Les dérives autoritaires du régime de Vladimir Poutine et les menaces qu’il fait planer sur la paix en Europe ne peuvent servir de prétexte pour esquiver certaines questions, notamment sur la stratégie suivie par l’UE face à l’Ukraine et à la Russie. Est-il vrai que l’Accord d’association proposé par Bruxelles à Kiev a, de fait, mis l’Ukraine entre deux feux, en contraignant ce pays à choisir entre la Russie et l’Occident ? Malgré undébat initialement très manichéen, plusieurs commentateurs occidentaux commencent timidement à manifester des doutes, qui méritent d’être approfondis. Retour sur les origines d’une crise.
Vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, un constat saute aux yeux : la résolution de plusieurs crises internationales demeure encore tributaire des relations entre l’Occident et la Russie. En Libye, en Syrie, en Iran, en Ukraine et peut-être même dans les Balkans, les rapports entre Moscou et les pays occidentaux semblent toujours faire le bon ou le mauvais temps. Que cela plaise ou non, cette donne géopolitique est un fait qui, pourtant, n’a pas été dument pris en considération par les Américains et les Européens depuis 1989.
Dans un article publié dans Le Monde du 5 mars 2014, Andreï Gratchev, ancien conseiller du prix Nobel pour la paix Michael Gorbatchev, se plaignait du fait que l’Union européenne avait exclu la Russie de son Partenariat oriental. Cette mise au ban aurait alimenté davantage la frustration de Moscou qui, depuis les guerres balkaniques, en passant par l’élargissement de l’OTAN, par l’affaire du bouclier antimissile et par la gestion de la crise libyenne, n’a fait que s’accroitre au fil du temps. Ainsi, alors que de nombreux observateurs occidentaux tendent à comparer la politique du maitre du Kremlin à celle d’Hitler dans les années 1930, Andreï Gratchev semble vouloir nous dire que le contexte actuel ressemblerait plutôt à celui des années 1920, lorsque les pays qui gagnèrent la Première Guerre mondiale imposèrent au perdant (qui par ailleurs n’avait pas été totalement vaincu) l’impitoyable et aveugle loi du vainqueur.
Les propos de Gratchev ont trouvé indirectement un écho dans les paroles écrites par Henry Kissinger et publiées par le Washington Post le même jour, le 5 mars dernier. En commentant la crise ukrainienne, l’ancien Secrétaire d’État américain remarquait que Kiev avait de fait été contrainte à choisir entre deux camps opposés. Selon lui, l’Ukraine a été considérée comme une frontière entre l’Occident et la Russie, alors qu’elle aurait dû représenter un pont liant ces deux mondes. Le ministre des Affaires étrangères allemand, Frank-Walter Steinmeier aurait tenu des propos similaires(1).
Quelques mois avant eux, Arnaud Dubien, directeur de l’Observatoire franco-russe, avait déjà tiré la sonnette d’alarme : « L’Ukraine est un pays très morcelé, aux identités multiples, et qui ne peut effectuer de choix tranché, que ce soit en faveur de l’Occident ou de la Russie »disait-il le 22 novembre 2013, en ajoutant enfin que « l’une des erreurs de Bruxelles a été de lui demander de le faire et de tourner de fait le dos à la Russie, une option suicidaire pour le pays »(2).
Les dérives autoritaires du régime de Vladimir Poutine ne peuvent servir de prétexte pour ignorer ces observations et pour esquiver tout questionnement au sujet de la stratégie européenne face à l’Ukraine et à la Russie. De telles interrogations, d’ailleurs, commencent timidement à se frayer un chemin dans un débat qui s’était imposé initialement comme très manichéen. L’Ukraine a-t-elle réellement été mise entre deux feux ? L’UE a-t-elle quelque chose à se reprocher dans la gestion de ses relations avec la Russie dans ce contexte ?
(1) « US and EU prepare to strike Russian banks, energy firms », EuObserver, 9 avril 2014.
(2) Le Monde du 22 novembre 2013.
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Federico Santopinto
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