Des justiciers attaquent la police d’une ville mexicaine » – « Treize corps découverts dans une fosse commune clandestine » –« Arrestation du chef du cartel du Golfe » – « 24 morts dans les États duMichoacan et de Guerrero » – « 22 morts dans une série d’attaques au Mexique ».Voici quelques-uns des titres les plus chocs de la presse française concernant le crime organisé au Mexique en l’espace de quelques semaines durant l’été 2013. Pour un peu, on serait tenté de parler de faits divers. Tenté, uniquement, lorsqu’on connaît un peu l’actualité de ce pays, haut lieu du tourisme international mais également de la criminalité organisée, et en particulier du trafic de drogues, qui l’a entraîné dans une vague de violence brutale, sans précédent.
Le Mexique connaît une recrudescence de violence depuis 2006, année à partir de laquelle le gouvernement, sous la présidence de Felipe Calderon, a entamé une guerre ouverte contre les narcotrafiquants. Selon de récentes statistiques (1), 120 000 personnes auraient été tuées rien qu’entre 2007 et 2012, sans compter des milliers de disparus. Le taux d’homicide était de 23,7 morts pour 100 000 habitants en 2010. Si ce taux reste légèrement inférieur à la moyenne régionale (25,9) et nettement en-dessous de celui d’autres pays voisins tel que le Honduras (80 pour 100 000 habitants), il dépasse néanmoins celui de pays en conflit comme l’Afghanistan, l’Irak, la Somalie ou le Soudan.
Certains parleront d’une crise de la sécurité nationale ; d’autres n’hésiteront pas à employer le terme de conflit pour décrire légalement la lutte violente qui se livre au Mexique depuis plusieurs années. Celle-ci met aux prises d’une part les organisations du crime organisé entre elles, et en particulier les cartels de la drogue, et d’autre part, depuis 2006, l’État et les cartels. Ceux-ci comptent des milliers de membres, attirés par la pluie de dollars générée par les trafics en tout genre, comme celui des substances illicites. Elles exercent une influence sur de larges portions du territoire mexicain en imposant leurs lois, mais également par la corruption des autorités publiques.
Ces organisations criminelles sont ainsi responsables d’une grande partie de la violence évoquée ci-dessus, une violence souvent cruelle et brutale qui leur permet d’instaurer un climat de terreur. En 2012, 45 à 60 % des homicides intentionnels portaient les caractéristiques typiques du groupe organisé, soit l’utilisation d’armes automatiques de gros calibre, la torture, le démembrement et des messages explicites (impliquant le crime organisé) retrouvés sur les corps des victimes (2). Celles-ci sont principalement des membres de cartels rivaux, ces organisations luttant pour le contrôle de territoires, mais également des soldats de l’armée mexicaine envoyés sur le terrain par Calderon, ou des policiers.
Parmi les victimes, on décompte également de plus en plus de journalistes et des net-citoyens (bloggeurs) qui osent parler de cette guerre. Selon Reporters sans Frontières, entre 2000 et 2012, 86 journalistes ont été assassinés, 12 ont disparu et 26 étaient en exil ou avaient quitté leur région. Conséquence : de nombreux journalistes pratiquent désormais l’autocensure et évitent délibérément de couvrir la question des narcotrafiquants, par peur des représailles.
Toutefois, les organisations criminelles ne sont pas seules responsables de cette situation terrifiante. Les forces de sécurité se rendent également coupables de graves violations des droits humains : exécutions extrajudiciaires, disparitions forcées, actes de torture(3). La confiance de la population mexicaine en ses institutions n’en est que plus érodée, car outre ces dérives, il existe une impunité généralisée à l’égard de ces comportements et, par ailleurs, une corruption répandue au sein des autorités publiques, locales et fédérales.
