Ces jours ci « l’Orient compliqué » est revenu sur la scène médiatique par le biais d’un sigle, EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) et les caméras, braquées sur les djihadistes qui ont transporté la violence de Damas à Bagdad, nous ont une fois de plus contraints à détourner le regard du conflit syrien et de son long cortège de victimes.
Stratégie déterminée ou non de Bachar Al-Assad qui laisse prospérer des plus « méchants » que lui, l’épouvantail importe peu après trois ans de guerre : il y a aujourd’hui selon l’ONUprès de 11 millions de Syriens qui ont besoin de secours à l’intérieur du pays, et près de 3 millions de Syriens, dont la moitié d’enfants, qui poursuivent aujourd’hui une vie de réfugié hors de chez eux.
La grande majorité, 97%, a fui la guerre dans les pays limitrophes, principalement au Liban (1 million), en Turquie, en Jordanie et en Égypte : c’est-à-dire dans des pays fragiles économiquement, fragiles politiquement et dans une certaine mesure – les uns vont rarement sans les autres – fragiles «religieusement».
Que fait l’Europe pour soutenir la région, enrayer le désastre humanitaire en marche et prévenir la crise de plus grande ampleur qui menace et risque de peser sur sa sécurité ? Elle s’engage insuffisamment. Sa généreuse contribution financière, de l’ordre de 2,8 milliards d’euros, ne saurait en effet compenser son refus ou sa gêne d’accueillir une part raisonnable – par rapport à sa population et à son budget- de réfugiés syriens.
L’UE pense-t-elle avoir pris sa « part du fardeau » en recevant aujourd’hui sur son sol seulement quelques milliers de réfugiés syriens, soit 3% de l’ensemble ? Pense-t-elle se montrer à la hauteur des ses idéaux humanitaires quand près de la moitié de ses États membres refuse de réinstaller des Syriens malgré la demande pressante du HCR ?
30 000 ! Le HCR a demandé la réinstallation de 30 000 réfugiés syriens en 2014, sur une population européenne de plus de 500 millions d’habitants. Et si c’est encore l’Allemagne qui « gagne » avec 20 000 places accordées, force est de constater que sa générosité inspire peu ses voisins, hormis l’Autriche et la Suède. La France se contente de 500 places. Qu’en sera-t-il alors de la prochaine réponse faite au HCR quand il demandera 100 000 places pour 2015 et 2016 ?
L’Europe manque de solidarité et ce n’est pas nouveau. L’Europe manque de vision commune en matière d’asile et d’immigration et ce n’est pas nouveau.
Ce qui est nouveau c’est la percée notable des populistes aux dernières élections. Et c’est pour cela qu’il faut agir, et le plus rapidement possible, en faveur des réfugiés du Moyen-Orient. Les questions d’humanisme et d’éthique ne sont pas seules en jeu, même s’il convient de lutter contre l’effritement progressif du socle de nos valeurs communes.
Si l’Europe se doit de tendre la main aux réfugiés syriens, c’est avant tout pour éviter que le pouvoir d’accueil des pays limitrophes ne s’épuise et ne s’effondre. La saturation se fait déjà sentir, dans les camps et dans les villes. Les problèmes de santé, d’éducation, d’accès à l’emploi des réfugiés sont de plus en plus criants au Liban, en Turquie, en Jordanie, en Egypte. S’ils empirent encore sous le poids du nombre, l’Europe pourrait subir les conséquences d’une déstabilisation régionale, notamment avec une augmentation des flux de réfugiés à ses frontières.
Il est alors facile d’imaginer que la voix des populistes s’élèvera et qu’elle sera entendue : ils n’iront certes pas jusqu’à réclamer de la poisse, des pierres et de l’huile bouillante à déverser du haut de la forteresse Europe sur les nouveaux « assaillants ». Mais ils auront dans leur besace des propositions très « simples » à offrir, de celles qui plaisent aux opinions et envoûtent les politiques sans courage. De celles qui ferment l’espace Schengen aux réfugiés très « compliqués ».
Certes il n’y a pas de solution humanitaire à la crise syrienne, il n’y a qu’une solution politique dont l’issue apparaît bien lointaine. En attendant, l’Europe doit prendre ses responsabilités : élaborer un programme européen commun de réinstallation et donner aux réfugiés les moyens de rejoindre l’Europe en toute sécurité : non-refoulement aux frontières extérieures, accès à la protection par le biais des ambassades, regroupement familial facilité.
L’Europe doit faire preuve de cran, d’un peu moins d’égoïsme et d’un peu plus d’ambition. Gageons qu’elle y parvienne : il faut avoir en tête que l’Europe à 28, c’est simplement très compliqué.
Pierre Henry
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