Partons du postulat provocateur selon lequel, en soi, le journalisme ne sert à rien. Ni non plus le plaidoyer des ONG. A rien de concret, je veux dire. Ce ne sont que des mots. Ou des images, qui sont moins que des mots…
Inutile, souvent inconsistante, farcie d’idéologie et de show-business, disons plus consensuellement que la parole publique sur les crises contemporaines ne change rien. Elle consiste à fabriquer du spectacle, à créer de l’émotion, à peupler les interstices de l’information dans l’espoir fou que les hommes politiques modifient leur agenda en conséquence.
La meilleure preuve est la dénonciation cent fois ressassée de ce « honteux Occident » qui « ferme les yeux » sur le carnage en cours en Syrie. Mais est-ce que ce sont les yeux de cet Occident introuvable (où la Grèce et le Canada jouent paraît-il dans la même cour) qui sont fermés ? Ou bien au contraire sont-ils bien trop ouverts pour que le système international, ce club d’industriels et de consultants de la gestion du risque, ose prendre partie.
Roumanie, Bosnie, Rwanda, Kosovo, Tchétchénie, Soudan, Libye une année, Syrie l’année d’après : le cycle de l’information enchaîne les « drames urgents et lointains ». La guerre civile syrienne ne fait pas exception. Reportages stupéfiants, photographies terribles, films clandestins, prises de position, cris de colère, elle est partout, tous les jours, et à bon droit après tout. Des prix sont décernés à tour de bras. Après cela, les hommes politiques font des commentaires, les chanteurs des chansons, et les diplomates des recommandations — que personne d’ailleurs ne peut comprendre, puisque nous n’avons pas accès aux sources des services de renseignement, qui fondent la plupart du temps les analyses de nos élus.
Le problème n’est donc pas le prétendu silence des médias, au fond. Lorsqu’ils parlent, rien de mécanique ne s’ensuit. C’est peut-être l’absence des philosophes.
La souveraineté nationale peut-elle être limitée ? Sur quels raisonnements philosophiques une intervention étrangère dans un conflit local peut-elle être fondée ? Quels sont les justifications éthiques du maniement du secret en politique ? Une nation ou un groupe de nations peuvent-elles être coupables ? Quels sont les bornes au-delà desquelles un gouvernement perd sa légitimité ? Ah ! Si nous avions des réponses à ces questions, peut-être que la vraie révolution serait déjà advenue : celle où l’humanité marche avec les idées claires. Et où l’on saurait quoi faire face à l’horreur.
Léonard Vincent
Il est l’auteur du récit « Les Erythréens » paru en janvier 2012 aux éditions Rivages.
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