Priorités de l’UE en vue de la mise en œuvre du traité sur le commerce des armes (TCA)

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La négociation et l’adoption du Traité sur le commerce des armes (TCA) n’étaient que la première étape d’un long processus qui reste à concrétiser pour que le TCA puisse in fine avoir un réel impact positif sur les conditions de vie et la sécurité des populations(1).  Alors que la procédure de ratification du Traité est en cours dans de nombreux États, dont ceux de l’Union Européenne (UE), et nous rapproche par conséquent de l’entrée en vigueur, une nouvelle étape doit dès à présent être appréhendée : celle de la mise en œuvre du texte. Cette étape devra se faire en tenant compte, d‘une part des faiblesses du Traité, et en particulier des nombreuses possibilités laissées à l’interprétation, et d’autre part des multiples défis auxquels de nombreux États vont être confrontés.

Le texte adopté est un texte imparfait, résultant d’un compromis entre 193 États aux attentes et objectifs bien différents. Ce texte contient un certain nombre d’avancées pour le contrôle du commerce des armes à l’échelle internationale, dont j’aimerais relever quelques éléments(2).

Ainsi, le Traité impose à tous les États parties d’établir un régime de contrôle national, dont une liste de contrôle, pour réglementer leurs transferts d’armes, ceux-ci étant entendus comme les exportations, importations, transits et transbordements, et courtage des armes.

Les États ont également choisi d’établir le principe d’une évaluation préalable des exportations d’armes sur base de critères, soit un système semblable à celui que l’UE a mis en place dès 1998 avec son Code de conduite. Le texte prévoit que toute évaluation d’un risque jugé « prépondérant » d’atteinte à la paix et à la sécurité, d’une violation grave du droit international humanitaire et du droit international des droits humains, d’actes de terrorisme ou d’actes liés au crime organisé transnational, entraînera un refus d’exportation de la part de l’État exportateur. Cette décision devra être prise en considérant également l’adoption de mesures pour atténuer le risque de telles conséquences négatives (par exemple des mesures visant à renforcer la confiance ou des programmes spécifiques élaborés entre exportateur et importateur).

Étant donné les débats qu’il a entrainés, on peut également se féliciter d’un champ d’application qui se révèle, au final, assez large. En plus des sept catégories d’armes conventionnelles du Registre des Nations Unies, le Traité couvre en effet les armes légères et de petit calibre. Soulignons encore l’inclusion, en partie seulement, des munitions et des pièces et composants d’armes qui permet désormais de contrôler leur exportation, de soumettre leur transfert à certaines interdictions et de les inclure dans le régime de contrôle national.

Néanmoins, ce champ d’application reste incomplet. En effet, en l’absence d’une définition du terme « exportation », il semble exclure les transferts de type don, prêt, cession ou encore les transferts de technologie. De même, le débat demeure quant à l’inclusion de certaines armes dans le Traité, telles que les drones armés et les robots. En effet, les catégories d’armes reprises dans le TCA se basent sur celles du Registre des Nations Unies sur les armes classiques, soit sur un instrument qui date de l’immédiat après-Guerre froide et qui n’a pas intégré l’évolution technologique des armes depuis vingt ans.

Le manque de définition, ainsi que le manque de précision de certaines dispositions, contribuent à l’ambiguïté de plusieurs dispositions du Traité. Par manque de précision, il faut comprendre notamment la présence dans le texte de formules vagues telles que « là où c’est nécessaire », « là où c’est faisable », « là où c’est approprié » ou encore « les États sont encouragés à ». Cette ambiguïté ouvre la porte à une interprétation différenciée entre les États et par conséquent à des pratiques différentes, ce qui serait contraire à l’objectif d’universalité du Traité.

Par ailleurs, le texte souffre de certaines faiblesses. La principale, sur laquelle je me concentrerai, ici est la notion de « risque prépondérant » dans l’évaluation d’une demande d’exportation.  Celle-ci implique en effet une primauté du risque sur toute autre considération, voire une priorisation des risques par l’État exportateur. Des États comme la Nouvelle-Zélande et le Liechtenstein ont d’ores et déjà annoncé, au moment du vote pour l’adoption du Traité, qu’ils interpréteraient la notion de risque comme « manifeste », qui est la notion européenne du risque. Cette notion, moins subjective, réduit la possibilité de mettre en balance les critères d’évaluation.

