Quelle place pour les humanitaires dans les mouvements de révolte?

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Tunisie, Égypte, Yémen, Libye, Bahreïn, Algérie, Maroc… Dans les mouvements de révoltes observés dans ces pays du monde arabe, une ONG comme MSF cherche sa place. Doit-elle témoigner sa solidarité avec ces mouvements populaires et soutenir ouvertement les aspirations démocratiques des peuples? Au-delà, quelle est la place des institutions de secours dans le cadre de ces grands rassemblements politiques? Peuvent-elles se permettre d’en être absentes ?

Si les acteurs de secours peuvent être individuellement sensibles aux soulèvements populaires porteurs d’espoir démocratiques, tel ne peut être le cas des organisations qu’ils représentent. La promotion de la démocratie et de meilleures conditions de vie n’étant pas l’objectif, il est difficile de leur demander d’exprimer un soutien de principe aux soulèvements qui agitent aujourd’hui le monde arabe.

Face à des troubles internes qui peuvent dégénérer en guerre civile, la situation apparaît en fait semblable à celles auxquelles les ONG sont régulièrement confrontées. Le rôle d’un acteur de soins n’est-il donc pas simplement de porter assistance aux personnes blessées lors des manifestions ou des opérations de représailles ?

MSF a fait tardivement ce choix en envoyant le 18 janvier – soit 4 jours après le départ du président Ben Ali – deux volontaires en Tunisie afin de s’enquérir auprès des personnels de santé de leurs besoins en médicaments et matériels médicaux, liés à la prise en charge des blessés. En Égypte, une équipe est arrivée trop tard pour répondre efficacement aux besoins importants mais ponctuels observés après les affrontements survenus place Tahrir au Caire début février. Des petites donations ont également été faites. En Libye, au Yémen, au Bahreïn, MSF s’active, tente d’en être comme à Benghazi où une équipe est arrivée en fin de semaine dernière.

En dépit des difficultés, le premier objectif est d’être présent au bon moment, au bon endroit, de savoir par quel canaux agir, de se faire accepter des populations désireuses de ne pas se faire voler leur révolution. Il importe également de définir la nature de l’aide qui sera proposée. La décision d’envoyer une équipe en Tunisie, qui plus est après la chute de Ben Ali, n’a pas toujours été comprise au sein d’une organisation comme MSF. Certains ont estimé que la qualité des systèmes de soins et le faible nombre de blessés signalés faisaient de cette intervention une opération de communication inutile. Qu’il s’agisse de l’Égypte ou de la Tunisie, du Maroc et de l’Algérie, ces pays disposent de structures de soins de qualité, de personnels nombreux et très compétents. Dans ces conditions, le soutien médical apporté par les organisations humanitaires reste probablement marginal. Mais dans le but exclusif de soigner les blessés, la présence affichée de secouristes au milieu de la foule, des rixes et des éventuels combats de rue peut s’avérer déterminante.

En l’espèce, au-delà des donations effectuées par MSF ici ou là, c’est pourtant bien la présence de l’ONG qui a été appréciée. Des Tunisiens ont ainsi remercié l’organisation d’être à leur côté à l’occasion de ces bouleversements, par mail ou par des messages envoyés via les réseaux sociaux. Être présent physiquement, c’est aussi faire circuler l’image, via les médias, de la solidarité de MSF avec les personnes – peut-être davantage qu’avec la cause. Comment pourrait-il en être autrement quand le premier réflexe des pouvoirs en place est de nier la réalité des révoltes? On peut dès lors présumer que la seule présence parmi les manifestants soit vue comme un défi, sinon une prise de position. Une autre difficulté peut survenir dans les pays où MSF est déjà présente. En cas de mouvements de révolte, les équipes ont ainsi du mal à agir quand leurs initiatives risquent d’être perçues par les pouvoirs en place comme une manière détournée de rejoindre la contestation.

En 2007, lors de la «révolution safran» des moines bouddhistes en Birmanie, le chef de mission déclarait que «si les blessés arrivaient auprès des équipes MSF, bien sûr, ils seraient pris en charge, comme tout le monde». Il soulignait ainsi le peu d’empressement à se porter au devant des victimes de la répression. En 2009, en Iran, la situation ne fut pas très différente et l’Association n’intervint pas lors des émeutes post-électorales. Ces deux exemples semblent montrer qu’engagée dans des relations parfois difficiles avec les pouvoirs en place, MSF souhaite parfois faire l’économie d’une confrontation supplémentaire, qui risquerait de mettre en danger des projets construits de haute lutte. Dans les deux cas, la capacité d’intervention des structures nationales a pu en partie expliquer l’inertie de MSF. Celle-ci interroge toutefois la capacité de l’organisation à comprendre le bouillonnement de la société dans laquelle elle se trouve. Elle questionne aussi la capacité d’une organisation à assumer la part symbolique de son action et les attentes qu’elle suscite: l’absence n’est-elle pas ressentie comme une marque de désintérêt par les acteurs de ces mouvements de révolte?

Pour les organisations humanitaires confrontées aux mouvements de révolte, il s’agit moins de partager des valeurs universelles ou une cause, que de montrer qu’un espace d’humanité est possible. Ces manifestations populaires apparaissent surtout comme l’occasion de questionner le mode d’intervention des ONG, leur capacité à cultiver des relations avec les réseaux de médecins locaux, à s’informer de l’évolution des mouvements de protestation et à parfois accepter l’épreuve de force avec les pouvoirs.

CRASH – MSF : http://www.msf-crash.org/