Vivre avec le feu

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Les feux en australieLorsque l’on parle de catastrophes naturelles, généralement l’on pense aux inondations, aux tsunamis ou aux séismes, rarement aux feux de forêt. Cependant, chaque année, des millions d’hectares partent en fumée. Les régions les plus touchées dans le monde sont la Côte d’Azur, la Californie et l’Australie, en raison de leur climat et de leur végétation. L’Eucalyptus australien, par exemple, contient de l’huile, ce qui le fait exploser dès qu’il s’enflamme. Les conséquences des incendies et leur ampleur dépendent en grande partie des conditions météorologiques. S’il vente, le feu peut dévorer 4 kms carrés de forêt en une demi-heure.

Certains feux sont qualifiés de désastres par les autorités. Ce fut notamment le cas en 2009 lorsque 173 personnes ont perdu la vie et 500 ont été blessées dans un incendie géant dans l’état du Victoria. Ce jour est maintenant appelé « le samedi noir » et a causé plus de 2,5 milliards de dollars de dégâts. Depuis, des mesures de précautions spéciales ont été mises en place. La tâche est gigantesque car, tous les ans, les autorités ont à faire face à quelques 54 000 feux de brousse à travers le pays. 50% de ces feux sont délibérément allumés et le droit australien est particulièrement sévère face à ce phénomène. Les peines de prison vont de 10 à 25 ans et, si le feu entraine la mort d’une ou plusieurs personnes, le pyromane sera accusé de meurtre et risquera l’emprisonnement à vie.

Causes des feux de végétation

Mais, dans ce domaine comme dans d’autres, la société australienne mise principalement sur la prévention afin de se prémunir de ce genre de catastrophes. L’outil le plus visible est le « fire danger rating », un panneau situé à l’entrée de pratiquement chaque ville et localité qui prévient du potentiel risque d’embrasement. Cet indice se base sur les prévisions météorologiques pour, non seulement établir les probabilités qu’un feu de brousse se déclare, mais surtout pour évaluer les éventuelles conséquences en cas d’embrasement. Car parallèlement à cet outil, les familles australiennes vivant dans une zone à risque sont incitées à se préparer en cas d’incendie. Cela se nomme le « plan de survie aux feux de brousse ».

Pour évaluer le risque qu’elles encourent, les familles australiennes doivent se poser quelques questions : – Vivent-elles dans ou près de la brousse ? – Leur localité a-t-elle déjà souffert de feux de brousse ? – Y a-t-il des arbres ou arbustes dans un périmètre de 20 mètres autour de leur maison ? – Leur maison est-elle construite sur une pente ? – Leur plan de survie date-t-il de plus d’un an ? Si elles répondent oui à l’une de ces questions elles ont besoin d’un « plan de survie aux feux de brousse ». Il y a donc de fortes probabilités qu’une famille vivant quelque peu à la campagne ait besoin de ce plan. Cet exercice est des plus sérieux, il est conseillé de marquer explicitement le comportement à avoir en cas de feu et selon différents niveaux dangerosité.

Cependant, lorsque le danger se trouve au niveau extrême ou catastrophique, il est conseillé de fuir pour survivre, car même des habitations très bien préparées ne pourraient résister à la férocité des flammes. Les Australiens sont donc très conscients des dangers qui les entourent. Dans cette optique, l’éducation nationale est aussi mise à contribution et un programme appelé « disaster resilience education for schools » a été mis en place. Les élèves peuvent ainsi apprendre comment réagir face à différentes catastrophes naturelles .

Que ce soit les sécheresses, les feux, les inondations, les tsunamis ou encore les virus ; tout est détaillé de manière didactique afin d’identifier les phénomènes, de les comprendre puis, d’y faire face. De nombreuses brochures sont également distribuées dans les centres d’information et des panneaux explicatifs sont installés dans les zones à risques. Lorsque l’on se réfère aux statistiques, 35% des feux ont des causes accidentelles, ce qui signifie qu’environ 20 000 feux de brousses pourraient être évités chaque année si les comportements individuels (jets de mégots, feux de camps non maîtrisés, étincelles…) étaient plus modérés et prudents.

