Rio +20 : Comment faire de la santé le quatrième pilier du développement durable ?

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L’idée que je souhaiterais que la France défende à Rio est simple. Depuis 1987 et le rapport Brundtland « Notre avenir à tous »[1] il est universellement reconnu que le développement durable s’appuie sur trois piliers : économique, social et environnemental. Comment est-il possible que le Dr Brundtland, elle-même médecin et ayant obtenu (comme moi-même) un Master of Public Health de Harvard, ait pu ne pas inclure un quatrième pilier sans lequel l’édifice reste fragile et branlant : celui de la santé des populations ? Sans une population en bonne santé, en particulier sans des femmes et des enfants en santé, comment espérer le développement de quelque pays que ce soit et surtout un développement qui « assure les besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures d’assurer à leur tour leurs besoins » ?

Depuis le Sommet de la Terre en 1992, quelques programmes ont inclus ces aspects de santé, tels que ceux sur la qualité de l’eau, la santé maternelle et infantile etla nutrition. Néanmoins, rien n’a été fait dans ce cadre sur la prise en charge et encore moins sur la prévention des maladies non transmissibles, qui aujourd’hui et encore plus demain seront un insupportable fardeau pour les pays les plus pauvres de notre planète. La réunion du Comité d’Experts de Haut Niveau de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur la Prévention et le Contrôle des Maladies non transmissibles en septembre2011 a reconnu l’existence de ce problème et a commencé à apporter une ébauche de solution par une résolution encourageant les pays à agir pour lutter contre le tabagisme, la sédentarité et une alimentation déséquilibrée. Cela est bien, très bien mais malheureusement cela ne suffira pas.

Les individus peuvent et doivent prendre leur santé en mains, leurs gouvernements peuvent et doivent les y aider mais il est des expositions qui ne dépendent pas des individus et auxquelles les gouvernements doivent faire face. Cela correspond aux cancérogènes, toxiques, perturbateurs endocriniens, retrouvés dans nos milieux de vie, domestiques, professionnels et de l’environnement général. Seuls les gouvernements peuvent édicter et imposer des accords internationaux, des traités ayant force de loi, pour faire en sorte que notre eau, air, alimentation et objets de la vie quotidienne et ceux des générations futures, soient autant que faire se peut, libres  de ces centaines de milliers d’agents chimiques et physiques qui ont un lourd potentiel de toxicité ou de cancérogénicité.

De même, seuls les gouvernements ont le pouvoir d’exiger des multinationales, pour des raisons d’éthique et en particulier du respect de toutes les populations, y compris les plus vulnérables, qu’elles appliquent des réglementations identiques dans tous les pays où elles sont implantées. Un cancérigène pour la population canadienne ou française est un cancérigène aussi pour la population indienne ou malienne.

Les organisations internationales existantes comme l’OMS ont longtemps
ignoré les conséquences sanitaires au long cours de la dégradation de notre environnement. Comment faire de la santé le quatrième pilier du développement durable ?

 Le 31 janvier 2012 à Paris, une conférence intitulée « Vers une nouvelle gouvernance mondiale de l’environnement »[2] était organisée en vue de préparer le  Sommet qui se tiendra à Rio du 20 au 22 juin 2012, 20 ans après le Sommet de la Terre de 1992. Y a été proposée la création d’une Organisation Mondiale de l’Environnement (OME), présentée comme un moyen de « créer le pilier environnemental qui manque à la gouvernance mondiale du développement durable… et (qui) est aujourd’hui éclaté en plus de 500 accords multilatéraux, fragmentaires et cloisonnés. »

Ayant travaillé pendant 22 années, dont neuf en tant que Responsable d’Equipe puis Chef d’Unité d’Epidémiologie pour la Prévention du Cancer au Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) – Organisation Mondiale de la Santé (OMS) à Lyon, exerçant également pendant deux années les fonctions de Directrice à titre intérimaire du Programme de Contrôle du Cancer de l’OMS, j’ai, même si j’ai exercé ces rôles en étant mise à disposition de l’OMS par l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM) et non pas en tant que fonctionnaire des Nations Unies, une expérience certaine des modalités de fonctionnement, des capacités mais aussi des difficultés de mise en œuvre des politiques de l’OMS et de façon plus globale des institutions des Nations Unies.

Je veux croire qu’une nouvelle agence des Nations Unies, comme le serait l’OME, ayant appris les leçons du passé, pourrait sans doute être plus efficace que ses prédécessrices. Pour s’en assurer, il conviendrait de penser avec la plus grande attention ses modalités de fonctionnement, mais aussi et surtout de recrutement et d’emploi. Peut-être suis-je un peu cynique, mais j’ai constaté pour l’avoir vécu parmi mes collègues (ou tout au moins ceux qui avaient eu la « chance » d’obtenir de vrais postes OMS, plutôt que des mises à disposition, bourses ou autres), que certains oublient la réalité du terrain, en particulier lorsqu’ils viennent de pays où les conditions d’activité quotidienne étaient difficiles.

Il est évidemment flatteur d’être très bien accueilli(e) au cours des missions en tant que représentant€ de l’OMS. Cela est normal mais les conditions de salaire, extrêmement avantageuses (fonctionnaire international(e) et en tant que tel(le) exempté(e) d’impôts sur les revenus dans le pays d’origine comme dans celui d’affectation), peuvent faire que le principal objectif de carrière est de rester là où il/elle/s sont, de préférence en grimpant dans l’échelle, plutôt que de consacrer toute leur énergie à la résolution des problèmes des pays.

