Le retour de la piraterie maritime

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Renouveau… Le 4 avril 2008 dans l’après-midi, les Français éberlués découvrent que les pirates sont de retour sur les mers. Ce 4 avril Le Ponant, un luxueux yacht de croisière est pris d’assaut dans le golfe d’Aden. L’équipage est retenu en otage et le voilier fait route vers les côtes de la Somalie sous la conduite d’une bande de gueux en haillons armés de grappins et de kalachnikovs. L’épopée des pirates s’écrit de nouveau au présent. S’il éclate à ce moment dans les médias, le renouveau de la piraterie maritime dans cette région de l’océan Indien date déjà de plusieurs années, mais le phénomène s’emballe. Le nombre d’attaques est multiplié par plus de cinq entre 2003 et 2008 et il explose en 2009.

    Mondial…

La corne de l’Afrique n’est pas le seul endroit de la planète où la piraterie prospère depuis plusieurs années: détroit de Malacca, golfe de Guinée, côtes de l’Amérique du Sud, mer des Antilles, autant de zones où les attaques font l’actualité. Entre 1993 et 2003, le nombre global d’attaques recensées dans le monde triple. Il continue singulièrement d’augmenter.

Chacune des régions concernées a ses caractéristiques propres ou si l’on peut dire ses spécialités. En mer des Antilles les actes de piraterie sont peu ou prou liés au trafic de drogue. Dans le golfe de Guinée l’activité pétrolière est aujourd’hui régulièrement visée, tandis que des revendications territoriales aiguisent le phénomène, les protagonistes utilisant l’arme de la piraterie pour se faire entendre. Historiquement, c’est le détroit de Malacca  qui voit le premier le renouveau de la piraterie maritime à la fin des années 1980 en raison de l’explosion du trafic commercial, de la misère des populations riveraines et de la déliquescence de l’État indonésien, incapable d’assurer la sécurité de ses eaux. Après vingt ans d’exactions, la région a retrouvé aujourd’hui une situation sensiblement normale et le détroit de Malacca n’est plus classée « zone maritime dangereuse » par le Lloyd’s Register.

    Regard…

Quel regard porter sur cette piraterie des temps modernes? Diffère-t-elle de l’aventure tragique mais romanesque qui a marqué l’histoire de nos pays jusqu’au XVIIIéme siècle. Les somaliens qui montent à l’assaut de gigantesques pétroliers dans le golfe d’Aden, sont ils les héritiers des flibustiers courant sus aux galions espagnols? Quelles sont les données de cette nouvelle épopée?

    Mythe encore

La piraterie fait toujours partie de notre imaginaire. Elle continue de peupler nos rêves d’enfants et de nous  fasciner. Comme au temps de son apogée, le phénomène reste ambiguë. Le pirate est un bandit, mais il revendique de nobles causes, annonce qu’il lutte contre le pillage des eaux, la pollution ou les rejets illicites. L’image du capitaine Misson fait de nouveau rêver. La piraterie demeure dans l’univers du mythe. Pourtant c’est aussi  une réalité tangible, souvent sanglante et crapuleuse.

    Histoire…

La piraterie s’inscrit plus que jamais dans une tradition historique: les populations maritimes restent tentées d’améliorer un ordinaire modeste en faisant main basse sur ce qui passe à portée. Ce n’est pas aujourd’hui que les pirates, les trafiquants ou les contrebandiers sont apparus dans les eaux somaliennes, Henry de Monfreid en a largement témoigné, d’autres avant lui. Quand la nécessité fait loi, on est pirate de père en fils, c’est une profession banale, socialement admise.

    Géographie

La piraterie se développe plus facilement à proximité des passages que les navigateurs sont contraints d’emprunter, on a déjà évoqué le détroit de Malacca  ou le golfe d’Aden  Les bateaux cibles sont pris dans une nasse, sans guère d’espoir d’échapper à leurs assaillants. Elle prolifère aussi là où la juxtaposition des États et de leurs frontières maritimes permet aux contrevenants de se jouer des différences de législation.