La prévention à donc toute son importance pour sauver des vies et minimiser l’impact des feux, mais aussi pour agir en amont et minimiser les risques d’embrasement. Peut-être est-ce cette conscience du danger qui fait que de très nombreux Australiens s’engagent en tant que volontaires dans des services de secours d’urgence ou de lutte contre le feu. Les volontaires sont un maillon essentiel dans la lutte contre les feux, en particulier dans les zones rurales et isolées où les services publics sont peu implantés. Ils sont regroupés au sein de « Bush Fires Brigades » , administrées par les gouvernements locaux et entraînées par des pompiers professionnels. Ainsi ils ont les compétences pour se servir d’engins de lutte contre le feu si l’occasion se présente, effectuer des soins de premier secours et organiser les procédures d’évacuation.

A côté de ces mesures d’urgence, les volontaires ont également un rôle essentiel dans la prévention. Les volontaires sont donc le premier rempart, au niveau communautaire, contre les feux. Une fois encore, la résilience d’une société s’articule entre les orientations globales mises en œuvres par une autorité supérieure (un gouvernement national ou fédéral), les mesures locales et les comportements individuels.

Pour se prémunir d’un risque connu,
les communautés s’organisent et agissent en conséquence

Mais, paradoxalement, les incendies sont également bénéfiques, voire vitaux pour les éco-systèmes. Ils permettent d’éliminer les arbres trop vieux et stérilisent les terres pour les jeunes pousses. Et contrairement aux tornades ou aux ouragans contre lesquels il y a peu de choses à faire, à part tenter de minimiser leurs conséquences sur les infrastructures et les vies humaines, les incendies peuvent être maitrisés et contrôlés.

Dans ce domaine, les autorités australiennes ont appris de l’expérience d’un peuple qui connaît le pays et sa nature plutôt bien, car ils vivent ici depuis plus de 20 000 ans, les Aborigènes qui maitrisent depuis des générations la technique du brûlis. Ainsi, avant chaque saison sèche (où le risque de feu de brousse est le plus important), des feux de brousse sont allumés volontairement afin de minimiser le risque de feux « sauvages ». C’est la technique du « back burning » qui a donc le double avantage d’être bénéfique pour l’environnement (certaines graines ne germent que lorsque la terre atteint une certaine température et ont donc besoin du feu pour se développer) et de participer à la prévention des risques de feu.

Ce phénomène est assez impressionnant à observer, parfois des dizaines de feux sont allumés simultanément et semblent laissés à l’abandon. Les hautes herbes brûlent lentement, parfois pendant plusieurs jours ; et il n’est pas rare de croiser des souches d’arbres morts fumantes au milieu d’une plaine calcinée alors que les arbres alentours n’ont que le tronc roussi et que de jeunes poussent reprennent déjà le dessus.

Cette technique demande une compétence bien particulière et est d’ailleurs régulièrement remise en cause lorsque que l’un de ces feux contrôlés devient incontrôlable. Pour ce faire, les autorités australiennes se sont donc tournées vers les communautés aborigènes qui maitrisent le « back burning » depuis des temps ancestraux. Des feux étaient allumés pour plusieurs raisons : en cas de cérémonie, pour communiquer, pour faciliter les voyages, pour l’horticulture ou encore pour la chasse. Ils ont donc appris à maitriser les feux et cela a eu pour effet de réduire les risques majeurs en limitant la quantité de carburant naturel que sont les herbes sèches.

Le résultat est appelé  » mosaïque de cultures » car certaines espèces étaient brûlées alors que d’autres se développaient, ce qui avait pour effet de gérer la quantité de nourriture disponible pour les communautés aborigènes elles-mêmes comme pour les proies qu’elles chassaient. Ces mosaïques ont ainsi l’avantage d’être des barrières anti-feu naturelles (en coupant l’ alimentation en carburant du foyer) et permettent donc de contenir les feux.

