Trans’miles : à la découverte des acteurs de la citoyenneté et de la solidarité

0
248

Logo TransmilesAu mois d’avril dernier, les deux étudiantes en Coopération et Solidarité Internationales (Université d’Evry-Val-d’Essonne / UEVE-CSI) que nous sommes, Stéphanie et moi-même, sommes parties à la découverte des acteurs de la citoyenneté et de la solidarité, dans les pays que traverse le mythique Transsibérien : la Russie, la Mongolie, et la Chine.

Démarche et tracas…
C’est lors de nos recherches de stage respectifs en Asie que le projet « Trans’miles » est né. Nous n’avions pas envie de survoler un continent si méconnu par avion, nous voulions le découvrir. Pour chacune, un rêve d’enfant se réalisait : embarquer à bord du transsibérien. Mais à l’origine de notre épopée viendra s’ajouter un constat : nos formations ne nous ont pas permis d’acquérir des connaissances suffisantes sur ces pays souffrant d’une image hostile, et pour lesquels la solidarité prend une toute autre dimension. L’image bien trop redondante d’une coopération nord/sud qui se limiterait à la construction de puits en Afrique nous a poussé à dépasser ce cadre limité qui défini une forme de solidarité bien rodée et peu innovante. Nous nous sommes donc interrogées sur lesEtudiantes en solidarité internationale actions menées par nos homologues sibériens. Tout naturellement, nous avions envie de les identifier et de les rencontrer. Ni une, ni deux, la machine était lancée. La préparation du projet a débuté en novembre 2011. Cette année n’a pas été de tout repos et les rebondissements n’ont pas manqué. Au programme : élaboration du projet et du budget prévisionnel, recherche de financeurs, de médias, et de partenaires, démarche administrative
pour les visas (la Russie ne nous a pas rendu la tâche facile !) et surtout prises de contacts avec les personnes que nous souhaitions rencontrer sur place. A ce stade du projet, Gwenaëlle nous a rejoints. Nous étions donc trois personnes mobilisées pour le projet, parallèlement à notre master 2, nos recherches de stage et nos engagements associatifs respectifs. Certains partenaires nous ont fait faux bond, Gwenaëlle a dû se détacher du projet car son stage débutait plus tôt que prévu et 50% des financements sont arrivés alors que nous étions déjà parties. A plusieurs reprises nous avons envisagé d’abandonner le projet. Au final, une année scolaire d’angoisse permanente et de surcharge de travail mais avec à la clé, une des plus belles expériences de notre vie. C’est aussi ça un projet étudiant : pour un mois d’accomplissement, nous avons bataillé pendant six mois sans relâche. Mais le 5 avril 2012, nous étions ENFIN dans l’avion, prêtes à décoller vers notre première étape : Moscou.

Moscou :

Ce qui nous a sauté aux yeux à notre arrivée, c’est ce paysage encore très marqué par l’ère soviétique. Les rues sont divisées en blocs avec des tranches de numéros du type 15/26. Allez comprendre quand vous êtes habituées aux numéros pairs d’un coté et impairs de l’autre. Et bien sûr, le tout écrit en cyrillique. Se repérer dans les rues n’a pas été chose facile. C’est là où nos préjugés sont tombés : les russes ont été aimables, accueillants etSerge Davidis serviables. Ils nous ont aidées et même accompagnées jusqu’à notre auberge après deux heures d’errance. Notre première soirée parmi eux à confirmé notre idée des us et coutumes locaux : la vodka coulait à flot.
Dans la capitale, nous avons, entre autre, rencontré Alexander Cherkasov, coordinateur de programme au Centre des Droits de l’Homme de l’organisation Memorial. Chargé du programme d’information « hot spots », Alexander enquête sur les violations des droits de l’homme dans les zones de conflits. Lui et les autres coordinateurs réunissent chaque jour des informations sur les prisonniers politiques, les otages, les personnes disparues Alexander Cherkasovou exécutées au cours de conflits sur le territoire de l’ex-Union soviétique ; ils s’évertuent ensuite à transmettre ces informations au public, aux medias, aux politiques. Nous avons également rencontré Sergey Davidis, directeur du programme de soutien et de défense des prisonniers politiques dans la Russie moderne de la même organisation et co-fondateur de l’union solidaire pour les prisonniers politiques.

Nous avons quitté Moscou plus motivées que jamais à découvrir le reste de ce vaste pays et c’est grâce à la rencontre inopinée de deux francophones au guichet de la gare que nous nous munissions de
nos premiers billets de train, direction Tomsk.