    Mondialisation

La mondialisation avec la croissance exponentielle des échanges et par conséquent des flux maritimes apporte aux pirates un nombre et une variété de cibles toujours plus importants tandis que la valeur des cargaisons, ou leur dangerosité potentielle – pétrole, gaz, matières chimiques ou nucléaires – exploitables à des fins criminelles, augmentent au fil des ans avec la taille des navires.

      Technologie…

Le développement technologique quant à lui met à leur portée à des prix désormais bon marché des embarcations puissamment motorisées, des systèmes de navigation précis et des dispositifs de communication performants qui leur ouvrent l’accès à la haute mer en toute sécurité, mais aussi des armements lourds ou légers de plus en plus sophistiqués.

Ces progrès technologiques servent davantage les pirates que les bâtiments de commerce à bord desquels la multiplication des  automatismes de conduite a entraîné une importante diminution du nombre des marins disponibles pour la veille. En outre l’extrême hétérogénéité des équipages de culture, de langage, de formations différents fragilise la cohésion dans les situations délicates, facilitant ainsi le travail des pirates.

    Droit

La faiblesse du cadre juridique international entourant la piraterie mérite d’être soulignée. Elle a été mentionnée dans la convention de Genève de 1958 mais de façon succincte. La convention de Montego Bay de 1982 sur le droit de la mer  est de son côté assez lacunaire. La convention de Rome de 1988 donne une définition plus opératoire et fournit un meilleur cadre pour la coopération judiciaire, mais elle n’a été ratifiée que par un petit nombre d’États. Le problème reste donc qu’il n’y a pas de définition claire unanimement admise par les États, qu’il est en conséquence difficile de lutter efficacement contre un phénomène insuffisamment cerné.

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Contexte historique et cadre géographique, mondialisation, progrès technologique, fragilité juridique, tous les ingrédients sont réunis autour de l’Afrique pour permettre à la piraterie d’y prospérer. Mais c’est surtout de la misère, du dépit et de l’anarchie que s’alimente aujourd’hui le phénomène.

   Zones grises…

La Somalie n’est pas dépourvue de richesses, malheureusement depuis près de trente ans, l’anarchie s’est installée sur fond de vide stratégique dans cette zone autrefois stabilisée par l’affrontement Est-Ouest. La piraterie a commencé à ressurgir dans les années 1990, d’abord comme une réponse des populations côtières au pillage de leurs eaux laissées sans surveillance, par des pêcheurs Yéménites puis asiatiques. Les actes de piraterie se sont ensuite étendus aux caboteurs et petits bâtiments de passage dans les eaux côtières. Elle a véritablement explosé à partir de 2005, les pirates se réclamant d’une « garde côte » réagissant aux incursions de pêcheurs étrangers et au déversement de déchets toxiques par des industriels peu scrupuleux (1). La situation n’est pas meilleure dans plusieurs pays du golfe de Guinée, et singulièrement au Nigeria. Ce pays retire des revenus importants des activités pétrolières, mais leur répartition est contestée par les populations du delta du Niger qui s’estiment spoliées alors qu’elles subissent de plein front les nuisances et les pollutions générées par l’exploitation. En réaction la piraterie s’est notablement développée depuis 2003-2004. L’insécurité est extrême et les enlèvements sont pratiques courantes. Lorsqu’elles se déplacent en haute mer ces activités de banditisme sont qualifiées de piraterie, mais elles se déroulent plus généralement dans les eaux intérieures ou territoriales, ce qui limite considérablement les possibilités d’interventions internationales. Cette région du golfe de Guinée est probablement aujourd’hui la plus dangereuse en matière de piraterie, mais les informations dont on dispose y sont ténues.

    À terre

En 67 avant Jésus Christ le général Pompée a montré l’exemple. C’est d’abord ses légions qu’il a envoyé contre les pirates pour réduire leurs repères. Nul ne songe aujourd’hui à rééditer l’histoire ni à envahir la Somalie ou quelque autre région de l’Afrique, mais la leçon doit être retenue, c’est à terre qu’on gagne la bataille. Il convient de s’attaquer aux causes profondes du phénomène. C’est à l’évidence la mise en place d’institutions respectées, la restauration d’un état de droit, la paix civile, la stabilité, le redressement de l’économie, et le retour à une certaine prospérité qui seront les meilleurs outils de lutte contre la piraterie.

