Les élections législatives du 17 juin en Grèce ont représenté un moment historique de l’histoire européenne. Crise économique qui se transforme peu à peu en crise humanitaire, la descente aux Enfers du pays doit attirer l’attention au-delà de ses frontières. Grotius International fait le pari d’en rendre compte autrement.
Prologue
Les Athéniens mangent leurs épluchures. Les chauffeurs de taxi ânonnent des psaumes sataniques, un bras sur la portière. Dans leurs échoppes, sous les arcades saturées de graffitis anarchistes, les épiciers recomptent leur caisse comme des grand-mères avares. Un pope et un armateur égrènent leur chapelet de secrets. Posé comme une couronne glorieuse sur la colline de l’Acropole, le temple de la paix se dissout dans les pots d’échappement. Morceau d’architecture déglingué, pauvre et somptueuse église sans toit d’un monde écroulé, le Parthénon est à vendre. Sur les quais du Pirée, les navires avalent des victimes.
C’est un peu cela, l’image qui nous reste de la Grèce. Avec tout ce tohubohu médiatique, cette cacophonie de généralités et de petites histoires, nous ne savons rien de plus, au fond, que ce qui reste à un enfant de la lecture d’un sombre poème. Et pourtant, dans quelques jours, les Grecs vont voter. Ils vont trancher l’un des scrutins démocratiques les plus craints et les plus importants de l’histoire européenne.
Quatre rebétikos…
Grotius International y sera, pour une série de quatre articles. Pour écrire depuis Athènes ce qui sera vu. Pour envoyer de là-bas des sensations, des idées et des images à hauteur d’homme. Pour rétablir l’ordre de la réalité humaine, là où ne règne pour l’instant que la confusion d’un spectacle en langue étrangère. Ce seront quatre chansons, quatre rebétikos, le blues des Grecs. La semaine s’étire… L’avion s’envole samedi. Paris bruine sous un ciel breton, au terme d’une longue et étrange campagne électorale. Ici, on dira toujours d’où l’on parle, puisqu’il ne reste plus que ça quand la parole médiatique est manifestement insuffisante.
Pour raconter la Grèce tourmentée d’aujourd’hui, on pourrait bien sûr compiler des chiffres et vérifier des équations. On pourrait aussi prendre au hasard un passant et l’enjoindre en urgence de se plaindre pour nous. On pourrait enfin se faire passer pour un analyste à sang-froid des combines politiques, mathématique shadokienne qu’on ferait mine de comprendre. Tout cela est légitime. Mais j’ai suffisamment pesté, pour Grotius International et ailleurs, contre ces artifices des médias d’aujourd’hui pour m’abandonner moi aussi à ces choix. Non. Dans le brouillard de l’éloignement, la littérature plutôt que le journalisme peut rendre compte avec honnêteté de la vie des Grecs. C’est un grand mot. Mais c’est le pari.
Par une écriture affranchie des codes cadastraux, je veux faire éprouver une expérience, plutôt que de m’efforcer de reconstruire une réalité mouvante à partir de fragments épars. Depuis quelques temps, je suis convaincu en effet que l’académisme journalistique joue trop souvent un air de flûte involontairement trompeur, sous prétexte de respecter ses propres règles. Je sais bien ce qu’il peut y avoir de présomptueux à se poser en écrivain, quand la simple qualité de journaliste pare de toutes les douces vertus de l’humble témoin. Mais, dans le monde que nous subissons pour la plupart, je crois que cette posture n’est plus tenable. Les témoins sont en réalité des hommes du rang et la plupart de nos médias sont des marquisats.
Seuls quelques îlots de renégation, dont Grotius International, osent essayer autre chose — et l’erreur pourquoi pas ? Bref, il faut chercher ailleurs. Il faut tenter de dévoiler ce que les journalistes ne disent pas, puisque ce n’est pas leur métier. Ce sera le signe que le regard d’un homme est passé et que nous sommes semblables, puisque ce que nous vivons peut être partagé par la parole écrite, dans la belle langue des Français. C’est en tout cas un principe philosophique, mais aussi un geste politique. Car si je pars, c’est que je crois sincèrement que ce qui se joue en Grèce est notre destin commun.
C’est que je considère, peut-être présomptueusement, que malgré l’abondance babylonienne des flux d’information, nous ne sommes pas assez informés. Et que, au fond, si nous ne tentons pas d’ouvrir la porte à coup de pied, il ne nous restera malheureusement, pour examiner notre monde, qu’une constellation d’allégations dont aucun lecteur exigeant et aucun citoyen insatisfait ne peut parvenir à se contenter. Nous jugerons des ombres. La nuit du 17 juin 2012, la nuit du scrutin. Les couloirs, les rues, les visages, les palais. Des photographies, des odeurs et des bruits.
Ce que l’on voit à la télévision, dans les escaliers, dans les cuisines. Voilà ce qui sera envoyé d’Athènes, avec l’espoir que tout cela permette aux lecteurs de combler cette part secrète, ce recoin intime que le journalisme ne touche pas et où viennent se lover les sentiments. L’amitié, surtout, cette valeur classique de l’Europe.
Note de la rédaction : la droite conservatrice (La Nouvelle Démocratie) est en mesure de constituer un gouvernement de coalition pro-euro, après avoir remporté les élections législatives du dimanche 17 juin 2012. La gauche radicale arrive en deuxième position. Le lundi 18 juin, au matin, les places financières ont paru rassuré par ce résultat.
Léonard Vincent
Il est l’auteur du récit « Les Erythréens » paru en janvier 2012 aux éditions Rivages.
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