Lendemain d’élection en Iran : des manifestations à la révolution ?

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Quel avenir pour l’Iran ? Une fois de plus, au Moyen-Orient, se vérifie que par delà les fortes certitudes qui sont affichées, seul l’imprévisible est sûr. La République islamique est l’exemple de ces certitudes démenties. En 2005, on attendait Rasfandjani ou Qalibaf, finalement Ahmadinejad a été élu à la grande surprise des experts…

En 2009, beaucoup pensaient qu’il y avait place pour une alternative compte tenu du bilan catastrophique, notamment dans le domaine économique, de la politique du président sortant. Finalement Ahmadinejad est réélu dès le premier tour grâce à des manipulations de grande ampleur. Depuis lors, l’Iran vit au rythme des manifestations et contre manifestations. Où en est-on aujourd’hui ?

Les manifestations pacifiques qui se développent non seulement à Téhéran, mais également dans plusieurs grandes villes, frappent par leur ampleur, mais également par leur spontanéité, même si des mots d’ordre ou de rassemblements sont transmis par SMS ou blog. Jusqu’au discours du Guide les mots d’ordre étaient concentrés sur la contestation des résultats –« où sont nos votes ? » – et visaient la « dictature » d’Ahmadinejad, mais ne mettait pas en cause le régime.

Les manifestations se sont accompagnées d’une répression brutale par un pouvoir de toute évidence sûr de lui, mettant en avant la police anti-émeute et les milices des bassidjis qui quadrillent tout le pays. Elles débouchent sur des morts, 20 avoués officiellement, mais sans doute beaucoup plus, des blessés et des arrestations de personnalités proches des candidats opposés au président sortant.

Le discours du Guide Ali Khameneï marque un tournant dans les événements. Il choisit son camp, en ne cachant pas sa préférence personnelle pour Ahmadinejad. Il délivre trois messages clairs : un constat , « les résultats des élections sortent des urnes et ne se décident pas dans la rue » et les urnes, selon lui,  ont désigné Ahmadinejad ;  une menace, « s’il y a un bain de sang, les organisateurs des manifestations en porteront la responsabilité ; un coupable, « ne laissons pas l’histoire de l’Iran être écrite avec la plume des étrangers ». Cette  accusation est reprise et amplifiée dans les jours qui suivent, mettant d’ailleurs plus en cause  la Grande Bretagne, « ennemi héréditaire » de l’Iran, que les Etats-Unis.

Depuis lors, la contestation s’est d’abord durcie et des mots d’ordre visant le Guide lui-même sont apparus, mais la vague verte est maintenant en reflux. Les informations sont difficiles à vérifier compte tenu du départ des journalistes étrangers et des menaces qui pèsent sur les journalistes iraniens de la presse favorable aux opposants. Des photos et des rumeurs circulent. Le mécontentement  et la frustration sont évidents mais la population a peur dans un Téhéran quadrillé par la police, les pasdarans et les bassidjis. Quant au pouvoir, si des divergences ont pu apparaître au sein de son premier cercle, elles ont été gommées vis-à-vis de l’extérieur.

De ce bref rappel du déroulé des récents événements (1), plusieurs points ressortent.

Certes la manipulation des urnes n’est pas nouvelle. Cependant elle a pris à l’occasion de ces élections une ampleur sans précédent, faisant apparaître des résultats totalement aberrants : nombre de voix supérieur à celui de la population en âge de voter, retard délibéré dans l’acheminement des bulletins, scores insolites des candidats opposés au président dans leur propre fief, sans compter les manipulations faites directement au niveau de la sommation des résultats locaux au ministère de l’intérieur. Il est clair que ni les recomptages partiels, à supposer qu’ils aient lieu, ni les six cents recours déposés ne remettront en cause les résultats proclamés par le Conseil des Gardiens de la Révolution.

Des piliers du régime

On peut rappeler que la fraude existe dès l’établissement de la liste des candidats. Cette fois-ci encore, les quatre candidats admis sont des piliers du régime ayant derrière eux des carrières qui ne laissent aucun doute sur leur engagement et leur fidélité à la République Islamique. Tel est le cas aussi bien de Mir Hossein Moussavi, lui-même, ancien premier ministre et très proche de l’imam Khomeiny, de Mehdi Karoubi, ancien président du parlement, et de Mohsen Rezaï, ancien chef des gardiens de la Révolution. On peut s’interroger d’ailleurs sur  l’étiquette de  « réformiste » donnée à Moussavi : il était en effet  le candidat d’une coalition improbable réunissant l’ancien président Khatami qui a cautionné la répression contre les étudiants en 1999, l’ancien président Rasfandjani, plus opportuniste que réformiste de même que Ali Laridjani, conservateur bon teint, candidat malheureux aux élection de 2005, ex-négociateur inflexible sur le contentieux nucléaire et actuellement président du parlement.

Les manifestants ont montré autant d’enthousiasme et de courage que d’inexpérience. Il est vrai qu’il n’existe pas de partis organisés en Iran et Moussavi, qui a le profil d’un apparatchik plus que celui d’un tribun charismatique, est apparu hésitant dans sa démarche, suivant ses troupes plus qu’il ne les guidait. A cette absence de leadership, s’ajoute le silence des principales personnalités qui lui avaient apporté leur soutien. On remarquera en particulier la discrétion de Rasfandjani, qui pourtant préside deux organismes clefs de la République islamique, le Conseil de Discernement, censé arbitrer les contentieux entre le parlement et le Conseil des Gardiens et l’Assemblée des experts, dont le rôle est décisif puisqu’il élit le Guide et peut théoriquement le relever de ses fonctions. Il est vrai que la brève interpellation de sa fille et de plusieurs membres de sa famille a pu être interprété comme un signal l’invitant à la prudence. Pour sa part Ali Larijani a exprimé mollement le souhait que certaines  revendications des manifestants puissent être entendues, mais il était au côté d’Ahmadinejad pour recevoir la bonne parole du Guide.  En réalité aucun responsable ne veut s’engager dans des actions qui pourraient déstabiliser la République islamiste.

