Ben Laden : après la mort symbolique, la mort réelle

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La mort d’Oussama Ben Laden marque certainement la fin d’une décennie caractérisée par la guerre globale engagée par Al Qaïda contre l’Occident et ses alliés dans le monde musulman.

Si le réseau continuait d’exister, notamment par les organisations locales qui lui ont fait allégeance, comme AQMI (Al Qaïda dans le Maghreb islamique), il était très affaibli. Les révolutions qui se sont produites dans le monde arabe, et les mouvements qui sont encore à l’œuvre ont montré à quel point le jihadisme était marginalisé dans l’esprit des jeunes qui revendiquaient liberté et justice sociale au nom des valeurs universelles.

Pour autant, cette mort physique ne signifie en rien la fin d’Al Qaïda. Son prolongement reste conditionné par la capacité d’Ayman El Zayahiri à récupérer l’aura et le prestige de Ben Laden. Mais elle dépend aussi de la capacité des systèmes politiques qui sont en reconfiguration à intégrer leur jeunesse et les populations qui sont en marge du développement.

Cette mort intervient dans un contexte international profondément modifié depuis les attentats de 2001.

Les populations arabes avaient en effet très mal vécu la théorie du clash des civilisations qui avait inspirée la politique moyen-orientale de George W Bush.

Cette politique s’était construite sur la perception d’un monde arabe réfractaire à la démocratie qui ne pouvait trouver sa place dans les relations internationales. Le pourrissement de la situation en Palestine, l’invasion de l’Irak en 2003 et la stigmatisation des musulmans où qu’ils soient avaient fait naître un ressentiment très fort contre les Etats-Unis dans le monde arabe. De même qu’elle avait rendu audibles les thèses de Zayahiri sur « l’ennemi proche », les régimes arabes corrompus,  et » l’ennemi lointain », les pays occidentaux. C’est bien à la faveur de cette dialectique que le jihad local, national et circonscrit territorialement s’est mué en un jihad globalisé avec les attentats commis sur le sol américain.

Compte tenu de cette idéologie, les islamistes qui  ont collaboré au jeu  démocratique comme les Frères musulmans en Egypte, ont été considérés comme des traîtres. Mais depuis le début de la décennie 2000, deux facteurs importants ont contribué à la marginalisation d’Al Qaïda et du jihad global d’une manière générale. D’une part, Barak Obama a dissocié l’islam et les musulmans de la lutte menée contre le terrorisme islamiste.  Il l’a fait solennellement et symboliquement à l’université d’Al Azhar le 4 juin 2009, pour décrisper les tensions qui existaient entre pays occidentaux et pays de tradition musulmane. Pour lui, cette relation, très ancienne ne peut se définir par la différence, insistant sur le fait que « le cycle de la méfiance et de la discorde soit brisé. »

Mais dans ce même discours, prononcé au Caire et par lequel il annonçait un « nouveau départ » dans les relations entre les Etats-Unis et le monde musulman, il a également insisté sur l’importance de la démocratie, en précisant qu’il fallait « conserver le pouvoir par le consentement du peuple et non par la coercition ».

Cette nouvelle posture a permis à Barak Obama de réagir très rapidement au succès de la révolution tunisienne en « saluant le courage et la dignité du peuple tunisien ».  Avec moins d’enthousiasme, compte tenu des intérêts américains au Moyen-orient, le président des Etats-Unis a également salué « le changement historique » en Egypte.

A n’en point douter les relations des Etats-Unis avec le monde arabe s’écrivaient désormais différemment et cette nouvelle attitude ne pouvait être sans effets sur les populations et la fameuse rue arabe. Mais cette rue arabe avait déjà montré durant les gigantesques manifestations qui se sont produites dans différents pays de la zone que leurs préoccupations étaient ailleurs. Les jeunes générations qui ont crié leur colère ne se sont pas revendiqué d’idéologies particulières et n’avaient pas de leaders politiques. Elles demandaient de nouvelles pratiques politiques fondées sur les libertés individuelles, la participation à la vie politique et la responsabilité des gouvernants devant les représentants des citoyens. Bref, un comportement éminemment citoyen qui s’appuie sur les valeurs universelles.

Dans ce contexte, le jihadisme s’est trouvé bien marginalisé et ses valeurs oubliées. Al Qaïda n’était même pas combattue, elle était tout simplement ignorée. Ben Laden était déjà mort.

Toutefois n’enterrons pas si vite son mouvement qui se nourrissait beaucoup des  carences de ces systèmes dictatoriaux corrompus qui ont négligé une partie importante de leurs populations. La survie d’Al Qaïda dépendra également de la recomposition politique du monde arabe et musulman et de la place qui sera faite aux moins nantis et aux jeunes qui vivaient dans le désespoir.

 

 

Khadija Mohsen-Finan

Khadija Mohsen-Finan

Khadija Mohsen-Finan, enseignante et chercheure en sciences politiques.