Le Volontariat, parent pauvre du système humanitaire international ?

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Volontariat Course contre la faim
© Amélie Laurin

L’action humanitaire a beaucoup évolué depuis le siècle dernier ; un regard sur son histoire présente des changements d’orientation, de stratégies, des évolutions pour s’adapter aux exigences d’un monde en perpétuelle mutation et d’une société internationale frappée par la multiplication des crises et catastrophes naturelles dans tous les points de la planète. Dans cette logique d’amélioration qualitative, des réflexions sont menées au sein de la « galaxie humanitaire » pour apporter des réponses efficaces et durables aux besoins des populations affligées (1). Plusieurs thématiques sont de ce fait abordées, notamment celles de l’efficacité de ces réponses et leur caractère inclusif.

Ces thématiques mettent en avant la question de la participation des populations aux réponses humanitaires et interrogent la place qu’occupe une dynamique comme celle du Volontariat dans les activités humanitaires internationales. En tant que dynamique de mobilisation des capacités, le volontariat est-il suffisamment mis à contribution dans les réponses humanitaires ? N’est-il pas le chaînon manquant de la dynamique internationale de réponses humanitaires ?

Le volontariat joue un rôle central dans la dynamique de mobilisation des capacités de par le monde, et bien que son apport dans le développement des pays soit reconnu, c’est un concept dont les vertus ne sont pas valorisées dans tous les domaines, notamment l’action humanitaire. Traditionnellement cantonné dans le secteur du « développement » du fait de la polémique entre acteurs humanitaires et acteurs de développement ces dernières années, la portée du volontariat se limite dans les perceptions de certains uniquement au domaine des projets de développement. Il faut souligner que c’est une vision qui rétrécit considérablement le rayon d’action du volontariat.

Certes l’ONU à travers le Programme de volontariat des Nations Unies (VNU) affecte ses volontaires comme ressources humaines au sein des organisations onusiennes à caractère « humanitaire » ; la Croix Rouge, ses déclinaisons nationales et une multitude d’ONG reposent également sur une dynamique de volontariat. Mais peut-on considérer que ces dispositifs prennent en compte toutes les ressources mobilisables dans un pays quelconque ? Certainement pas. Pourtant, le volontariat devrait être un pilier sur lequel reposent les réponses humanitaires tant sur le plan national qu’international.

Un rôle crucial dans le dispositif humanitaire

La mobilisation des compétences à travers le volontariat est une opportunité qui est très faiblement abordée dans les réponses humanitaires. Les crises, qu’elles soient d’origines humaines (les conflits) ou naturelles (les catastrophes), suscitent un déploiement national et international pour apporter une réponse aux besoins des populations affligées. Bien que ces réponses dépendent des contextes, elles ont une chose en commun : elles requièrent l’implication des populations locales pour des résultats rapides (2).

Nous avons un exemple d’implication efficace des volontaires au Cameroun dans l’Arrondissement de Ketté. En effet, dans la réponse apportée à l’afflux des réfugiés centrafricains dans cette zone de la région de l’Est du Cameroun, les Croix Rouge camerounaises et françaises ont eu recours à des volontaires locaux pour encadrer et accompagner quotidiennement les réfugiés. Ce travail a porté des fruits très intéressants dans la mesure où les informations sur l’organisation des camps, l’orientation des réfugiés et leurs besoins réels sont collectées directement auprès des bénéficiaires et relayées aux instances décisionnelles efficacement au sein du camp des réfugiés « hors site » de Ketté.

En outre, les actions menées par les volontaires sous l’égide du système des Nations Unies ou de la Croix Rouge ont été renforcées par l’engagement de quelques jeunes issus des communautés hôtes qui se sont investis dans les initiatives communautaires lancées pour désamorcer les tensions naissantes entre les populations hôtes et les réfugiés dans la région de l’Est Cameroun.

Ces tensions nées de plusieurs frustrations et du mécontentement des populations hôtes sur la question de la gestion de leurs ressources, du partage de celles-ci et des moyens mis en œuvre par les Organisations Internationales Humanitaires pour répondre aux besoins des réfugiés auraient pu fragiliser la réponse humanitaire internationale dans cette zone.

Ces quelques exemples au Cameroun et dans d’autres situations de crises (3) illustrent le rôle important que peut jouer le volontariat dans la mise en œuvre d’une réponse humanitaire.

