Egypte 2010 : après les élections législatives, un parlement sans opposition…

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Les élections législatives qui viennent de se dérouler en Egypte confirment que le pouvoir continue, peut-être même au-delà de ce qu’il souhaitait, de contrôler étroitement la vie politique du pays. Cependant, certains espéraient une certaine ouverture du régime permettant à l’opposition d’avoir une place qui, même modeste, aurait pu faire illusion et servir de caution démocratique.

Ces élections se sont déroulées dans un climat politique tendu. Dans l’opinion publique,  un profond sentiment de frustration et de mécontentement s’est développé. Le renouvellement de l’état d’urgence, le vote d’amendements constitutionnels réduisant le pouvoir des juges dans le processus électoral, l’arrestation d’opposants y compris de partis modérés, le renforcement de l’emprise sur les médias ont marqué la période précédant les élections.

Dans le même temps, le président Moubarak faisait comprendre à la communauté internationale, et notamment aux Etats-Unis, que la seule alternative à son pouvoir était celle des Frères Musulmans : il insistait sur le fait que ceux-ci étaient «soutenus par l’Iran». Les quelques partis modérés, en particulier le Wafd, parti historique qui avait dominé la scène politique dans les années 1930, étaient étroitement surveillés et réprimés

Sur le plan économique, la crise n’a eu certes qu’un impact limité et  le plan anti-crise lancé en novembre 2008 a permis de maintenir une croissance molle de l’ordre de 4 à 5 %. Cependant elle  n’a pu contribuer à résorber un chômage persistant, notamment au niveau des jeunes. Dans le même temps, les inégalités sociales – près de 20 % de la population vit avec moins de 2 $ par jour – et géographiques –  le fossé entre la Haute et la basse Egypte – tendaient à s’accroître.

Sur le plan politique, face au parti unique du Président – le Parti national Démocratique – l’opposition est restée profondément divisée et a hésité sur la conduite à tenir entre le boycott et la participation aux élections. Alors que le parti libéral Wafd était favorable à la participation, l’ancien président de l’AIEA, Mohamed el Baradei, candidat potentiel à l’élection présidentielle de 2011, prenait position en faveur du boycott. Une telle division était également perceptible au sein même des Frères Musulmans dont les principaux responsables se sont affrontés sur l’opportunité de participer ou non. Un sondage à l’intérieur de la Confrérie faisait apparaître un partage par moitié des opinions.

En définitive, à l’initiative de son Guide, Mohamed Badie, la participation a été décidée mais avec une faible mobilisation des troupes et un nombre limité de candidats (135 candidats pour 508 sièges à pourvoir). Il est vrai qu’après leur succès aux élections de 2005 – 88 sièges pour les députés « indépendants », en fait proches de la Confrérie, pour 444 députés – leur contribution aux travaux du Parlement s’est révélée décevante et leur influence marginale.

Quant à la communauté copte, elle est très préoccupée par la multiplication des violences provoquées par des groupes fondamentalistes extrémistes: le pape Shenouda a annoncé que, pour la première fois, il voterait pour un candidat qui n’appartiendrait pas au parti officiel.

La campagne électorale et le déroulement du premier tour de scrutin devaient confirmer la volonté du pouvoir d’éviter l’apparition d’une opposition significative. Du côté américain, des démarches ont été effectuées pour que le scrutin se déroule de façon «honnête». Malgré des moyens importants – on rappellera que l’aide américaine représente chaque année 1,7 Mds/$, dont 1,3 d’aide militaire – la pression n’a pas manifestement été aussi forte qu’en 2005.

Sans doute était-elle également moins affirmée. Ainsi toutes les pratiques traditionnelles – arrestation d’opposants, absence de représentants des partis d’opposition dans les bureaux de vote, bourrage des urnes, intimidation et violences des baltagiyya, – les hommes de main liés à l’évidence aux services de sécurité – ont été utilisées de manière efficace, peut-être même trop, puisqu’à l’issue du premier tour, aucun candidat des Frères Musulmans n’était élu. Il est vrai que le taux de participation a été très faible, sans doute moins de 20 %, marquant ainsi le sentiment de l’opinion que les jeux étaient faits d’avance.

La décision du Wafd  et des Frères Musulmans de ne pas participer au deuxième tour de cette élection simulacre a eu un effet d’amplification de la victoire sans partage du PND. De nombreux intellectuels égyptiens, notamment le célèbre auteur de l’Immeuble Yacoubian, Alaa al Aswany, ont pris le risque de dénoncer ces résultats alors que les autorités américaines exprimaient leur «déception».

Les résultats définitifs ont quasiment fait disparaître toute opposition au sein du parlement : sur 508 sièges,  15  seulement sont décomptés au titre de l’opposition auxquels s’ajoutent 70 sièges attribués à des « indépendants », de fait proches du PND. Il est clair que ces résultats sont jugé « illégitimes par les partis et mouvements ainsi marginalisés. Ils ne peuvent qu’entretenir voire renforcer le climat délétère qui existe dans une opinion de plus en plus gagnée par le fondamentalisme religieux. Cette opinion va-t-elle se mobiliser contre le régime ? Ce n’est pas sûr car, comme le soulignait récemment Alaa el Aswany dans une interview à l’un des rares journaux d’opposition, Al Dustur, la population est «un corps qui n’a pas de tête qui l’organise. Personne n’est là pour donner un sens et canaliser la colère» et il ajoutait qu’il n’y a pas d’alternative possible aujourd’hui. D’autres, allant plus loin, dénoncent un climat comparable à celui du début des années 1950 qui devait amener la fin de la monarchie.

Cependant le régime, appuyé par un parti National Démocratique, qui entend se moderniser sous l’impulsion du fils du président Moubarak, Gamal, et des services de sécurité, peut tenir. Il reste que l’année 2011, au cours de laquelle l’élection présidentielle doit intervenir, sera sans doute difficile à gérer par un pouvoir qui n’a pas encore réglé la question de la  succession du président.

Par delà le cas particulier de l’Egypte, cette évolution montre que le «printemps arabe», qui s’était manifesté dans la dernière décennie dans plusieurs pays de la région, semble être révolue. Le monde arabe semble plus que jamais dans l’impasse politique, soulignée déjà dans les «rapports sur le développement humain» publié de 2002 à 2006 par le Programme des Nations Unies pour le Développement – le PNUD -. Il reste pris entre des régimes autocratiques, la poussée des mouvements fondamentalistes et le chaos démocratique irakien ou libanais.

L’émergence d’une classe moyenne et d’une société civile plus actives peut laisser espérer que ce cercle soit rompu à temps et que des éléments de démocratie puissent s’installer progressivement dans une région du monde particulièrement sensible et instable.

Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001).

Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.

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