Ceci peut être « humain » mais peut devenir dangereux quand cela rend les individus vulnérables aux pressions des gouvernements ou des multinationales, comme aujourd’hui l’industrie pharmaceutique ou agro-alimentaire, nucléaire ou de la téléphonie mobile. Ne surtout pas être lanceur-e d’alerte mais bien plutôt rassurer en affirmant l’absence de danger de technologies émergentes potentiellement néfastes pour les populations humaines et animales mais aussi pour l’environnement est une façon d’asseoir sa carrière. Puisse l’OME éviter ce type d’écueil ! En vraie Candide, j’oserais proposer que si l’OME est un jour créée, il conviendrait de revoir pour un budget fixé la répartition entre les salaires et le fonctionnement. A quoi sert un organisme comme l’OMS qui dit toujours ne pas avoir les moyens de faire de la recherche mais dont le niveau de salaire de ses dépendant-e-s est plus que satisfaisant ?

Que faire en pratique ?

Un texte de résolution des Nations Unies à écrire se devrait d’énoncer clairement des propositions telles que celles unanimement adoptées lors de la réunion préparatoire des Asturies[3], parmi lesquelles :

« 1. La prévention des expositions environnementales et professionnelles aux facteurs de risque cancérogène doit être partie intégrante de la politique de contrôle du cancer au niveau mondial. Cette prévention exige une collaboration importante entre acteurs… et entre pays, mais aussi avec la société civile et les médias.»

« 4. Tous les pays adopteront et mettront en œuvre une réglementation pour protéger les populations, en particulier les plus vulnérables, contre les cancers environnementaux et professionnels. »

« 6. Les entreprises doivent respecter toutes les règles et les réglementations en matière de prévention des cancers environnementaux et professionnels et mettre en œuvre les mêmes mesures de protection dans tous les pays où elles exercent leurs activités, qu’ils soient développés ou en développement. »

La mise en œuvre de ces mesures, si elle a lieu, aura un impact bien plus large qui dépassera le seul cadre du cancer. En fait, de nombreux cancérogènes sont également tératogènes, reprotoxiques ou toxiques pour certains organes (cerveau, reins, foie, etc.). Eliminer ces substances de notre environnement ou au minimum limiter l’exposition des populations, aura des conséquences bénéfiques significatives sur la santé des enfants d’aujourd’hui et des générations futures.

Pourquoi la France devrait-elle porter ce message à Rio ?

Pour que la conférence Rio+20 aille au-delà de la déclaration de « bonnes intentions » dont, comme chacun(e) le sait l’enfer est pavé, il faut que les gouvernements du monde adoptent des résolutions contraignantes, quantifiées et évaluables, avec un calendrier réaliste, pour aller dans la direction d’une amélioration ou au moins d’un ralentissement de la détérioration de notre milieu de vie. Il est plus que temps d’agir sur les certitudes scientifiques mais il est aussi temps d’anticiper les problèmes et d’avoir la conviction et le courage d’oser imposer le principe de précaution dans les politiques de santé et environnementale. Afficher une volonté sans faille de faire prévaloir la santé des populations, y compris des plus vulnérables sur les intérêts économiques et la scandaleuse prospérité des multinationales et de la finance qui sont les réels gouvernants du monde est un absolu et urgentissime devoir. Nous le devons aux générations futures.

En conclusion, que faire ?

Je terminerai en paraphrasant Brecht : « Lorsque vous quitterez le monde à votre tour, ayez comme souci  non d’avoir été bons -cela ne suffit pas-quittez un monde bon » en l’adaptant pour mes collègues scientifiques, médecins et de santé des populations et en écrivant : «Ayez comme souci non seulement d’être de bon-ne-s scientifiques  – cela ne suffit pas – soyez aussi des acteur ou actrices de santé des populations et des citoyen-ne-s »

(Une version non remaniée de ce texte est parue dans le Bulletin numéro 39 de l’Association des épidémiologistes de langue française (ADELF), avril 2012.Ce texte engage la seule responsabilité de l’auteure et ne saurait être considérée comme une prise de position de l’Adelf, de l’Inserm ou de l’Université Bordeaux Segalen.)

[1] « Our commom future » est un rapport paru en 1987, issu de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement constituée aux Nations Unies en 1983, et qui définit certains éléments du « développement durable » sur lesquels la Conférence de Rio « Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement » (CNUED) s’est basée.
[2] Conférence organisée au Conseil économique, social et environnemental (CESE)
[3] Le 17 et 18 mars 2011 en Asturies, en Espagne, la conférence internationale organisée par l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) “Environmental and occupational determinants of cancer : interventions for primary preventionˮ a donné lieu à un appel à l’action basé sur 7 recommandations : http://www.iarc.fr/en/media-centre/iarcnews/2011/asturiasdeclaration.php

 

Annie J. Sasco

Annie J. Sasco

Dr Annie J. Sasco, Epidémiologie pour la Prévention du Cancer, Equipe VIH, Cancer et Santé Globale, Inserm U 897, Université Bordeaux Segalen.