 

Tomsk :

Cette ville, je la sentais faite pour nous dès le début… et j’avais raison ! Après avoir dépensé ¼ du budget à Moscou, nous nous sommes dit qu’il fallait passer au plan B : Couch surfing. Un dénommé Andreï, journaliste de la seule chaine télévisée indépendante du pays, nous attend à la gare. Notre hôte nous emmène faire une balade dans Tomsk, ville réputée pour son architecture traditionnelle mais également connue pour son université et la vie étudiante qui l’accompagne. Andreï nous a accueilli non seulement chez lui, mais a tenu à nous faire découvrir son quotidien et son entourage dont Yana, une amie russe également journaliste, et Pierre, un ami belge qui enseigne le français à Tomsk. Tout deux ont accepté de nous servir d’interprètes pour notre interview du jour.

Nous rencontrons Polina et Sasha qui travaillent pour l’ONG Siberia Aids Aid, dont le public principal sont des homosexuels vivant avec le VIH. Le gouvernement voudrait que les enfants n’aient pas de relations sexuelles avant 18 ans. La sexualité est un sujet qui n’est pas abordé. De ce fait, Siberia Aids Aid a été amené à faire de l’éducation sexuelle auprès de ce public. Malheureusement, l’Etat et les parents n’adhèrent pas et vont même jusqu’à considérer leur intervention comme une forme de propagande à l’homosexualité. Cinq régions de Russie ont adopté une loi contre ce genre d’action. Leur excuse ? La Russie a un déficit démographique. Il ne faudrait pas entrainer les jeunes vers une orientation sexuelle qui les empêcheraient de procréer.

Au fur et à mesure des rencontres, nous prenons conscience des risques que prennent ces personnes pour défendre leurs droits dans ce pays où les droits des minorités ne sont pas respectés. Leur engagement est admirable et entier car leur militantisme met quotidiennement leur vie en danger. L’atmosphère froide et hostile de la Sibérie nous pèse. Nous sommes dorénavant impatientes de joindre la Mongolie. Et c’est après quelques jours d’éco-tourisme au bord du lac Baïkal que nous arrivons à la frontière, après deux semaines de vadrouille.

La Mongolie :

Oulan-Bator, la capitale, est une grande mégalopole située au creux des montagnes enneigées. Une ville posée au milieu des pleines désertes de Mongolie, où se sont développés à vitesse grand V routes, buildings et centresEtudiante Transmiles
commerciaux. En périphérie du centre, des gers dispersés parmi des maisons en bois. Un avant gout d’Asie tout de même : des marchands de toutes sortes sur les trottoirs, des taxis déconseillés la nuit, des visages abimés par le quotidien, des sourires édentés. Nous décidons de partir à la découverte des steppes, à Terelj, au nord est d’Oulan-Bator. Au vu de la complexité de partir seules, nous préférons passer par une agence. Le principe : Aller de ger en ger. Nous sommes accueillis pas des locaux, ne parlant pas un mot d’anglais. Au programme : activités de la ferme, ballades à cheval et en ox card (charrue tirée par un buffle) et tâches quotidiennes. On se rend vite compte que cette dernière activité prend un temps considérable sur une journée : couper le bois pour chauffer le ger, tirer le lait, aller chercher l’eau à la rivière, cuisiner sur le poêle, confectionner des vêtements, etc. Le thermomètre oscille entre 0 et 5°c. Pour eux, c’est le printemps.

Outre ces locaux avec qui nous avons partagé des moments de vie, nous avons fait la connaissance Altangerel Otgonchimeg, surnommé OTGO. Otgo est coordinatrice du Child Friendly Kindergarten project pour l’ONG internationale Save the Children. Il s’agit d’un programme d’éducation, le seul en son genre en Mongolie, qui concilie l’amélioration des conditions d’hygiène et de sécurité des établissements scolaires, la formation des instituteurs de maternelles et la prévention auprès des parents. Les problèmes d’éducation sont à prendre au sérieux dans cette ville où il y a 45 enfants par classe. Beaucoup de parents ne peuvent pas payer les 20 000 MNT qui leur sont demandés. Otgo a donc eu l’idée d’instaurer une forme de coopération parentale. Les parents créent une association de parents d’élèves et donnent de leur temps pour l’organisation d’activités extrascolaires.

C’est avec regret et appréhension que je quitte ce merveilleux pays qui semble être à des décennies de notre mode de vie occidental, véritable Eldorado pris en étau par ses deux géants de voisins. Nous nous dirigeons alors vers notre dernière étape, et pas des moindres : la Chine.