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   Les pirates

Le recoupement des témoignages de marins pris en otage et l’observation des assauts, des négociations ou deslibérations, permet d’esquisser un tableau de la piraterie et des pirates en Somalie. Les informations sont toutefois fragmentaires et toute enquête sérieuse ou étude du phénomène restent à ce stade impossible sur place. Les observateurs s’accordent pour retenir le schéma suivant qui distingue:

– Les commanditaires disposant de suffisamment d’argent pour réunir des équipes, acheter ou louer du matériel et assurer le recueil et la négociation. On considère qu’il faut entre 10 000 et 20 000 dollars pour organiser une campagne. Certains commanditaires se sont probablement regroupés et il existerait quelques organisations de plusieurs centaines de personnes, capables d’édicter des règles et de fixer les pratiques.

– Les pirates proprement dit; ce sont de pauvres bougres, des hommes de main souvent peu familiers des choses de la mer recrutés et formés à la hâte ou d’anciens pêcheurs agissant de leur propre initiative avec leur propre matériel, rabattant leur proie moyennant rémunération.

On estime que plusieurs centaines « d’équipes » opèrent dans les eaux somaliennes.

– L’environnement: un bateau et un équipage retenus en otage nécessitent un soutien logistique conséquent. On trouve ainsi des interprètes et négociateurs chargés des relations avec l’armateur, des commerçants pour le matériel et la fourniture des repas aux pirates et aux otages, des forces de sécurité pour la surveillance, sans compter les transporteurs, les mécaniciens, les secrétaires, les comptables…

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Si les pirates opérant à bord de leurs skiffs sont des gueux en haillons, il ne faut pas croire que le combat est facile, il est au contraire complexe.

    Immensité…

En Océan Indien, les zones d’action des pirates sont aujourd’hui immenses. Elles s’étendent désormais à près de 1000 nautiques au large et descendent jusqu’aux îles Seychelles et au canal de Mozambique. Les surfaces à surveiller représentent ainsi plus de deux millions de kilomètres carrés,  quatre fois la superficie de la France.

  Fugacité

Zones immenses, mais aussi très grande rapidité d’intervention des pirates. Il ne faut que quelques minutes à une embarcation puissamment motorisée pour rattraper sa proie, quelques secondes pour grimper à bord et investir le navire.

Quelques minutes à peine suffisent ainsi à transformer « un innocent pêcheur » en un pirate preneur d’otages. Les attaques sont fulgurantes et  les forces de surveillance se trouvent opposées à des cibles fugaces qu’il est difficile de caractériser et d’intercepter avant le passage à l’acte. Pour des hommes résolus et armés, disposant de quelques moyens rudimentaires et d’un minimum d’entraînement, prendre d’assaut un navire de pêche ou de commerce ne présente guère de difficulté.

  Bateau mère

Dans l’océan Indien et le golfe d’Aden, les pirates interviennent souvent à partir de « bateaux-mères » qui leur permettent d’augmenter singulièrement leur rayon d’action en servant de bases flottantes. Ces bâtiments sont des boutres, des navires de pêche ou de petits caboteurs préalablement saisis par les pirates.

    Assaut, déroutement…

Venant de la côte ou opérant à partir de bateaux-mères, plusieurs skiffs – embarcations légères de plastic ou d’aluminium puissamment motorisées et gorgées de futs d’essence – s’approchent à grande vitesse, rattrapent le navire-cible et le prennent d’assaut à l’aide d’échelles ou de grappins, après avoir menacé l’équipage par des tirs d’armes automatiques ou de lance-roquettes. Une fois le navire investi et pris sous contrôle, il est dérouté vers un mouillage de la côte pour la négociation de la rançon. Dans le golfe de Guinée, les attaques ont lieu de nuit, à l’aide de speed boats, avec des armes légères; les cibles sont des navires isolés ou en attente d’opération.

