Couvrir les migrations : des journalistes se mobilisent…

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Quand les journalistes des pays de départ, de transit et d’arrivée des migrants font le bilan de cinq années de couverture médiatique des mouvements migratoires : quelles leçons peut-on tirer? Quels « remèdes » peut-on proposer ? Quels défis doit-on relever ?

 

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Dès lors qu’il arrive du Mali ou du Nigéria, par voie terrestre de surcroit, le migrant est assimilé à un clandestin. S’il est installé en France, qu’il arrive d’Afrique de l’Ouest, pour peu qu’il travaille dur, il devient alors un acteur de développement à qui l’ont veut dicter la manière d’optimiser les transferts de fonds au profit de son pays d’origine.

Mais s’il est européen et qu’il travaille en Afrique, ou dans n’importe quelle région du monde, le migrant revêt cette fois l’apparat d’un expatrié. Souvent riche, s’il est installé au  « Sud », il œuvre aux yeux de tous pour le développement économique d’une zone déshéritée.

Les médias et les discours politiques dominants alimentent la construction d’un imaginaire collectif autour des migrations. Les médias véhiculent souvent une image d’un exode massif et croissant d’Africains ou de Sud américains désespérés fuyant la pauvreté, les conflits, les famines, et distillent ainsi le spectre d’une menace à endiguer pour préserver la stabilité des pays industrialisés.

Des décennies de ce traitement médiatique  ont abouti à l’exacerbation des polarisations Nord/Sud où des lignes de fractures comme les rives de la Méditerranée, ou la frontière américano-mexicaine, sont devenues dans l’inconscient collectif les nouveaux rideaux de fer qui protègent le Nord de la pauvreté menaçante du Sud.

Le phénomène migratoire est quotidiennement illustré par de pathétiques spectacles d’embarcations de fortune où des migrants entassés tentent au péril de leur vie d’atteindre l’Europe, cet infranchissable et mythique « Eldorado ».

Les solutions politiques préconisées se résument invariablement à réduire  les flux en intensifiant les contrôles aux frontières et les mesures contre le trafic et le passage en fraude, associé  à la criminalité.

Cette politique de contrôle des frontières, très lourde de conséquences sociales, humaines et économiques, structure désormais les relations entre les pays de l’Union européenne et les pays « émetteurs » de migrants. A titre d’exemple, l’aide publique au développement est aujourd’hui conditionnée par un meilleur contrôle des frontières dans les pays de départ.

Les enjeux des mouvements migratoires constituent une fenêtre d’observation essentielle pour comprendre l’évolution du monde contemporain, les nouvelles relations internationales et les rapports de force géopolitiques. Or le tableau dominant masque toute la complexité des migrations internationales et surtout le caractère positif maintes fois démontré des migrations.

Le rôle des journalistes

Face à ce sinistre tableau, que peuvent les journalistes ? La réponse est simple: beaucoup ! Les modalités d’action sont en revanche plus complexes. Pour l’Institut Panos Paris (IPP), qui tout en œuvrant pour le pluralisme et l’indépendance des médias, privilégie la professionnalisation des journalistes sur quelques axes thématiques sensibles, dont celui des migrations, cela passe au préalable par un véritable travail d’introspection.

En faisant eux même l’analyse de quelques productions, articles reportages couvrant les migrations, les journalistes font des constats parfois cinglants sur leurs propres pratiques. Ils soulèvent les écueils et analysent les contraintes qui obstruent un travail professionnel, notamment la quête d’objectivité.

Au cours des derniers ateliers organisés par l’IPP une quinzaine de journalistes provenant des pays de départ, de transit et d’accueil des migrants ont ainsi confronté leurs analyses du traitement médiatique des questions migratoires. Le choix des mots, la fiabilité des chiffres, le recoupement des sources, tout est passé au crible.

A travers les rencontres avec une diversité  d’acteurs œuvrant dans le secteur des migrations (politiques, académiques, associatifs…), les journalistes déconstruisent peu à peu les idées galvaudées, interrogent plus finement les sources et leur agenda déclaré ou non.

Comment sortir des clichés ? Comment aborder les migrations sans tomber dans les nombreux pièges de l’information spectacle, des discours victimaires, des dossiers alibis sur la migration positive ? Comment parler des migrants sans les stigmatiser ? Quels sont les vrais enjeux qui sous tendent les mouvements de population ? A qui profitent les sans papiers ? Quels sont les instruments juridiques  internationaux qui défendent les droits fondamentaux des migrants et les protègent ? Pourquoi finit-on par régulariser des sans papiers ? Combien coute le contrôle des frontières ? Est-il efficace ? Est-il compatible avec les droits humains ?

 

Donner un visage plus humain aux migrations

A toutes ces questions, qui sont autant de défis pour l’ensemble de la profession, Ghania Mouffok, une journaliste participant à un atelier organisé en janvier 2009 à Séville, répondait: «le rôle des médias est de déconstruire, au lieu de le reproduire, de questionner les politiques de nos gouvernements qui nous engagent et engagent nos pays.

Critiquer la représentation imposée par les gouvernements du migrant ne relève pas seulement de l’humanitaire mais également au droit d’exercer notre métier librement. Notre rôle est d’informer sur les véritables enjeux, de rendre visibles des politiques à l’œuvre dans nos pays, des questions nous engagent également en tant que citoyens : chaque fois que la liberté d’informer, nos libertés, les droits de l’Homme sont bafoués, ce sont de nos propres libertés qu’il s’agit. La manière dont nous traitons les migrants renvoie à notre propre citoyenneté.»

De là, sont nés des propositions novatrices, des projets éditoriaux  décalés, originaux, avec, in fine, des reportages de terrain permettant de les concrétiser. L’un des caps choisis par les journalistes est de donner un visage plus humain aux migrations, de privilégier les témoignages, le vécu ; de donner à comprendre les causes de l’exil et leur interrelation avec l’économie mondialisée, les questions sociales, les choix politiques. In fine quels sont les différents enjeux qui sous-tendent aujourd’hui les politiques migratoires.

Parler des migrations c’est aussi parler des liens entre la gestion des stocks de poissons, la dégradation des richesses halieutiques, la pêche industrielle et l’impact de ses pratiques sur la pêche artisanale. Informer sur les migrations c’est aussi raconter l’histoire de la barque de Babacar F., pêcheur sénégalais ruiné, devenue aujourd’hui une patera, se dirigeant tout droit vers les îles Canaries.

 

Latifa Tayah

Latifa Tayah

Responsable du programme Maghreb/Machrek – Pluralisme des médias en Méditerranée à l’Institut Panos Paris (I.P.P)