Faible valorisation de l’apport multiforme du volontariat dans l’Action Humanitaire

En effet, chaque « théâtre humanitaire » comporte des actions menées volontairement par des personnes compétentes ou des groupes informels de personnes volontaires qui ont renforcé la Réponse apportée aux populations affectées par des crises. Malheureusement, cette implication demeure généralement méconnue de l’opinion publique. La littérature sur les questions humanitaires nous semble très peu fournie en recherches de cet ordre et il y a peu de dynamiques pour relayer ces pratiques et faciliter la prise de conscience collective sur l’intérêt du volontariat pour le système humanitaire. C’est un état de fait plutôt surprenant si nous partons du principe selon lequel le déploiement humanitaire international vient renforcer les initiatives locales.

Par ailleurs, le rayon d’action du volontariat est considérablement limité par des opinions qui considèrent qu’il ne peut s’exercer qu’avant ou après une crise, les interventions d’urgence humanitaire n’étant réservées qu’à une catégorie d’acteurs spécifiquement qualifiés. Cependant, ces interventions d’urgence ne viennent-elles pas en renfort de dispositifs locaux – dispositifs qui sont généralement constitués d’actions volontaires ? Pourquoi ne parle-t-on pas de ceux-là ? La crise humanitaire débute-t-elle à l’arrivée des acteurs internationaux ?

Il y a bien des personnes ou des groupes de personnes qui donnent l’alerte et accompagnent la réponse humanitaire selon leurs capacités. Il est fréquent lors d’un entretien d’entendre un responsable humanitaire dire : « Il nous est difficile de mener telle ou telle action… les données que nous avons sont collectées par les membres d’une association villageoise ‘informelle’ qui nous a beaucoup aidés… »

Ce travail volontaire en situation d’urgence n’est peut-être pas valorisé parce qu’il n’est encadré par aucune loi ou parce que très peu d’organisations humanitaires internationales s’y intéressent. Il n’est relayé nulle part, tant par les autorités nationales que par les acteurs du système international.

La réflexion pour le sommet humanitaire mondial offre l’opportunité de débattre de ces questions et « perceptions » de l’action humanitaire qui finalement en font un domaine élitiste. Comment avoir des réponses humanitaires inclusives lorsque le débat sur l’humanitaire porte essentiellement sur qui est humanitaire ou pas ? Qui est sincère ou pas ? Il y a un travail important de sensibilisation à mener, tant au sein de la communauté humanitaire internationale que de l’opinion publique sur la question du volontariat. Qu’est-ce que c’est ? Comment le capitaliser lors des crises humanitaires ?

Pour des Réponses humanitaires plus inclusives

« Nous devons partager les meilleures pratiques et trouver des moyens novateurs de rendre l’action humanitaire plus efficace et inclusive ». Ban Ki Moon, Secrétaire Général de l’Organisation des Nations Unies.

Dans un contexte où les catastrophes et les conflits nouveaux émergent sur tous les continents, l’Action Humanitaire se positionne comme le levier international pour apaiser les souffrances et secourir les populations affectées. Parce que celle-ci met les besoins de l’homme au cœur des priorités, le volontariat devrait y jouer un rôle central tant au niveau national qu’international.

  • Sur le plan national

Les Actions Humanitaires dans les pays en crise sont abordées de différentes manières par les populations. Au Cameroun notamment, pour l’imagerie populaire, c’est un domaine réservé aux ONG et autres organisations internationales humanitaires. Aucune dynamique de mobilisation volontaire des compétences n’est mise en place pour permettre de capitaliser le potentiel des populations face à la crise humanitaire que connaît le pays. D’ailleurs, le traitement médiatique de la crise en cours au sein des médias locaux est quelque peu critiquable, elle ne contribue pas à édifier les masses sur les actions et les acteurs sur le terrain.

Il est souhaitable que les autorités en charge des questions humanitaires dans les pays en crise travaillent à la mise en place d’un volontariat humanitaire local efficace, ce d’autant plus que les ressources humaines sont disponibles mais ne savent pas à quelle porte frapper pour se rendre utiles. Au Cameroun par exemple, des milliers de personnes formées dans les domaines de la santé, l’éducation, l’eau et l’assainissement, etc. sont mobilisables pour renforcer la réponse que le pays apporte à la question des réfugiés centrafricains et nigérians. Cette situation est fort dommageable pour la réponse humanitaire nationale qui n’a pas que des besoins financiers.

Quant aux organisations locales qui généralement sont les premières à faire face à ces situations de crise, les États devraient élaborer des stratégies de mobilisation des volontaires à partir de l’exemple donné par ces organisations informelles. Cela pour rendre ces actions visibles et capitalisables. Il est temps de faire un focus sur toutes ces contributions citoyennes à la réponse humanitaire nationale.