    Veille…

C’est un secret de polichinelle: la veille est le plus souvent mal assurée sur beaucoup des navires de commerce ou de pêche en haute mer. Les raisons en sont multiples: équipages réduits en regard de la taille des navires, composition hétéroclite (il n’est pas rare de trouver à bord cinq à six nationalités différentes, sans langue commune), faiblesse et hétérogénéité des formations, négligence, lassitude et monotonie face à la mer souvent vide. Dans ces médiocres conditions de surveillance il est facile pour les pirates de s’approcher sans être vus et de monter à bord impunément, sans opposition de l’équipage, sans même que les moindres mesures de confinement ou de sécurité élémentaires soient mises en oeuvre.

    Reprise

Quand les pirates ont capturé un navire et pris ses marins en otage, les actions de reprise ou de rétorsion sont en revanche d’une grande complexité, car les pirates restent sur leurs gardes, sont fortement armés et n’hésitent pas de leur côté à faire feu, alors que les forces d’intervention sont attentives à limiter les risques et soumises à une règlementation stricte.

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Comment dans ces conditions protéger les navires avec la meilleure efficacité? À bord des navires…  Il est clair que la réponse se trouve en premier lieu à bord des navires de commerce eux mêmes: des dispositifs automatiques de surveillance, d’alarme, et de sécurisation des locaux, existent ou font leur apparition sur le marché. Ces installations peuvent avoir une bonne efficacité pour décourager les assaillants afin d’offrir aux équipages davantage de temps pour se protéger en attendant des secours. Mais il serait imprudent de fonder uniquement la réponse sur des dispositions techniques: rien ne remplacera jamais l’œil du marin et son expérience pour évaluer un danger et apprécier la réponse à apporter à une menace. C’est la qualité des équipages des navires qu’il convient d’abord d’améliorer. Elle passe le plus souvent par un renforcement numérique  mais aussi par une meilleure formation. Ce sont là des mesures indispensables que certains armateurs responsables ont commencé à mettre en oeuvre, mais que d’autres refusent par calcul économique.

    Bonnes pratiques

Outre l’amélioration de la veille, il est clair que la vitesse du navire cible est un élément déterminant dans le succès ou l’échec de l’attaque. Plus elle est élevée, moins les pirates ont de chance de rattraper leur proie et de réussir leur assaut.  L’exécution de manoeuvres évasives, virages ou larges abattées peuvent aussi compliquer l’assaut. D’une manière générale des conseils de « bonnes pratiques » sont proposés aux capitaines de navires par les forces navales agissant dans les zones infestées.

    Piracy Reporting Centre…

Dès 1992, le Bureau Maritime International (BMI) avait créé à Kuala Lumpur en Malaisie un « Centre de Contrôle de la Piraterie », point de contact destiné à recevoir 24 heures sur 24 les alertes des navires attaqués, à les transmettre aux autorités, à diffuser des informations relatives aux attaques et à surveiller l’évolution du phénomène. Le PRC travaille aujourd’hui en étroite relation avec tous les pays impliqués dans la lutte contre la piraterie.

    Code

La mise en vigueur du code ISPS (2), décidée par l’Organisation Maritime Internationale (OMI) en décembre 2002 sous la forte pression des États-Unis à la suite des attentats du 11 septembre 2001, a défini un certain nombre de règles et de conseils pratiques pour réduire l’exposition des navires de commerce aux risques terroristes, mais aussi aux actes de piraterie. Ces dispositions vont naturellement dans le bon sens, quand elles sont appliquées avec détermination et contrôlées avec sérieux.

    Contrôle naval

Dans le même esprit de protection des navires, la France a activé depuis octobre 2001 dans la partie nord de l’océan Indien le « Contrôle Naval Volontaire » (3): sur la base du volontariat, tous les armateurs français bénéficient d’informations régulièrement mises à jour par la Marine Nationale, ainsi que des conseils de prévention. Les Britanniques disposent  d’un dispositif comparable, le UK/MTO, implanté à Bahrein dans les émirats du Golfe Persique.

