Rapport sur la réforme de l’asile : un sentiment de gâchis

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Les éléments semblaient pourtant tous réunis. Le constat unanime d’un système à bout de souffle, une concertation sur l’asile lancée dès juillet par le ministre de l’Intérieur qui prend la forme d’un dialogue constructif entre les différents acteurs institutionnels et associatifs du secteur et des parlementaires – Valérie Létard (UDI) et Jean-Louis Touraine (PS) – suffisamment républicains pour vouloir défendre une tradition française, reconnaître la nécessité d’accueillir dignement et selon des procédures équitables les demandeurs d’asile… Rien ne semblait manquer pour que leur rapport propose les solutions percutantes d’une réforme.

Tout était là, manquait juste le temps : « Nous assumons », écrivent nos deux parlementaires, « l’urgence à faire des propositions, préalables à l’urgence à légiférer et à mettre en place une réforme qui viendra sauvegarder le principe du droit d’asile aujourd’hui menacé ». Ils étaient si pressés qu’ils nous ont mal entendus lors de la concertation : leurs propositions ne reflètent nullement le contenu de nos échanges. Savent-ils qu’elles rencontreront pour certaines, si elles étaient retenues, l’opposition raisonnée et unanime des acteurs de terrain et des organisations de défense des droits de l’homme ? Sans aucun doute. Mais nous sommes dans cette période dangereuse ou certains observateurs se gaussent avec mépris des premières réactions de la CNCDH en considérant que la protestation est un gage de la qualité des propositions du rapport.

L’urgence doit-elle être de laisser croire que la suppression de l’allocation temporaire d’attente à certains demandeurs d’asile est une solution adaptée ? Que créer des places « light » d’hébergements dans des conditions dégradées est une idée juste ? Et que placer des déboutés dans des centres semi-fermés est une solution conforme à notre État de droit ? Cette dernière idée est simpliste, dispendieuse et inefficace. La question du traitement des déboutés n’est pas nouvelle.

Dès 2005, un rapport au Parlement pointait le fait que la majorité des déboutés de l’asile restait sur le territoire. Et notre position n’a pas changé depuis lors. Le retour s’il ne contrevient pas aux conventions internationales en vigueur est une des solutions à envisager. Mais il ne peut s’imposer comme solution ultime que si chaque partie intéressée fait une confiance absolue à la qualité de notre procédure. C’est la raison pour laquelle nous faisons d’une augmentation de places de Cada et d’un examen normal au fond selon une procédure ordinaire un préalable à toute politique volontariste de retour.

Le système de l’asile se nourrit de l’urgence depuis plus de 10 ans ; il faut casser ce cycle si l’on souhaite sauver le droit d’asile et le faire vivre durablement. C’est pourquoi il faut considérer ce rapport comme un élément parmi d’autres, capable de nourrir la réflexion comme elle le mérite et de préparer les débats pour l’examen de la loi au parlement. L’urgence n’a en effet pas sa place quand un droit constitutionnel est concerné.

L’urgence, c’est de décider de poursuivre la concertation sur l’asile. Il s’agit en effet d’évaluer, loin de toute instrumentalisation, les mesures qui permettront de refonder un véritable partenariat entre l’État et la société civile. Pour que notre système d’asile puisse répondre aux deux objectifs fondamentaux que sont la justice et l’efficacité, quatre axes sont à suivre: la simplification des procédures avec la territorialisation de l’Office Français de protection et des apatrides, la réduction des délais d’instructions, la qualité de l’accompagnement allié à la dignité de l’hébergement et la clarification de la gouvernance.

Les propositions du rapport Létard – Touraine ont réussi la prouesse de fédérer contre elles l’ensemble du secteur des droits de l’homme et des organisations intervenant dans le secteur de l’asile si l’on veut bien mettre à part l’ex Sonacotra, gestionnaire peu désintéressé de forme massive d’hébergements. L’intérêt général et la préservation d’un droit inscrit dans l’ADN de la République française obligent décidemment l’ensemble des acteurs à prendre le temps de la réforme.

Pierre Henry

Pierre Henry

Pierre Henry est Directeur général de France terre d’asile.