Lutte contre Ebola : rien dans les mains, rien dans les poches !

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Face à l’épidémie de fièvre Ebola qui sévit en Afrique de l’Ouest, les équipes médicales en première ligne doivent répondre au double défi de soigner et d’éviter l’accroissement du nombre de cas. Or les moyens médicaux habituellement utilisés dans les épidémies telles que rougeole, méningite ou choléra font défaut.

Nous sommes depuis le début de l’épidémie face à une maladie dont le diagnostic n’est pas aisé et pour laquelle il n’existe ni vaccin ni traitement curatif immédiatement disponible. Manquer de ces moyens classiques de la médecine implique de ne pas pouvoir contenir la transmission du virus de personne à personne et d’atteindre, dans les centres de soins et en dehors, un niveau de mortalité inégalé pour une maladie infectieuse. Les équipes sur place ne peuvent répondre de façon satisfaisante à un triple impératif médical classique : protéger, diagnostiquer, soigner.

Protéger

La réduction de la transmission du virus d’une personne malade (ou décédée) à une personne saine repose sur des mesures de protection qui sont difficiles à appliquer de façon continue et rigoureuse. Lors des soins par exemple, les équipes médicales doivent porter un équipement de protection spécifique, une situation très rare en médecine clinique. La maîtrise des procédures d’habillage et de déshabillage impose une formation et une certaine habitude. Pour la population générale des pays touchés, les consignes sont de rester à distance d’un possible cas avant son transfert vers un centre de soin.

Malgré les messages de sensibilisation, l’éclairage des travaux en sciences sociales, la qualité de la relation du médecin au patient et à sa famille, de nouveaux cas surviennent chaque jour.

Une autre méthode bien connue de réduction de la transmission d’un virus est la vaccination. Elle a contribué à faire chuter le nombre de cas de bien des fléaux tels que la poliomyélite, la rougeole, ou le tétanos. Aujourd’hui, le choléra dispose d‘un vaccin efficace et utilisable même en situation d’épidémie. Demain, ce sera au tour du rotavirus, responsable d’une importante part de la mortalité infantile par diarrhée, de disposer d’un vaccin adapté aux pays en voie de développement, puis du pneumocoque, germe responsable de nombre d’infections pulmonaires meurtrières notamment chez les jeunes enfants.

Rien de tel pour Ebola même si certains produits sont en cours de développement. Plus d’un an après le début de l’épidémie, nous ne disposons toujours pas d’un vaccin efficace et utilisable à large échelle. Si depuis quelques mois le développement de « candidats vaccins » s’est sérieusement accéléré, des questions demeurent telles que le niveau de protection qu’ils conféreront, la stratégie de leur déploiement, leur coût, ou encore le maintien d’une production industrielle suffisante pour couvrir les besoins actuels et futurs.

Diagnostiquer

Un test diagnostique biologique est indispensable, car le seul examen clinique d’un malade infecté ne permet pas d’affirmer avec certitude qu’il est atteint d’une fièvre Ebola. Les tests actuels reposent sur une technique fiable (la Polymerase Chain Reaction ou PCR) mais trop complexe pour pouvoir être utilisée de façon rapide et simple au lit du malade ou dans un centre de soin rural. Cela impose en pratique de transporter un patient suspect de fièvre Ebola vers un centre de référence pour confirmer ou non la suspicion clinique.

Les conséquences sont majeures : perte de temps dans la mise en place des soins, temps accru de contact avec des personnes de l’entourage, engorgement des structures centrales hospitalières, et pour une personne qui se révélerait finalement non infectée par le virus Ebola, exposition à un environnement intra-hospitalier à risque. Un test diagnostique rapide et simple d’usage compatible avec l’ensemble des situations de soin faciliterait le parcours du patient et donc l’organisation des soins. Un tel test n’est pas encore disponible, mais quelques pistes sont prometteuses.

Soigner

L’armoire à pharmacie est vide. Certes, il existe peu de traitements curatifs contre les infections virales en général, mais de toute évidence, aucun projet de développement pour répondre à de larges besoins contre le virus Ebola n’était à l’œuvre ces dernières années. La situation actuelle impose de se rabattre en urgence vers des produits tout juste testés chez des singes, tel que le fameux ZMapp, ou encore de tenter de recycler des médicaments utilisés contre le sida ou la grippe, voire d’expérimenter la perfusion de sérum de malades guéris. Or l’efficacité de ces produits reste à démontrer.

Les personnels internationaux évacués et traités dans des hôpitaux européens et américains et ayant reçu ces produits à titre expérimental ont été en majorité guéris. Mais il faut se garder de tirer des conclusions rapides sur des observations partielles. Au-delà du médicament, la prise en charge médicale fait appel à un ensemble de techniques qui visent à maintenir les fonctions vitales de l’organisme afin de combattre le virus.

Ces techniques relèvent d’une discipline, la réanimation médicale, qui exige de maîtriser des savoirs et des pratiques compliqués. Même si on ne peut formellement le démontrer aujourd’hui, il existe une évidente inégalité de chances entre un patient traité dans un pays touché par l’épidémie et un patient traité dans un pays à haut niveau de revenus.