    Armer les navires

La question de l’utilisation d’armes à feu par les équipages des navires de commerce pour repousser des attaques de pirates eux mêmes largement pourvus se pose naturellement. Certains armateurs y ont aujourd’hui recours sans faire beaucoup de publicité. Cette pratique semble relever du bon sens. En réalité, l’usage de la violence par les seuls États pour s’opposer aux crimes ou aux délits a constitué un progrès de civilisation, et à bien y réfléchir, l’utilisation d’armes à feu par les équipages pose davantage de problèmes qu’elle n’en résout . On songe aux questions de formation et d’entraînement, mais aussi aux conditions de légitimité et de légalité d’intervention. On songe à l’escalade de violence qu’elle risque de déchaîner en cas d’attaque. Assurément ce n’est pas une bonne solution.

    Agences…

Certains propriétaires font de leur côté appel à des Sociétés Militaires Privées (SMP) qui proposent du personnel spécialisé pour assurer la sécurité des navires. Cette pratique se développe, mais les frais sont élevés et renchérissent considérablement les coûts du transport. L’activité de ces « agences » est normalement règlementée et strictement encadrée par les États. Toutefois la présence d’hommes armés, même entraînés, à bord de navires n’est pas sans risque, et l’appréciation des responsabilités en cas d’incident pose aussi de délicates questions.

    Les États

La meilleure solution pour lutter  à la mer contre l’attaque des navires par des pirates ou des terroristes, reste le contrôle des espaces maritimes et singulièrement des zones à risques par les États. Il appartient en premier lieu aux États côtiers de s’organiser pour assurer la sécurité de leurs eaux. Ainsi la situation a-t’elle été grandement améliorée dans le détroit de Malacca par une coopération régionale des pays limitrophes. Mais la plupart des pays de la corne d’Afrique ne disposent pas des outils nécessaires et ne sont pas en mesure de prendre des initiatives. Le paysage n’est guère plus brillant dans le golfe de Guinée. Dans ces conditions, il revient aux États qui veulent défendre leurs intérêts maritimes d’assurer la protection des navires arborant leur pavillon. C’est leur mission régalienne d’assister leurs ressortissants et de garantir la sécurité de leurs approvisionnements. C’est le rôle des marines, un rôle éminent pour nos pays occidentaux dont le ravitaillement provient à 90% par voie maritime. La France le sait bien qui déploie depuis longtemps dans les zones dangereuses ses forces navales. Elle est régulièrement présente sur la côte occidentale de l’Afrique à travers l’opération Corymbe. Elle dispose également en permanence dans le nord de l’océan Indien de bâtiments de haute mer équipés d’hélicoptères, d’avions de surveillance maritime à long rayon d’action ainsi que de commandos et d’une structure de commandement embarquée sur l’un de ses navires (Alindien)  capable de diriger à tout moment de vastes opérations aéronavales.

    Regrouper les forces

Les espaces maritimes à surveiller sont immenses, se chiffrant en millions de km2. Ce n’est qu’en regroupant leurs forces et en coordonnant leurs actions que les nations peuvent espérer réduire le fléau de la piraterie. La France à cet égard joue depuis longtemps un rôle moteur. Dès octobre 2001 elle a été, avec les États-Unis, à l’origine de la lutte contre le terrorisme maritime en mer d’Arabie, dans le golfe d’Aden et le long des côtes de la Somalie. Des opérations qui utilisent sensiblement les mêmes méthodes, les mêmes techniques et les mêmes outils que le combat contre la piraterie: surveillance des espaces avec des avions à long rayon d’action, établissement des flux de trafic maritime, renseignement, interceptions des communications, patrouilles des bâtiments de haute mer, arraisonnement (4) et visite de navires suspects. Dix ans après, ces actions se poursuivent dans le cadre élargi de la Task Force 150 (TF 150) qui réunit aujourd’hui neuf participants et dont la France a assuré à plusieurs reprises le commandement. À l’automne 2007, notre pays a lancé l’initiative de protection des navires de commerce acheminant l’aide du Programme Alimentaire Mondial (le PAM) dont plusieurs avaient été attaqués et détournés par les pirates, et la Marine Nationale a assuré les premières escortes. L’occasion a été saisie dès cette époque pour ouvrir des négociations avec les autorités somaliennes sur l’accès aux eaux territoriales, le droit de poursuite et le traitement d’éventuels prisonniers.

