu’ils nomment « J’ai moins de 35 ans, et je suis apte à faire partie de l’ISIE ». Elle totalise  plus de 2000 adhérents en faveur d’une action devant l’ANC. Les organisateurs y dénoncent une mesure «discriminatoire» envers la jeune génération dans le processus de la construction démocratique. C’est pour cela qu’ils ont lancé une opération, «100 CV», où ils appellent les jeunes qui respectent tous les critères fixés par l’ISIE (Sauf bien entendu celui de l’âge) à envoyer leur CV, puis à remplir un formulaire. En effet, les jeunes ont été le catalyseur de la révolution du 14 janvier, de ce fait, ils doivent jouer un rôle central dans l’édification des Etats Démocratiques dans la Région et dans la réussite des mutations qu’elle connait. Malgré cela, leurs revendications n’ont pas été prises en compte par la commission des tris des candidatures.

2. La grille d’évaluation

La grille d’évaluation n’est pas non plus exempte de tout reproche, Nous retrouvons dans cette grille des critères de sélection essentiels et incontournables à savoir les diplômes et l’expérience.  A ceux-là se rajoute un critère de sélection par l’âge qui de prime abord apparaît comme un critère supplémentaire neutre pour la sélection des candidatures mais qui est en réalité, par la pondération adoptée, un critère très subtil qui peut être perçu comme électoraliste.

Quant à l’échelle d’évaluation des candidatures, elle se base sur quatre critères. D’abord, l’âge avec la mention A (soit la plus haute mention) qui sera décernée à ceux âgés de 55 ans ou plus. Cette mention s’applique aux catégories suivantes: les juges judiciaires, les juges administratifs et les experts en finances publiques. Le critère de l’âge bénéficiera d’un coefficient estimé à 1. Ensuite, les compétences scientifiques (coefficient 2) avec la mention A décernée à ceux disposant d’un doctorat d’Etat. L’expérience dans la spécialité (organisation des élections), avec le coefficient 1. La mention A sera accordée à ceux ayant une expérience de 22 ans ou plus. Quatrième et dernier critère (coefficient 1) : la participation à l’organisation des élections. Bénéficieront de la mention A ceux qui ont participé à l’organisation des élections de l’Assemblée nationale constituante en tant que membres de l’instance centrale ou d’une instance régionale.

Si on regarde la bonification accordée au candidat pour son expérience dans la spécialité, elle est favorable aux années d’exercice dans la profession.  Si cette approche peut être considérée comme positive puisqu’elle permet d’avoir des candidatures à forte expertise dans la profession, l’indexation des tranches d’années d’expérience pose problème. En effet, d’après le texte de la grille publiée sur le site de l’ANC, un candidat ayant 16 ans d’expérience peut être bonifié de 6 et 4 points. Il en est de même pour le candidat qui a 22 années d’expérience qui est bonifié de 8 et 6 points. Or le bonus doit être unique.

A côté de cela, apparaît une autre échelle de bonification inhabituelle utilisée pour les corps de métier avocats et huissiers. On peut trouver un parallèle de cette échelle avec les intentions de vote par âge pour le parti Ennahadha (extrait du sondage de Sigma Conseil qui couvre la période du 12-02-2013 jusqu’au 14-02-2013). Le tableau reprend ces échelles et montre que les bonifications élevées sont accordées aux tranches d’âges jeunes et intermédiaires, celles là mêmes qui ont  les intentions de vote les plus élevées pour ledit parti.

3La future composition de l’instance et la transparence

L’hégémonie du parti islamiste sur la composition des membres de l’ISIE suscite aujourd’hui de nombreuses interrogations. Le Président de l’association tunisienne pour l’Indépendance et la Démocratie des Elections (ATIDE), militant activement pour la transparence des travaux autour de la future instance électorale, dénonce un « marchandage sur les candidats de l’ISIE, au profit du parti ayant le plus grand poids lors du vote ». En effet, le choix des membres du conseil de l’ISIE, devant être validé par le trois quarts des constituants, privilégie des membres aux appartenances politiques clairement définies, mais aux compétences plutôt discutables.