Quant à la « Communauté internationale », ses réactions ont été très variées allant du soutien sans état d’âme à une condamnation, qui reste le plus souvent mesurée. On notera en particulier les félicitations adressées par les autorités russes et chinoises au président Ahmadinejad comme le silence prudent ou les protestations de non ingérence des voisins arabes de l’Iran.

Trois scénarios envisageables

Il est sans doute encore trop tôt pour faire un bilan, par manque de recul. Cette contestation n’est-elle qu’un feu de paille ou est-elle le prélude à une guerre civile comme le craint Shirin Ebadi ? La tension reste forte et palpable, tout au moins à Téhéran, mais la situation semble se normaliser. Trois scénarios sont, entre autres, envisageables.

Un premier scénario serait celui de la poursuite de la politique d’Ahmadinejad développée pendant son premier mandat. A l’extérieur une rhétorique belliqueuse et l’accélération du programme nucléaire ; à l’intérieur le tout répressif : pression accrue sur les médias réformistes, arrestations d’opposants, y compris les proches des  trois candidats écartés, atteinte aux droits de l’homme et poursuite d’une politique clientéliste. Le discours du Guide peut, à cet égard, constituer le cadre  de travail du président qui imposerait son ordre voire sa dictature. Dans l’immédiat, c’est le scénario le plus probable.

Un autre scénario verrait la recherche d’un compromis entre les différents courants qui traversent la République Islamique qui sont en affrontement croissant depuis plusieurs années.  Ce compromis pourrait, en matière de politique intérieure, conduire à cesser la répression  et à permettre à toutes les opinions de s’exprimer. Il supposerait également un changement de la politique économique, actuellement désastreuse. S’agissant de la politique extérieure, il s’agirait sans doute plus d’une question de style -l’arrêt de la rhétorique agressive – que de fond et devrait permettre d’amorcer un dialogue avec les Etats-Unis et l’Europe : un large consensus existe, y compris au niveau de l’opinion publique, pour considérer que l’Iran doit se voir reconnaître un statut de puissance régionale, «la « souveraineté nucléaire » n’étant qu’un des moyens d’affirmer cette puissance.

Enfin, un scénario noir verrait le pays sombrer dans le chaos, voire la guerre civile, à la suite d’un coup d’Etat interne au régime, d’affrontements violents en son sein ou de l’apparition d’une opposition armée et appuyée par l’extérieur. La République Islamique imploserait et les événements échapperaient à tout contrôle.

La raison voudrait que, à terme, le deuxième scénario l’emporte, mais l’expérience montre qu’au Moyen-Orient, l’émotion  et l’irrationnel prévalent souvent sur la raison.

A ce stade, un fossé de plus en plus grand se creuse entre la population et l’establishment au pouvoir. Le Guide et Ahmadinejad, même si leur autorité est de plus en plus contestée, disposent de la force publique dans toutes ses composantes : gardiens de la révolution, armée, bassidjis, services de renseignement. Pour l’instant aucun indice ne permet de déceler des flottements dans leur loyalisme à l’égard du Guide. S’il doit y avoir révolution ce sera sans doute plus un coup d’Etat interne au profit d’une des factions qui composent la République extérieure, plus que d’une opposition au régime au régime, qui faible et divisée – moudjahidines du peuple comme les partisans de Reza Pahlevi- n’a guère de chance de venir au pouvoir.

En toute hypothèse, la situation actuelle va rendre encore plus difficile le dialogue souhaité par le président Obama, ne serait-ce qu’en raison des incertitudes sur l’avenir de l’Iran. Du côté occidental, le camp des opposants à un tel dialogue  est ainsi renforcé par la réélection d’Ahmadinejad : un tel refus pourrait déboucher à terme sur de nouveaux affrontements au Moyen-Orient. Après la réaction en trompe l’œil du Premier ministre israélien, les récents événements en Iran peuvent apparaître comme un deuxième  mauvais coup porté au « nouveau départ » proposé le 4 juin au Caire par le président américain.

Mis en ligne le 01/07/09

(1) Note de la rédaction : plusieurs milliers d’Iraniens, partisans de l’opposition, se sont rassemblés au Grand Mossala, lieu de prière à ciel ouvert au centre de Téhéran, fin juillet, pour rendre hommage aux manifestants tués depuis la présidentielle du 12 juin. La cérémonie de deuil était interdite par Mahmoud Ahmadinejad. Non loin de là, d’autres Iraniens défilaient en criant « Mort au dictateur », « Libérez les prisonniers politiques ». Les forces de l’ordre sont violemment intervenues et ont opéré des arrestations. Le cinéaste Jafar Panahi (Lion d’or à la Mostra en 2000 pour « Le Cercle ») a été arrêté. Comme fin juin et début juillet, les dirigeants iraniens ont accusés les Occidentaux d’être responsables des troubles. Ces « pays qui se sont immiscés [dans l’élection], à travers leurs télévisions, en expliquant comment provoquer les émeutes, comment fabriquer des explosifs et inciter à d’autres actes en créant de la tension sont les complices de tous les crimes et meurtres commis, et en sont responsables » a déclaré le ministre iranien des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki.

Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001).

Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.

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Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001). Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.