    ONU

Toujours dans le même esprit, le conseil de sécurité de l’ONU a adopté en 2008 plusieurs résolutions (1816, 1838, 1846, 1851) appelant à la mobilisation internationale pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie, créant un cadre juridique autorisant les États participant à entrer, sous des conditions strictes, dans les eaux territoriales et sur le territoire de la Somalie, et les incitant à recourir « aux moyens nécessaires » pour agir. Les résolution 1897 du 30 novembre 2009 et  1950 du 23 novembre 2010  ont renouvelé ce cadre. Dans le même temps, l’ONU a mis en place le « groupe de contact sur la lutte contre la piraterie au large de la Somalie » qui regroupe 45 États et 7 organisations internationales, mais aucun résultat concret n’a véritablement été obtenu sauf la sensibilisation accrue des États et des Organisations.

    Europe, OTAN

En réponse, l’Union Européenne a envoyé une force aéronavale baptisée Eunavfor Atalanta début décembre 2008, réunissant des bâtiments et des aéronefs de huit nations. Le dispositif, composé à l’origine de six navires et de trois avions de patrouille maritime, a pris la relève d’une force d’intervention de l’OTAN présente dans la région depuis octobre 2008. Cette force de l’OTAN a été par la suite renouvelée dans le cadre de l’opération Ocean Schield.

    Et plus…

Dès l’automne 2008, des bâtiments Russes et Indiens sont arrivés le long des côtes de Somalie, tandis que les Chinois ont envoyé une force navale composée de deux destroyers et d’un ravitailleur au printemps 2009. Les États-Unis de leur côté ont décidé en janvier 2009 la constitution d’une nouvelle force spécialement dédiée à la lutte contre la piraterie et invité une vingtaine de nations à se joindre à eux dans une coalition au sein de la Task Force 151, tandis que la TF150 se consacrera uniquement à la lutte contre le terrorisme.

    Babel…

Rarement une cause aura mobilisé autant de participants, parmi les plus grands sur le même théâtre. Certes toutes ces initiatives ne sont pas exemptes d’arrières pensées politiques sur fond de rivalités internationales, mais la multiplication des navires ne peut que contribuer au renforcement de la sécurité dans cette zone troublée tant l’espace à contrôler est immense.

    Coordination

La question de la coordination de l’action des multiples flottes s’est rapidement posée. Question primordiale pour garantir une efficacité globale en rapport avec le nombre de navires déployés, mais assurément délicate. Les différentes nations ou coalitions n’ont en effet souvent ni les mêmes modes d’action, ni les mêmes règles d’engagement, ni parfois les mêmes objectifs, sans compter la diversité des procédures. Pour autant cette coordination a commencé à se mettre en place pour le golfe d’Aden (GOA) à travers le processus SHADE (SHared Awardness and DEconfliction), à l’initiative de la CMF (TF 151) au premier semestre 2009. Le GOA se prête plus facilement à la mise en place d’une coordination car les flux de trafic maritime peuvent être organisés ou régulés (voir infra: IRTC), en concertation avec les armateurs (voir supra: MSCHOA). Les participants au processus se réunissent chaque mois pour tenter de définir un cadre et d’établir des normes.

L’exercice est plus complexe pour les espaces océaniques hors GOA où le trafic est aléatoire, les distances énormes et la saisonnalité déterminante (en raison des conditions météorologiques, l’activité des pirates redouble au printemps et à l’automne). Toutefois un embryon de coopération s’est mis en place à un niveau technique entre les participants pour partager des informations et éviter les interférences lors des opérations ou interventions. Il est intéressant de noter que pour la première fois des forces navales venant d’un grand nombre de pays coopèrent de façon pragmatique dans un but commun. À cet égard, la lutte contre la piraterie est un laboratoire.

    MSCHOA…

À l’occasion du montage de l’opération Atalanta, les états européens ont créé, dans l’esprit du contrôle naval volontaire et du UK/MTO (voir infra), un centre de sécurité maritime spécifique, le MSCHOA (Maritime Surveillance Center/Horn Of Africa) destiné à centraliser les informations relatives à l’activité maritime civile au large des côtes somaliennes, à fournir des recommandations aux navires « abonnés », à effectuer un suivi en temps réel des actes de pirateries et à diffuser les alertes par réseau Internet. Ce centre est installé à Northwood, en Grande-Bretagne, à proximité du PC de l’opération Atalanta.

