Iran : de la contestation à la normalisation ?

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Même si l’Iran apparaît moins  présent dans les médias occidentaux qui donnent la priorité aux sujets estivaux, contestation et répression continuent d’être, notamment à Téhéran,  le lot quotidien de la population. La presse iranienne, qu’il s’agisse de celle des réformistes ou des conservateurs, reste mobilisée, avec des articles ou des débats parfois très violents. Le quotidien Iran, traditionnellement considéré comme le porte parole du président, donne le ton et fait des analyses contestées par une presse réformiste dont la marge de manœuvre reste cependant limitée de peur de se voir interdire.

L’actualité pendant la période qui s’étend de la validation par le Conseil des Gardiens de l’élection d’Ahmadinejad à son intronisation devant le parlement le 5 août, est riche en événements avec une dominante répressive. Mir Hossein Moussavi comme Mehdi  Karoubi continuent de considérer l’élection du président comme illégitime.

Le 1er juillet, ils annoncent la création d’un « mouvement d’opposition démocratique » avec un programme en dix points qui demande en particulier la libération des prisonniers politiques, la fin de la censure et une nouvelle loi électorale. Cette démarche est complétée par la décision le 16 juillet  de créer un parti, le «Front politique».

Le 17 juillet, à l’occasion de la prière du Vendredi, l’ancien président Rasfandjani, qui préside deux instances très importantes, l’Assemblée des Experts et le Conseil de Discernement, sort enfin de son silence . S’il se garde de considérer comme illégitime l’élection d’Ahmadinejad, il considère que «la République court à sa perte si le vote du peuple n’est pas pris en considération». Il ajoute : «un grand nombre de gens sensés de ce pays ont dit qu’ils avaient des doutes. Nous devons répondre à ces doutes». Les manifestations se poursuivent, notamment à l’occasion de la cérémonie de deuil pour les victimes de la répression, qui s’est tenue le 30 juillet.

Lors de la cérémonie d’intronisation du président, plusieurs personnalités importantes de l’opposition, y compris l’ancien président Rasfandjani, et 57 parlementaires ont manifesté par leur absence le refus de reconnaître la validité de l’élection d’Ahmadinejad. Cependant, l’opposition a de plus en plus de mal à mobiliser l’opinion compte tenu de la vigueur de la répression.

Pour sa part, le Guide et le président multiplient mises en garde et actions répressives. Le 20 juillet, Ali Khamenei lui-même réplique aux propos de Rasfandjani en considérant que « nos élites doivent être vigilantes : toute parole, action ou analyse qui aident nos ennemis, vont à l’encontre des intérêts de la nation ». S’il est difficile de faire un bilan précis de la répression, les chiffres qui circulent – une centaine de morts, 2.500 arrestations dont 350 maintenues – paraissent vraisemblables.

Le procès en cours, digne des purges staliniennes des années 30, avec «aveux spontanées», largement relayé par la télévision publique, met en cause des proches collaborateurs de Rafsandjani, Moussavi ou Khatami. Plusieurs quotidiens réformistes sont suspendus. Lors de son intervention devant le Parlement, bunkerisé par un service d’ordre spectaculaire, le président imperturbablement s’est voulu tout à la fois « le gardien de la religion officielle de la République islamique et de la Constitution ».

Quel premier bilan peut-on tirer des événements qui se sont déroulés depuis les élections qui restent contestées ?

Des trois scénarios envisagés dans mon analyse précédente, c’est la première option, celle du tout répressif,  qui semble l’emporter pour l’instant. Le choix du Guide et d’Ahmadinejad est clairement celui de la répression, même si fin juillet, 140 personnes arrêtées sont relâchées et le centre d’internement de Kahrizak, de sinistre réputation, fermé. Le thème du « complot de l’étranger » et de l’ingérence extérieure, qui, compte tenu de l’histoire du pays, a une réelle résonance dans l’opinion, est abondamment exploité.

Cette campagne vise explicitement la Grande Bretagne et la France, dont les ambassades sont considérées comme des « nids d’espions », de même que les Etats-Unis.

Le Guide et le président « réélu » peuvent compter sur les différentes forces de l’ordre à leur disposition – la police anti-émeute, les Gardiens de la Révolution, les Bassidjis, qui semblent obéir sans état d’âme. Il n’en reste pas moins qu’il existe à l’intérieur de cette mouvance conservatrice failles et débats.

La démission du ministre du renseignement, et surtout la mise en cause de la nomination d’Esfandiari Rahim Mashaie, comme vice-président, qui avait déclaré, il y a quelques mois, que l’Iran était « l’ami du peuple américain et du peuple israélien ». Ces signes conduisent à se demander si Ahmadinejad n’est pas également contesté dans son propre camp. De façon plus anecdotique, l’affaire du « baise main esquivé » par le Guide provoque également des interrogations. On remarquera cependant que, pour l’instant, le pouvoir a évité l’irréparable, à savoir l’arrestation de Moussavi ou Karoubi, réclamée pourtant avec insistance par certains parlementaires.

L’opposition intérieure, même si les manifestations se poursuivent, est à la recherche d’un second souffle. Elle reste composite et encore peu organisée malgré l’annonce de la création du Front Politique. Si l’engagement de Moussavi, Karoubi et Khatami reste ferme et clair et si l’appui de Rasfandjani s’est affirmé, beaucoup de personnalités de la coalition hostile à Ahmadinejad restent plus que discrets, qu’il s’agisse du président du parlement, Ali Laridjani ou du maire de Téhéran, Qalibaf.

Cette opposition manque de leadership, Moussavi, pur produit du régime, étant devenu très largement un héros malgré lui ; certains de ses responsables, notamment Rasfandjani,  sont vulnérables pour cause d’affairisme ; son objectif – obtenir de nouvelles élections – n’est guère réaliste et ses slogans visent essentiellement Ahmadinejad, plus rarement le Guide, mais non le régime.

Quant à l’opposition extérieure, constituée des partisans de Reza Pahlevi, du mouvement « islamo-marxiste » des Moujahidines du Peuple, des indépendantistes et d’ex-personnalités du régime, elle reste peu crédible et divisée, sans véritables relais en Iran même. On notera enfin la prudence de la « communauté internationale », qu’il s’agisse des voisins arabes immédiats, des pays musulmans que des nombreux pays émergents. Les félicitations traditionnelles ont été sans doute moins nombreuses et moins chaleureuses que d’habitude mais l’ensemble du corps diplomatique était présent lors de la séance d’investiture d’Ahmadinejad.

A ce stade, le fossé qui sépare les deux camps et qui existait déjà depuis plusieurs années, s’est creusé provoquant une crise sans précédent dans le régime. Il est clair que par delà la contestation du résultat des élections, apparaît une vague de fond qui reflète une mise en cause d’un régime rejeté par une part croissante de la population.

Les déchirements internes qui combinent des règlements de compte personnels et des désaccords de fond peuvent-ils conduire à une implosion du régime à court terme ? Rien n’est moins sûr. Cependant les fortes turbulences vont se poursuivre avec la tentation pour le pouvoir de maintenir son attitude répressive avec quelques concessions de façade. La fin de partie n’est sans doute pas pour demain. Les incertitudes pour l’avenir risquent de paralyser l’Iran tant en termes de politique intérieure qu’au niveau de son action extérieure, rendant difficile et aléatoire toute négociations avec l’Iran  sur des sujets aussi sensibles que le contentieux nucléaire, l’Afghanistan, le Liban ou la question palestinienne. Une nouvelle zone de troubles risque ainsi de se développer au Moyen-Orient.

Mis en ligne le  07/08/09

Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001).

Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.

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