Mohammed VI : malgré dix ans de règne…

0
54

En juillet dernier, le Maroc a fêté, avec faste, les dix années de règne de Mohammed VI… Jeune, soucieux de se démarquer de l’autoritarisme de son défunt père et préoccupé par les inégalités sociales, le «roi des pauvres» a rapidement incarné l’espoir d’un Maroc nouveau, disposé à abandonner les archaïsmes politiques et à mettre en place une monarchie constitutionnelle.

Au-delà du style nouveau, le discours politique a largement mis en avant le changement en inscrivant celui-ci dans la transition politique. Les actions les plus emblématiques et considérées comme les plus importantes comme la réforme du code de statut personnel, la mise en place de l’Instance Equité et réconciliation ou encore la proposition du plan d’autonomie au Sahara ont été présentées comme accompagnant la transition politique.

Pourtant, si les réformes sont bien réelles, leur  lien avec la transition politique n’est pas toujours avéré. En 2004, lorsque le roi décide de réformer le code de statut personnel (Moudawana), il profite de l’affaiblissement des islamistes consécutif aux attentats du 16 mai 2003 pour s’approprier un projet préparé de longue date par les féministes et qui divisait la société marocaine en deux : les partisans du changement d’un code archaïque qui datait de 1957 et les conservateurs.

Toujours en 2004, lorsque le roi met en place l’instance Equité et réconciliation (IER), chargée de faire la lumière sur les violences commises par le pouvoir à l’égard de ses opposants entre 1956 et 1999, malgré ses insuffisances, la réconciliation a été mise en avant pour donner l’illusion qu’elle accompagnait une transition politique. Pourtant, il ne s’agissait là de produire ni vérité ni justice et le passé était bien reconstitué à partir des seules victimes et sans les bourreaux. Avec la création de l’IER, l’objectif de la monarchie n’était pas de restructurer en profondeur le système politique, mais bien de mettre en scène la transition politique et de recréer du lien social. Sur de nombreux dossiers, les effets d’annonce et les liens faits entre réalisations et modernité politiques ont certainement compliqué la perception que l’on pouvait avoir du bilan de Mohammed VI. D’une part, que ce soit en termes de développement local, d’équipements routiers, d’éducation ou de droits de la femme, il est à noter que les réalisations sont d’autant plus importantes que le Maroc avait accumulé un retard considérable. En 1999, le réseau autoroutier se limitait à 100kms. Le code de statut personnel était tout à fait dépassé et le pays comptait plus de 55% d’analphabètes.

D’autre part, les réalisations doivent être considérées avec le regard froid et distant qui s’impose. L’affichage et les effets d’annonce du pouvoir marocain ne doivent en aucun cas nous éloigner de la réalité. Si la croissance économique est bien réelle, elle n’a pas vraiment généré le développement économique attendu ni réduit sensiblement les inégalités sociales.

La création d’un espace public ne signifie pas pour autant qu’il y ait aujourd’hui une vraie liberté d’expression. Les lignes rouges demeurent,  au grand dam de ceux qui ont cru qu’il était aisé de les faire bouger. Les questions liées à  l’intégrité territoriale, à la sacralité du roi ou encore à l’islam restent extrêmement sensibles.

Au plan international le Maroc a réussi à corrigé son image largement ternie par sa gestion des droits de l’homme dans les années 1990. Il se présente aujourd’hui comme le bon élève de la gouvernance politique. Qualifié d’allié majeur de Washington non-Otan, le Maroc a conclu, en 2007, un accord de libre échange avec les Etats-Unis et un accord de 700 millions de dollars avec le Millenium Challenge Corporation (MCC) pour soutenir les projets sociaux au Maroc jusqu’en 2012.

En 2008, Rabat obtenait de l’Union européenne un « statut avancé » qui lui permettra, à terme, d’accéder librement au marché européen.

Pas de changement en profondeur

Malgré ce repositionnement sur la scène internationale et le style nouveau dans le mode de gouvernance, Mohammed VI prolonge le Maroc voulu par son père. Le changement de roi n’a pas donné lieu à une modification du système en profondeur et d’aller vers une monarchie constitutionnelle. Le roi règne et gouverne, faisant peu cas du Parlement et marginalisant totalement un gouvernement qu’il méprise au profit de ses conseillers. Le rééquilibrage institutionnel attendu et la séparation des pouvoirs ne se sont pas produits et les archaïsmes subsistent, témoignant d’une volonté de préserver les équilibres traditionnels.

Pour certains observateurs de la scène politique marocaine, c’est en accréditant l’idée que rien ne pouvait se faire sans lui que le roi a décrédibiliser les partis politiques et a crée un vide politique. Pour d’autres, c’est une question de « pratique institutionnelle », dans la mesure où les politiciens disposent de marges de manœuvre qu’ils n’utilisent pas.

Quelles qu’en soient les raisons, si les réformes engagées sont bien porteuses de modernité, elles ne sont pas révélatrices de la modernité politique et la démocratie reste au stade de projet dans un Maroc qui bouge, change sans se modifier en profondeur.

Au cours des dix années écoulées, le Palais a œuvré à améliorer l’image du pays, à corriger les abus de l’autoritarisme sans toucher aux normes et aux fondements du système. L’alternance et les changements insufflés par la monarchie ne doivent pas nous donner l’illusion que nous sommes dans une transition politique et que la démocratisation est à portée de main. L’ambiguité de la transition politique marocaine tient à la spécificité même du système. Le roi, qui est également Commandeur des croyants arbitre les différents politiques, décide de l’ouverture du système qu’il contrôle et dose à sa convenance et dispose du monopole de la violence légale.

Cette évolution est révélatrice de l’état actuel des systèmes politiques arabes, et le Maroc ne constitue pas une exception en la matière. Les régimes changent, se transforment mais ne se démocratisent pas. Le partage du pouvoir, la prise en compte des institutions politiques ou de l’espace public font partie d’une culture politique que les élites arabes refusent d’intégrer. Contrairement au modèle turc, les élites au pouvoir ne sont pas prêtes à partager la gestion des affaires politiques.

Khadija Mohsen-Finan

Khadija Mohsen-Finan

Khadija Mohsen-Finan, enseignante et chercheure en sciences politiques.