    IRTC

Pour le golfe d’Aden, le processus de coordination a abouti à la définition de l’IRTC (International Recommanded Transit Corridor), rail maritime stratégique de 500 milles de long et 12 de large destiné à garantir la sécurité du transit des navires qui l’empruntent. Environ six frégates des différentes nations participent à la surveillance de l’IRTC selon la coordination du SHADE.

     Surveillance, escorte

Les autres modes d’action sont évidemment très divers. Concrètement les forces navales déployées, assurent des patrouilles en coordination avec les avions de surveillance maritime à long rayon d’action et elles contrôlent les navires susceptibles de servir de bateaux-mères aux pirates ou les embarcations jugées suspectes. En cas d’alerte les hélicoptères embarqués à bord des frégates permettent d’intervenir rapidement, ce sont des outils d’une redoutable efficacité pour les poursuites et les interceptions. Les forces navales peuvent aussi organiser des escortes spécifiques ou des convois au profit de certains bâtiments.

    Commandos

Pour les bâtiments les plus sensibles, la France, comme d’autres pays, met en place des équipes de protection constituées de commandos-marine embarqués pour le transit dans les zones dangereuses ou pour certaines activités spécifiques (dragues, câbliers, chalutiers).

    Détours

Certains armateurs choisissent d’éviter les côtes somaliennes et le golfe d’Aden en prescrivant à leurs navires de contourner l’Afrique par le sud, mais ce détour rallonge la traversée de plusieurs jours et augmente en proportion les coûts.

     Terrorisme

Le développement de la piraterie à la corne de l’Afrique pose naturellement la question de son lien avec le terrorisme islamiste. Al-Quaeda a été soupçonné d’entretenir des camps d’entraînement en Somalie et de soutenir la révolte des shebab (5): contre le Gouvernement fédéral de Transition (GFT). Toutefois à ce jour, aucun lien organique n’a pu être mis en évidence entre pirates et mouvance terroriste. La piraterie en provenance de Somalie semble rester aujourd’hui une activité de type mafieuse, à but uniquement lucratif. Le caractère clanique de la société somalienne ne permet cependant pas d’exclure que des connexions complexes existent entre les uns et les autres, même si les objectifs fondamentaux sont différents. Assurément le fléau de la piraterie ne peut être contenu que si les nations font preuve de résolution en adoptant des stratégies appropriées et en y consacrant des moyens suffisants. Il ne sera éradiqué à l’avenir que si elles montrent la même détermination pour aider les pays à retrouver leur place dans le concert des nations et à restaurer leur économie.

1. À partir du milieu des années 1990, en l’absence de surveillance côtière, quantité de déchets toxiques ont été déversés par fûts ou par conteneurs entiers dans les eaux somaliennes, en contradiction avec la convention de Bamako de 1991 interdisant de telles pratiques. La vague du tsunami du 26 décembre 2004 ayant bouleversé les fonds, ces déchets ont été rejetés à la côte occasionnant de nombreuses victimes parmi les populations côtières.
2. ISPS (International Ship and Port Security): code international pour la sûreté des navires et des installations portuaires.
3. Contrôle naval volontaire: dispositif prévu pour le temps de guerre par l’ordonnance de 1959 sur la défense et adapté au temps de paix par instruction ministérielle du 27 juin 2001.
4. Arraisonnement: interrogation d’un navire sur son identité.
5. Membres du groupe Al Shabbaab – en arabe: jeunesse – groupe islamiste somalien issu de la fraction dur des Tribunaux Islamistes)

 

Laurent Merer

Laurent Merer

Laurent Mérer, ancien préfet maritime de l’Atlantique et ancien commandant de la zone maritime de l’océan Indien, est l’auteur de « À l’assaut des pirates du Ponant » (Editions Le Rocher, janvier 2012) et de « Moi, Osmane pirate somalien » à paraître aux Editions Le Rocher, avril 2012.

Laurent Merer

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