La question est de plus en plus posée quant aux possibilités de falsification des prochaines élections par Ennahdha et les soupçons sont bien réels. Les exemples de faits et de constats qui portent à y croire aujourd’hui sont nombreux et les menaces sur les prochaines élections deviennent quasi-imminentes. Une accusation que tiennent des membres de la société civile aux aguets face aux moindres dépassements. Les Organisations non gouvernementales sont devenues aujourd’hui une source fiable d’informations pour les médias, à l’heure où à l’intérieur même de l’hémicycle, la transparence fait défaut.  L’Association ATIDE crie au risque de trucage et dénonce un travail « secret » de la commission chargée du tri des candidatures pour l’ISIE qui tente d’occulter totalement les médias et composantes de la société civile. Si certains députés ont appelé à ce que l’association Al Bawsala et ATIDE ne fassent plus partie des présents, prétextant une « entrave au travail des députés et à la souveraineté même de l’Assemblée », d’autres vont jusqu’à les chasser des travaux des commissions. Or, selon l’article 5 du décret-loi 88 de la loi des associations, l’article 3 du décret-loi 41 relatifs à l’accès aux documents administratifs des organismes publics et en vertu du règlement intérieur de l’Assemblée nationale constituante, la société civile et les médias peuvent légalement accompagner l’opération de dépouillement. Ainsi, La commission doit être ouverte à la société civile et aux médias pour observer et évaluer l’opération de sélection des candidats.

Suite à la pression médiatique, le président de l’assemblée, a déclaré qu’il a été convenu que les observateurs pourront désormais assister aux travaux de la commission, sauf dans certains cas portant sur les données personnelles des candidats. La société civile aura-t-elle remporté cette manche ? Rien n’est moins sûr aujourd’hui à l’heure où le parti islamiste, avec sa mainmise sur les rouages de l’Etat, fait de l’accaparation de l’ISIE son cheval de batail. En effet, les soupçons sur un problème de transparence et d’indépendance de l’instance sont renforcés par un nouveau cadre juridique qui fait controverse. La loi sur l’ISIE a été votée au cœur même d’une machination, servant à discréditer l’ancienne instance électorale. Sans remettre en cause les résultats des élections du 23 octobre 2011, force est de reconnaitre que des dépassements ont eu lieu aussi bien durant la campagne électorale que lors des votes. Qu’en sera-t-il aujourd’hui à l’heure où l’échec d’Ennahdha, dans son expérience du pouvoir, a certainement eu raison de sa côte de popularité ? Ennahdha semble affûter ses armes en vue des prochaines élections et tout porterait à croire que l’instance ne sera pas neutre. Des associations telles que ATIDE dénoncent « l’absence de vision à long terme dans la mise en place des structures de l’ISIE ». Kamel Jendoubi,  Présidente de la première ISIE avait jeté un pavé dans la mare en affirmant qu’il ne présentera pas sa candidature à une instance « qui représente une véritable menace pour la transition démocratique ».

Conclusion

Les travaux de la commission de sélection des candidatures à l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE) continue. Sept recours reçus jusqu’à présent parmi les dossiers rejetés. En outre, le peaufinage de la sélection se poursuit afin de garder 108 dossiers de candidature sur les 452 présélectionnés dont celles de 111 femmes sur un total de 973 dossiers reçus. Une sélection finale permettra de choisir 36 candidats pour élire, en séance plénière, les 9 membres du conseil de l’ISIE.

Les listes définitives des candidatures retenues et refusées ont été publiées sur le site officiel de l’Assemblée nationale constituante. Les délais de recours concernant les 473 candidatures refusées commencent à partir du jeudi 11 avril 2013 et continuaient jusqu’au 18 avril 2013.

Meriem Ben Lamine

Meriem Ben Lamine

Meriem Ben LAmine est enseignante chercheure à l’Université de Tunis et membre du CA du Cercle des Chercheurs sur le Moyen Orient (CCMO).