L’ignorance et la confusion des rôles qui prévalent au sein des populations sur la question des réponses humanitaires illustrent les effets négatifs de l’absence de sensibilisation. Une situation de crise humanitaire est une situation qui interpelle toutes les populations, les États concernés gagneraient à permettre à toutes les couches d’apporter une réponse en institutionnalisant des dynamiques de volontariat national. Des responsables de l’administration locale et des acteurs internationaux déplorent l’absence de ressources humaines disponibles dans le cadre de leurs projets humanitaires. Une dynamique de volontariat humanitaire locale apporterait une solution à ce besoin.

  • Sur le plan International

La société internationale est considérablement perturbée par le débat qui prévaut entre acteurs du développement et humanitaires. Le volontariat qui est généralement placé dans la catégorie des dynamiques de développement est un sujet de divergences. Mais comme le dit Jean-François Mattei, « malgré son prestige et ses innombrables lettres de noblesse, et en dépit de son absolue nécessité en situation de crise ou de désastre, l’action urgence n’a pas et ne saurait avoir le monopole de l’humanitaire légitime (4) ».

Un travail de déconstruction de ces distinctions méthodologiques de la solidarité internationale doit être fait à deux niveaux pour renforcer les réponses humanitaires internationales.

Renforcer l’implication des Organisations de promotion du Volontariat International

Plusieurs pays occidentaux tout comme l’Organisation des Nations Unies ont mis sur pied des dynamiques de volontariat à l’international. Ces organisations disposent des représentations dans la plupart des pays du « Sud ». Il est important que ces structures s’impliquent auprès des partenaires locaux à la construction d’un dispositif de volontariat local efficace capable de renforcer les réponses humanitaires lors des crises. Il est inutile et improductif de maintenir le volontariat à l’écart des situations d’urgence qui nécessitent l’implication de toutes les énergies possibles.

S’il est compréhensible que pour des raisons sécuritaires et politiques, la coopération par l’envoi des volontaires dans les zones de crise puisse s’avérer dangereuse, il est difficile de justifier l’absence de synergies de construction d’un volontariat humanitaire local. La réponse aux catastrophes ou aux situations de conflit ne se construit pas dès l’apparition de la crise, c’est une dynamique mise en place en amont pour pouvoir œuvrer à la prévention, la réponse proprement dite et la reconstruction après la crise.

C’est une construction qui peut se matérialiser à travers des projets en commun, des programmes stratégiques visant à la fois à sensibiliser les populations sur les questions humanitaires et à entretenir un dispositif de mobilisation des compétences locales permettant aux populations de participer et de renforcer les politiques humanitaires locales et internationales.

Pour des motifs conceptuels, la coopération internationale à travers le volontariat est problématique au sein du système humanitaire, ce qui crée un vide dans les dispositifs parce que toute réponse humanitaire se veut participative. Le volontariat en tant que dynamique de participation citoyenne devrait être au cœur des situations d’urgence. Les organisations de promotion du volontariat à l’international ont un champ d’action très large, et dans le contexte actuel de multiplication des crises et catastrophes naturelles, la véritable solidarité passe par l’appui aux dispositifs locaux de prise en charge des réponses humanitaires.

Pour une meilleure prise en compte de la composante « volontariat »
dans la coordination des réponses humanitaires.

Pour coordonner les efforts internationaux en matière d’actions humanitaires, l’Organisation des Nations Unies a mis sur pieds un Bureau pour la Coordination des affaires humanitaires (OCHA). Cet office est déployé sur la majorité des théâtres de crises pour superviser le dispositif onusien et renforcer les efforts locaux. Ce déploiement s’effectue à travers plusieurs mécanismes tel le système des clusters (5). C’est un dispositif intéressant, mais il faut reconnaître qu’il n’apporte pas toutes les réponses aux questions humanitaires actuelles, notamment celles sur les outils permettant de garantir une plus grande implication des populations aux réponses humanitaires.

En effet, la question de l’implication des populations vulnérables par exemple ne se poserait pas si des dispositifs de mobilisation des volontaires étaient en place parce qu’ils offriraient à toutes les couches de la population l’opportunité de se joindre aux efforts internationaux. S’interroger sur les stratégies de participation et d’expression des couches affectées par une crise, c’est reconnaître implicitement qu’il faut introduire le volontariat comme thématique au même titre que la santé et les autres domaines des clusters.