Des armes à feu illégales au coeur de la violence
Dans ce contexte, les autorités mexicaines sont confrontées à un problème de taille : la circulation incontrôlée des armes à feu. Celles-ci sont en effet l’instrument privilégié de cette violence. En dépit d’une législation restrictive, il y aurait 15,5 millions d’armes à feu illicites entre les mains des civils mexicains, alors que les autorités n’en détiendraient qu’environ 1,6 million. N’oublions pas que le Mexique est voisin du plus gros marché d’armes légères : les états-Unis, un pays qui applique l’une des législations les plus permissives au monde en matière de production, vente, achat et possession d’armes par les civils. En 2007, les autorités américaines découvraient l’existence d’un trafic d’armes à destination des cartels de la drogue mexicains.
Selon une étude récente de l’Igarapé Institute et du Trans-Border Institute, entre 106 700 et 426 729 armes à feu ont été achetées annuellement aux États-Unis pour être ensuite détournées, notamment vers le Mexique, sur la période 2010-2012. Néanmoins, il serait erroné de rejeter l’entière responsabilité de cet armement illégal au Mexique sur le voisin du nord. En effet, les stocks de l’armée mexicaine et des pays d’Amérique centrale, gonflés par des années de guerres civiles, représentent une source alternative pour certaines armes militaires non accessibles sur le marché civil nord-américain ; exemple : les grenades à main ou certains fusils d’assaut automatiques. Si un approvisionnement en armes facile est considéré comme l’une des conditions sous-jacentes à la violence, elle n’est toutefois pas suffisante pour expliquer la situation catastrophique du Mexique.
Une stratégie à repenser d’urgence
La violence liée au trafic de drogues existe depuis longtemps au Mexique. Le pays connaît en effet ce commerce illégal depuis le 19e siècle, à l’époque de la production de l’opium et de la marijuana dans l’état de Sinaloa. Par la suite, la cocaïne sud-américaine à destination de l’Amérique du Nord, et en particulier des États-Unis, est passée à travers le pays, par tonnes. Mais la violence était alors restée modérée en comparaison de ces dernières années. La situation a radicalement changé avec l’arrivée au pouvoir du président Calderon, en 2006.
Soutenu par les Américains, il a fait de la lutte contre les trafiquants de drogues sa priorité numéro 1, déclarant la guerre aux organisations criminelles et envoyant l’armée dans les zones urbaines pour sévir contre les cartels. Ceux-ci ont répondu par une violence plus grande encore. Si Calderon a récolté quelques succès notamment avec l’arrestation ou la suppression de vingt-cinq des barons de la drogue les plus recherchés et la saisie de plusieurs tonnes de stupéfiants, sa stratégie nationale de lutte contre le crime organisé n’a pas payé.
Enrique Peňa Nieto, président depuis décembre 2012, a indiqué qu’au contraire de son prédécesseur, il ne mènerait pas de grandes offensives militaires contre les cartels. Sa stratégie à lui consiste plutôt en une réforme de la police et de la justice, des programmes sociaux notamment à destination des jeunes dans les communautés vulnérables, et la réduction du taux d’homicides.
Le Mexique doit faire face à des défis énormes. Dont la présence sur son territoire d’organisations criminelles qui ont le don de se multiplier, de se procurer des armes militaires et de diversifier leurs activités. Il est bien sûr trop tôt pour évaluer l’efficacité de la nouvelle politique à l’égard de ces groupes criminels. La sauvagerie est telle qu’il faudra du temps avant que la situation ne s’améliore. La violence n’a ainsi pas reculé durant la première moitié de l’année 2013. Et bien qu’il ait promis de retirer la lutte contre les narcos des mains de l’armée pour la confier à la police, le nouveau président a décidé, le 20 mai, de redéployer des militaires dans l’état du Michoacan.
Face à cette situation plus que préoccupante, il apparaît urgent pour le gouvernement mexicain mais aussi ses pays voisins et la communauté internationale dans son ensemble, de continuer à repenser les politiques de lutte contre le crime organisé. Car au Mexique, la violence risque de devenir endémique…
Source : Le Grip
(1) Cory Molzahn, Octavio Rodriguez Ferreira et David A. Shirk, Drug Violence in Mexico. Data and Analysis Through 2012, Trans-Border I 4 nstitute, février 2013.
(2) Idem.
(3) Amnesty International, Rapport 2013. La situation des droits humains dans le monde.
Virginie Moreau
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