Pékin :

Etudiante Transmiles fraternitéNous avons été vraiment surprises par cette ville agréable et calme que nous imaginions chaotique. La ville a subi une transformation radicale à l’occasion des jeux olympiques en 2008. Le stade en lui-même est une œuvre architecturale, et la piscine olympique qui lui fait face également. Les transports locaux ont été modernisés. Les métros sont flambants neufs et tout est traduit en anglais. Des grands centres commerciaux et des avenues dignes des Champs Elysées ont vu le jour un peu partout dans la ville, et les marques de luxe ont envahie le marché. Le deuxième grand changement, et il faut sortir de la ville pour s’en rendre compte, a été l’élimination radicale des bidonvilles dans le centre. Les habitants originaires de Pékin, qui ont donc un droit de propriété, se sont vus offrir une compensation pour quitter les lieux. Les autres ont simplement été chassés en périphérie. Il ne reste que quelques mendiants aux abords des métros. Pékin a été « nettoyée » pour accueillir un flot de touristes et en a perdu toute sont authenticité.

Nous avons eu beaucoup de difficultés à élaborer des contacts avec les ONG chinoises. Tout d’abord, nous arrivons à Pékin le 1er mai, jour de la fête du travail, qui est une institution en Chine. De fait, beaucoup de personnes se sont absentées quelques jours hors de Pékin. Mais il n’y a pas que ça, et nous le comprendrons grâce à Jérémie, chargé des événements et rassemblements culturelles et solidaires à l’ambassade de France. Jérémie ne connait aucune association enregistrée, c’est-à-dire les organisations étatiques qui peuvent percevoir des avantages, surtout financiers, du gouvernement. D’après lui, les trois quarts des organisations ne sont pas officielles. Elles sont dans ce qu’il appelle la « zone grise ». Ce sont des organisations clandestines.
Le parti communiste chinois considère qu’il protège les droits de l’Homme puisque de façon générale on ne meurt plus de faim en Chine aujourd’hui et que l’amélioration de l’accès à l’éducation et à la santé est une de sesEtudiante Trasnmiles priorités. En effet, c’est une volonté exprimée par l’Etat d’avoir un système associatif efficace en la matière. Mais il faudrait que celles-ci se limitent à ces champs d’actions. Tout ce qui sort du cadre autorisé serait très mal venu. Autres priorités pour le gouvernement : la croissance et le maintien de la paix sociale. Pour ce dernier point, selon les régions, on essaye de trouver des compromis pour éviter les débordements, ou on emploie la manière agressive en faisant taire les manifestants par la force. Il est impossible pour les organisations internationales de travailler sur les Droits de l’Homme en Chine depuis la Chine. Les ONG les plus actives sont basées à Hong Kong. D’autres organisations s’y rendent en prétextant un voyage touristique. Certaines développent des programmes avec des associations chinoises non-officielles. Le parti chinois tolère ces dernières mais les surveille de prêt. Certaines ont même un espion attitré. Lorsque l’une d’elles commet l’erreur de contredire ou de s’opposer ouvertement au parti, elle est régulièrement contrôlée et ses membres peuvent se voir arrêtés.

Etudiantes en soliraité internationaleCe constat alarmant nous montre une fois de plus le manque qu’affichent certains pays en matière de solidarité, quand d’autres croulent sous les aides et les programmes de développement. Pourtant, des personnes se battent tous les jours, sans relâche, pour faire respecter leur droit et faire entendre leur voix. Ces personnes, citées dans l’article, et d’autres : militants, journalistes, bloggeurs ou membres d’associations, nous avons choisis de les appeler les « citoyens acteurs ».

Et après ?

Grâce à ce projet et à tout ce que nous y avons appris professionnellement et humainement, nous voyons d’un œil différent ces pays et nous savons désormais qu’une coopération est possible. Des initiatives sont menées de front et ont plus que jamais besoin de soutien et d’appui de l’occident. Cette prise de conscience nous amène à repenser nos formations et à encourager les démarches engagées des futurs professionnels de la solidarité que nous sommes.

En août, deux autres étudiants se sont lancés à la rencontre des associations au Népal et en Inde dans un projet : « De l’Himalaya à Goa ». Soucieux de mutualiser nos réseaux et de pérenniser ce type d’action, nous nous sommes regroupés en un collectif, Unlimited projects, qui, je l’espère, donnera envie aux étudiants de nos cursus de revisiter leur formation, à leur image.

Le 21 novembre dernier, Trans’miles a reçu le 3ème prix des meilleurs projets d’action financés par les CROUS de France.
http://transmiles.blog.youphil.com/
http://unlimited-projects.org/

Solène Paloma

Solène Paloma

Solène Paloma est étudiante en Coopération et Solidarité Internationale. A l’origine notamment, du projet Trans’Miles.