Le bureau de coordination des affaires humanitaires qui est censé élaborer des stratégies pour assurer des réponses humanitaires efficaces devrait accorder une place plus grande au volontariat dans son dispositif de réponse. Cela permettra une gestion plus globale des moyens disponibles.

Restaurer la santé, assurer l’éducation, offrir des abris est louable, mais tout cela serait encore plus durable si les populations bénéficiaires et hôtes étaient impliquées dans ce processus. Le volontariat est une clé qui peut apporter l’innovation et la participation recherchées aujourd’hui dans les réponses apportées aux crises humanitaires.

Aujourd’hui, l’action humanitaire se propose de contribuer au relèvement d’un nombre sans cesse croissant de personnes. Pour cela, elle dispose certes de moyens financiers considérables, mais la participation des populations et l’implication des personnes vulnérables aux dynamiques humanitaires mises en place restent problématiques. Il se pose ici le problème du caractère inclusif des réponses humanitaires, et après des centaines d’années de pratiques, il est temps de donner une place plus importante au volontariat dans cette dynamique.

Longtemps maintenu à l’écart des questions humanitaires par ce que nous considérons avec Serge Allou comme de « fausses différences (6) », le volontariat est aujourd’hui la clé pour ouvrir les portes de l’action humanitaire à toutes les couches de la population, qu’elles soient vulnérables ou dotées de compétences, pour renforcer la réponse engagée sur le terrain.

Les États devraient se mettre dans une dynamique de construction d’un volontariat doté d’une logique humanitaire, avec l’appui des organisations de promotion du volontariat international et sous l’impulsion de la Coordination onusienne en charge des questions humanitaires.

La mobilisation internationale face aux catastrophes et autres crises contemporaines doit se faire en tenant compte des capacités de tous. Le volontariat offre à la coordination des affaires humanitaires l’opportunité de mettre en œuvre des Actions réellement inclusives.

 

Orientations bibliographiques

  • Serge ALLOU et Michel BRUGIERE, « Urgence et Développement : agit-on si différemment ? » in les ONG dans la tempête mondiale, nouveau débat, nouveau chantier pour un monde solidaire, sous la direction de Coordination Sud, éd. Charles Léopold MEYER, 2004.
  • Alex De VAAL, recomposition du paysage humanitaire, globalisation philanthropique et nouvelle solidarité, Vacarme 2006/1 (N°34), p. 26-31.
  • Faim, Catastrophe, Espoir ; repenser l’Humanitaire en Afrique, Fédération Internationale des Sociétés de la Croix Rouge et du Croissant Rouge (IFCR), Genève, 2009.
  • « Pour une action humanitaire aux effets durables », Jean-François Mattei, in l’humanitaire en catastrophe, Revue Humanitaire n° 13, p. 44-52.
  • Rapport sur la situation du volontariat dans le monde, 2015, PNUD.

 

(1) Des consultations et autres réflexions nationales, régionales et sous-régionales sont organisées en prélude au Sommet Humanitaire Mondial prévu à Istanbul en Turquie en 2016.

(2) Fonder les interventions sur les capacités locales est un principe fondamental de l’Action Humanitaire. Il est prescrit dans deux documents normatifs, notamment le code de conduite pour le mouvement international de la Croix Rouge et du Croissant Rouge (article 6) et le principe de bonne conduite humanitaire pour les bailleurs de fonds (articles 7 et 8).

(3) Le rapport sur la situation du volontariat dans le monde 2015 présente des actions menées par des volontaires dans les différentes phases de plusieurs crises humanitaires, notamment en Sierra Leone, en République centrafricaine, etc.

(4) « Pour une action humanitaire aux effets durables », Jean-François Mattei, in l’humanitaire en catastrophe, Revue Humanitaire n° 13, p. 44-52.

(5) Le système des clusters est une approche qui subdivise la Réponse Humanitaire par secteurs. Chaque secteur est attribué à une organisation qui en est le chef de file sur le terrain. Nous pouvons dénombrer les clusters suivants : santé, éducation, logistique, nutrition, eau et assainissement, agriculture, abris d’urgence…

(6) Serge ALLOU et Michel BRUGIERE, « Urgence et Développement : agit-on si différemment ? » in les ONG dans la tempête mondiale, nouveau débat, nouveau chantier pour un monde solidaire, sous la direction de Coordination Sud, éd. Charles Léopold MEYER, 2004.

 

Achille Valery Mengo

Achille Valery Mengo

Achille Valery MENGO est diplômé de l’institut des relations internationales du Cameroun: option coopération internationale et action humanitaire.