Si le texte ne répond pas aux attentes de chacun, une majorité d’États a estimé que le TCA a le potentiel pour améliorer la sécurité globale en élevant le niveau moyen des contrôles sur les transferts internationaux d’armes. Ainsi 115 États l’ont déjà signé et 8 l’ont ratifié (3). L’étape qui se profile est désormais celle de la mise en œuvre du Traité tel qu’il est. Les États devraient dès lors accorder la priorité à s’assurer que les points forts du Traité soient mises en œuvre de la façon la plus robuste possible et que les faiblesses du texte ne portent pas atteinte à l’ensemble du texte. A cet égard, il apparaît que la coopération et l’assistance internationales seront leurs meilleurs atouts pour garantir un TCA efficace.

En effet, certains États ne disposent d’aucun système national de contrôle, d’autres disposent d’une réglementation incomplète(4). Les États de l’UE, par exemple, devront modifier leurs pratiques en matière de transparence sur les importations puisque le TCA exige désormais de faire un rapport annuel non seulement sur les exportations mais également sur les importations. D’autres encore disposent d’une réglementation obsolète. Dès lors, pour de nombreux États, se conformer aux obligations du Traité exigera de formuler de nouvelles réglementations et législations, de désigner et former les autorités compétentes, de  mettre en place de nouveaux documents etc. Ce processus, coûteux en termes de moyens financiers, humains, techniques, mais également en temps, nécessitera dès lors un soutien conséquent pour nombre d’États. Pour les aider, ils pourront toutefois solliciter une assistance par l’intermédiaire des Nations Unies auprès d’États, d’organisations régionales mais aussi de la société civile. En tant qu’organisation régionale disposant déjà d’un certain nombre de règles sur le commerce des armes, l’UE devrait dès à présent commencer à identifier les points du Traité sur lesquels elle pourrait partager son expérience et fournir une assistance aux États qui en font la demande. Elle devrait également encourager ses États membres à contribuer au fonds d’assistance volontaire prévu par le traité.

Par ailleurs, la priorité devrait également être accordée à un important travail d’interprétation, à entreprendre au niveau des États. En effet, comme je l’ai signalé, les imprécisions, le manque de définitions et les ambiguïtés de certaines dispositions soumettent le TCA à un risque d’interprétations divergentes. Les États devraient dès lors concentrer leurs efforts en faveur d’une interprétation commune, la plus élevée possible, des dispositions du Traité pour garantir des contrôles globaux, cohérents et efficaces.

Les États européens devront également renforcer certaines de leurs pratiques dans le cadre du TCA (notamment en termes de transparence sur leurs importations). De plus, plusieurs affaires relatives à des exportations d’armes européennes nous montrent depuis des années que les États européens n’interprètent pas toujours leurs critères de façon harmonisée.

Toutefois, l’expérience de l’UE dans le cadre du contrôle des exportations d’armes en fait un acteur pertinent pour engager les autres États sur la voie d’une interprétation commune des dispositions du TCA. Par ailleurs, l’UE a fait preuve de sa capacité à renforcer l’implication et l’engagement de tous les États des Nations Unies en faveur du TCA à travers l’organisation de séminaires ou de rencontres régionales ou bilatérales. Les États membres devraient par conséquent poursuivre leurs activités de promotion du Traité et promouvoir son interprétation large, en particulier sur le champ d’application (définition des armes à couvrir et définition des « exportations »), la notion de risque « prépondérant » ou encore la définition des mesures d’atténuation des risques et de prévention des détournements.

En guise de conclusion, le succès du traité et la différence qu’il pourra peut-être marquer avec les années d’absence de réglementation internationale dépendront de sa mise en œuvre, mais aussi de la volonté des États d’avoir une lecture commune de ses dispositions. Au moment de signer le TCA, certains États ont d’ores et déjà annoncé que c’est sur cette voie qu’ils allaient désormais avancer. Dans ce cadre, les États de l’UE devraient leur emboîter le pas en commençant par ratifier le TCA le plus rapidement possible.

(1)  Jihan Seniora, « Les États s’accordent pour réglementer le commerce des armes », Brève du GRIP, 4 avril 2013 :
(2) Un rapport du GRIP sera publié prochainement à ce propos.
(3) Voir par exemple Virginie Moreau, Cédric Poitevin et Jihan Seniora, « Contrôle des    transferts d’armes – L’exemple des États francophones d’Afrique subsaharienne », Rapport du GRIP,  4 octobre 2010 
(4) . Pour consulter la liste des pays signataires et Parties au traité 


Virginie Moreau

Virginie Moreau

Virginie Moreau est chargée de recherche pour le projet « Armes légères et transferts d’armes » au GRIP. Ses recherches portent sur le renforcement des contrôles des transferts d’armes. À cet égard, elle travaille en particulier sur le Traité sur le commerce des armes, dont elle a suivi les négociations et l’adoption.