Lors de la colonisation européenne, de nombreux Aborigènes furent déplacés, ce qui a mis un terme relatif à ces pratiques et a entrainé une modification de la flore. Cependant la pratique ne disparut pas complètement car les exploitations agricoles qui se sont installées utilisaient toujours le feu, en particulier pour le foin, et comme les travailleurs étaient bien souvent aborigènes, certaines techniques ont perduré mais de manière simplifiée.

Tout au long du 20ème siècle les feux se sont alors fait plus menaçants, notamment durant les années 20, 50 et 70, ce qui a poussé les autorités à repenser leurs pratiques, comme par exemple  le brûlis préventif. Les Aborigènes étaient ainsi les mieux placés pour conseiller les autorités.

Leurs techniques, ils les tenaient du bon sens. Ils savaient quoi brûler et quand le brûler. Les herbes ne doivent pas être trop sèches afin que le feu ne s’embrase pas trop rapidement, certaines parcelles doivent êtres brûlées en premier en attendant que les zones inondées puissent l’être ; ces premières parcelles deviendront alors des remparts naturels lors des prochains feux. Ces connaissances, ils les tiennent d’une obligation vitale : le feu permettait de découvrir certaines proies (marsupiaux, lézards et insectes) ou d’en diriger d’autres, plus grosses (kangourous et émus) vers un groupe qui les attendait, lances à la main. Mais leur maitrise vient aussi du profond respect qu’ils ont pour le feu, qui fait partie intégrante de leur spiritualité et qui joue un rôle majeur dans leurs cérémonies.

Ainsi, si le feu sacré lave leur esprit lors de rituels dansants, les feux de brousse lavent celui de la terre et permettent à la nouvelle génération de se développer. Le feu n’est donc pas vu comme un ennemi destructeur mais comme un esprit bienveillant malgré son caractère impétueux. Ainsi, sur les territoires aborigènes d’aujourd’hui, là où les traditions sont encore respectées, le brûlis joue un rôle vital dans la prévention des feux de brousse géants. Alors nous pouvons dire que ces territoires aborigènes, qui ne sont pourtant pas exempts de critiques, font partie de la résilience australienne contre les feux de brousse.

Cependant certaines communautés déplorent que des parties du pays traditionnellement habitées par des tribus soient désormais désertées par les jeunes du fait de l’exode rural. Ces jeunes perdent alors les connaissances traditionnelles et, quand ils reviennent sur leurs terres, le carburant naturel que sont les herbes sèches a proliféré des années durant et les conséquences d’un mégot de cigarette jeté, d’un feu de camp ou de chasse non maitrisé peuvent être dévastatrices. La thématique du feu nous donne un très bon exemple de coopération entre les communautés aborigènes et les descendants des colons européens.

Dans les Territoires du Nord, en particulier, la plupart des parcs nationaux sont cogérés par le gouvernement local et par la communauté aborigène (propriétaire ancestral du territoire du parc) et de nombreux rangers sont issus de ces communautés. C’est ainsi que la coopération s’exprime pleinement grâce à un apprentissage et à une mise en œuvre de techniques ancestrales dans le domaine de la gestion du feu. Les parcs nationaux sont d’ailleurs les lieux privilégiés de la défense et de la promotion de la culture aborigène. Très souvent des sites sacrés y sont préservés et présentés au public et des guides aborigènes sont là pour donner des explications sur les mœurs et la culture des communautés.

Certains diront que c’est l’arbre qui cache la forêt dans une société encore fortement marquée par les discriminations, et que les Aborigènes vivent en majorité dans des conditions de vie qui sont contraires aux droits de l’Homme, en particulier pour un pays dit développé et riche. D’autres diront que c’est un bon début et que la voie de la reconnaissance est ouverte. Gageons que le plus dur reste à faire mais qu’au moins des avancées sont faites, des deux côtés, sur le chemin de l’acceptation mutuelle et du bien être partagé.

Lucas Corsini

Lucas Corsini

Jeune diplômé en Coopération et Solidarités Internationales, Lucas Corsini travaille sur une cartographie mondiale des solidarités via le site internet unlimited-projects.org. Passionné d’économie sociale et solidaire il se spécialise aujourd’hui dans le secteur de l’énergie.

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