Le constat est donc sans ambiguïté. Le virus Ebola a été identifié il y a près de 40 ans et aucun moyen spécifique n’existe donc pour combattre ses effets. Face à cette épidémie, la valise du médecin est vide. Si des pistes nous incitent à l’optimisme, il faudra encore du temps pour disposer de produits efficaces et adaptés. Mais comment en est-on arrivé là ? Il n’y a pas d’explication unique à cette situation, qui n’est d’ailleurs pas si rare dès que l’on aborde les maladies les plus prévalentes dans les pays en voie de développement. Nous identifions plusieurs facteurs convergents.

Les obstacles scientifiques

Si bien des questions médicales sont encore sans solution, c’est parce que nous butons sur la complexité du vivant. Certaines de nos connaissances en virologie restent lacunaires. Les mécanismes par lesquels le virus Ebola agresse les cellules de l’organisme sont encore peu connus.

Pour développer un vaccin efficace, il faut viser une cible fixe, constante, que l’on retrouve de façon identique sur tous les virus Ebola. Mais comme d’autres virus, celui-ci s’adapte et se transforme au cours du temps. Ainsi nous ne disposons toujours pas de vaccin contre le virus du sida.

Par ailleurs, la connaissance des mécanismes délétères de la fièvre Ebola sur l’organisme humain est encore partielle. Il y a eu au fond relativement peu de cas au monde avant cette épidémie pour étudier dans des conditions optimales tous les aspects de cette maladie, prélude indispensable à la mise au point de traitements efficaces. Là encore, ce n’est pas spécifique au virus Ebola. Nous ne disposons pas par exemple de traitement curatif, efficace à tout coup, de la grippe.

 L’absence de marché

Depuis plusieurs décennies, les priorités de recherche de nouveaux vaccins et médicaments sont laissées à l’initiative des compagnies pharmaceutiques privées. Ces entreprises ont permis la découverte de nouveaux traitements efficaces et nombreux. Citons par exemple le domaine de la cancérologie dans lequel les progrès ont été spectaculaires. A contrario, le champ des maladies infectieuses tropicales a été abandonné.

La raison en est très simple : le retour sur investissement est défavorable. Il ne s’agit pas d’une recherche économiquement rentable : les pays concernés n’ont pas des systèmes économiques assez solides pour acheter au prix fort les vaccins et médicaments dont ils auraient besoin. Plusieurs travaux d’analyse ont mis en évidence l’absence de développement pharmaceutique vis-à-vis de maladies qui touchent préférentiellement les pays en voie de développement. La situation peut se résumer ainsi : « Pas de marché, pas de médicaments ».

L’absence de menace au Nord

La carte mondiale de distribution des cas de la fièvre Ebola parle d’elle-même. Cette maladie n’est pas une menace de santé publique pour les pays du Nord. Les autorités politiques et sanitaires de ces pays n’ont jamais encouragé une réflexion et un investissement favorables au développement de nouveaux produits. Or ce sont elles, bien plus que leurs homologues du Sud (également discrètes à ce sujet), qui disposent de leviers incitatifs. La donne pourrait changer si des cas de transmission autochtone devaient survenir en plus grand nombre dans ces pays, ce qui reste néanmoins peu probable.

Les mécanismes de la recherche et du développement

Mais à y regarder de plus près, c’est bien cette notion de menace sur les états occidentaux qui explique que la recherche n’était pas totalement au point mort. L’histoire du développement des produits contre la fièvre Ebola mériterait une étude plus approfondie qui ne pourra sans doute jamais être menée de façon totalement objective et indépendante.

Il est publiquement rapporté que les développements en cours ont été initiés, notamment par le gouvernement américain, dans le cadre d’une politique de protection nationale contre les menaces d’attaque bioterroriste. Le virus Ebola fait partie de la liste des agents possiblement utilisables à cet effet.

Qu’en aurait-il été sans cette menace ? Quelles priorités ont été décidées depuis le 11 septembre 2001 ? Comment s’est déroulée concrètement cette recherche ? L’histoire et les ressorts de la recherche et du développement de nouveaux médicaments ne sont pas toujours transparents et sont rarement racontés de façon neutre et objective.

L’absence de demande publique des humanitaires

Les organisations humanitaires médicales n’ont jamais fait de l’absence de moyens médicaux contre la fièvre Ebola un axe fort de leur communication publique. Elles ne disposent pas aujourd’hui en Afrique de l’Ouest de moyens diagnostiques de prévention, de traitements adaptés, mais les ont-elles réclamés haut et fort comme elles savent si bien le faire parfois ? Quelles dispositions ont-elles prises pour contrer cette absence de développement de moyens ? Était-ce pour elles une priorité ? Il y a 10 ans, Médecins sans frontières a créé la « Drugs for Neglected Diseases initiative », une sorte de compagnie pharmaceutique à but non lucratif qui vise à favoriser la production de médicaments contre des maladies négligées telles que la maladie du sommeil. À quand une telle initiative pour les fièvres virales hémorragiques telles qu’Ebola ?

Notre méconnaissance scientifique de la fièvre Ebola et l’absence de moyens médicaux de soins pour y faire face ne sont pas une fatalité mais bien le résultat de choix humains dont le principal moteur est économique. L’épidémie de fièvre Ebola nous donne l’opportunité de tirer à nouveau la même leçon : seule une mobilisation des leaders politiques et économiques publics mondiaux permettra l’avènement de modes nouveaux et pérennes d’un exercice réel et universellement adapté de la médecine.

Emmanuel Baron

Emmanuel Baron

Emmanuel Baron est directeur d’Epicentre, groupe de recherche médicale de Médecins sans frontières.

Emmanuel Baron

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