Le Roi prédateur – Main basse sur le Maroc

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Le Roi prédateur – Main basse sur le Maroc[1] de Catherine Graciet[2] et Eric Laurent[3], paru le 1er mars dernier en France, est un ouvrage qui met noir sur blanc ce qu’une grande partie des Marocains savent déjà (ou soupçonnent) à savoir la domination voire le monopole du pouvoir royal dans l’économie nationale et le contrôle du système politique.

L’objectif des auteurs est de décrire une « prédation royale » (p.7) d’une ampleur telle qu’elle fait du Maroc « un cas unique ».  Selon les auteurs, cette mainmise royale sur l’économie nationale et le financement du train de vie de la monarchie (et même des bonnes œuvres royales) se font sur les deniers publics[4] et que par conséquent la monarchie vit aux crochets de  ses sujets. (p.17) et que l’Etat subventionne les entreprises de Sa Majesté (p.129).

Les deux journalistes Catherine Graciet et Eric Laurent,  qui connaissent assez bien le Maroc pour y avoir longtemps travaillé, ont mené une enquête minutieuse se basant sur des ressources existantes variées (journalistiques, rapports d’institutions, ouvrages) et des entretiens qu’ils ont réalisés avec plus de 40 personnes : des experts, des représentants institutionnels, des personnes proches du pouvoir ou évincés du sérail et des politiques qui ont accepté de témoigner de manière anonyme (pour leur majorité) de cette prédation.

Les auteurs s’attachent à décrire comment la monarchie marocaine- et ce depuis Hassan II- a mis en place un système économique, budgétaire, politique et social qui lui permette de perdurer et de s’enrichir et ce au détriment du peuple. L’analyse montre comment le roi Mohammed VI, classé en 2009 au 7e rang des monarques les plus riches[5] par le magazine américain Forbes, et connu comme le « roi des pauvres » est en réalité « le premier banquier, le premier assureur, le premier agriculteur » (p.11) du Maroc et qu’il détient des holdings dans « l’agroalimentaire, l’immobilier, la grande distribution, l’énergie, les télécoms» (p.11). Ces révélations accusent le roi ainsi que ses proches amis Mounir Majidi (secrétaire particulier et grand argentier du Palais) et Fouad Ali El Himma (ministre délégué à l’intérieur de 1999 à 2007 et conseiller au cabinet royal depuis décembre 2011[6]) d’avoir doublé la fortune royale en cinq ans et ce alors que la crise mondiale perdure.

Même si l’objet d’investigation est difficilement accessible et donc vérifiable, le système opaque et les sources anonymes, l’intérêt de cet ouvrage est pluriel. Il réside dans un premier temps dans les descriptions détaillées des parcours, des profils et du fonctionnement du premier cercle du monarque qui font apparaître la personnalité complexe d’un roi secret et violent. Les auteurs montrent également comment sont montées des stratégies économiques et des campagnes de communication s’apparentant à des opérations qui participent au développement et à la démocratisation du pays et qui en réalité ne visent qu’un objectif selon ces derniers à savoir l’enrichissement et les caprices d’un roi de plus en plus avide (la marocanisation des entreprises, la réduction des droits de douane du lait importé, la création du parti du PAM, le festival Mawazin…). De même, les fines analyses du système monarchique et des structures sociales marocaines révèlent les censures, les abus et les violences d’un pouvoir absolu et arbitraire, la soumission et la coopération du Makhsen[7](culture de la docilité p.8), la passivité des partis politiques et sans oublier les intrigues de cour. Enfin, les journalistes montrent comment la France qui fait preuve d’une étonnante tolérance et indulgence face aux excès du pouvoir royal a perdu de son influence et de ses relations privilégiées au Maroc[8] sous le règne du roi Mohammed VI (Paris et Rabat ne présentent plus guère d’intérêt l’un pour l’autre (p.215) et comment l’hexagone, via l’Agence Française de développement et l’Union Européenne, est mis à contribution par la monarchie dans de nombreux projets (TGV, Port de Tanger).

Au Maroc, l’ouvrage a été censuré par les autorités marocaines estimant qu’il portait « atteinte à l’image de Sa majesté et aux institutions du pays. ». De même, le quotidien espagnol El País qui avait eu l’audace de publier des extraits a été interdit le 26 février dernier et jugé selon le ministère de la Communication « diffamatoire et sans preuve ». Peine perdue, grâce aux nouvelles technologies, l’ouvrage a pu circuler par mail pendant quelques jours sous format PDF et une séance de lecture a même été enregistrée et diffusée dans les réseaux sociaux (http://www.youtube.com/watch?v=YXXzRfd7BPw).

 

[1] Le Roi prédateur. Main basse sur le Maroc, Catherine Graciet et Eric Laurent, Le Seuil, 216 p., 17,80 €
[2] Catherine Graciet a été journaliste au Journal Hebdomadaire (fermé par les autorités marocaines), et en poste pendant un an à Casablanca. L’auteure a également publié La Régente de Carthage  (La Découverte) en 2009, qui dénonce les agissements illégaux de Leila Trabelsi, l’épouse de l’ex-président Ben Ali en Tunisie.
[3] Eric Laurent a écrit en 1993 un livre d’entretiens avec Hassan II : La Mémoire d’un roi (Plon).
[4] Une partie du budget allouée est votée chaque année au parlement. Budget total du Palais : 250 millions d’€.
[5] La fortune du roi Mohammed VI est estimée à 2,5 milliards de dollars alors que 15% de la population marocaine vit avec 2 dollars par jour.
[6] Alors que lors des manifestations, le Mouvement du 20 février réclamait le départ de Mounir Majidi et de Fouad Ali El Himma.
[7] Mot utilisé pour désigner les institutions marocaines et qui sont souvent très critiquées par les Marocains alors que le roi reste intouchable.
[8] Les affaires Axa et Auchan.

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