Mali : World of war crash

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Cette image a été publiée dans toute la presse française
Cette image a été publiée dans toute la presse française

Une photo de guerre d’un soldat français au Mali qui surprend tout son monde, enflamme la toile et les esprits, met le feu au SIRPA, décontenance les  photographes, Issouf Sanogo pour l’AFP et Yann Foreix pour Le Parisien, auteurs de cette image que l’on ne saurait voir. De quoi s’agit-il? Avons-nous eu peur de nous-mêmes, de notre « intervention », de ce que nous sommes et représentons, de notre visage dans le miroir médiatique, de notre armée ou encore de ressembler à l’ennemi ? Un vrai problème d’image c’est sûr, mais aussi un conflit intergénérationnel et de responsabilité semble-t-il.  L’armée française n’a rien à voir avec les accoutrements festifs et déjantés des enfants soldats libériens de l’époque Charles Taylor.

La média-sphère s’est emparée de ces photos suscitant des indignations diverses et variées jusqu’au sommet des états majors tel que le relate François Béguin pour Le Monde : « C’est un comportement qui n’est pas acceptable », a déclaré le colonel Thierry Burkhard, porte-parole de l’état-major, lors d’un point de presse. « Cette image n’est pas représentative de l’action que conduit la France au Mali à la demande de l’Etat malien » et de celle que mènent ses soldats souvent « au péril de leur vie », a-t-il souligné. » On ne peut pas dire plus clair : l’armée française n’a rien à voir avec les accoutrements festifs et déjantés des enfants soldats libériens de l’époque Charles Taylor.

Toutefois, si l’uniforme se devait d’être comme à la parade et porter les valeurs propres aux guerriers démocratiques occidentaux, ne faudrait-il pas mieux leur fournir de quoi se protéger du sable et de considérer que, dans ces nouvelles « interventions » sahéliennes, un équipement approprié semble s’imposer? Le foulard ou le masque «agréé» fera-t-il désormais partie de l’uniforme des forces françaises déployées évitant par la même une crise médiatique? Mais qu’en sera-t-il ensuite des paires de lunettes de marque « Police »portées par des combattants? Connaîtrons-nous un jour une rubrique « dans ton casque » pour savoir ce que nos chers soldats écoutent lorsqu’ils sont en vadrouille belligène? L’état major aurait-il une track-list à leur suggérer et des motifs de tatouages validés? En définitive, cette affaire est un peu celle de l’ex-Garde des Sceaux Rachida Dati portant un gilet brodé « évoquant » une feuille de cannabis, lors de La Matinale sur Canal+, ou celle d’humanitaires arborant des look et des comportements de militaires… sauf que l’humanitaire n’est pas un soldat qui n’est pas un ministre. Mais nous apprenons ici que l’image touche chacun de nous en particulier lorsqu’il est dépositaire de valeurs que l’on dit défendre à défaut de les comprendre ou en inverser le sens même sans le vouloir.

La conséquence de ce phénomène est sans conteste la prise d’otage médiatique. Des hommes, des femmes sont en détention médiatique non pas pour ce qu’ils sont ou font vraiment mais pour ce qu’ils représentent. C’est cela qui prime au prime time et il est grand temps pour les hommes de terrain d’en prendre conscience et de s’en méfier car l’habit fait désormais le moine. Des milliers de jeunes affichent sur leurs tee-shirts des slogans ou des images polémiques mais qui sont mis au service de la branchitude de ceux qui les portent, marginalement pour celui de la cause. C’est la preuve de leur appartenance à une communauté de corps et d’esprit souvent très virtuelle qui ne dépasse pas le stade du bon, du mauvais mot ou d’une image censée faire du sens mais dont le sens échappe, dépasse celui qui en est le véhicule.

La symbolique des images évolue mais pas pour tous les yeux de ceux qui les regarde. Il est donc fondamental de dissocier l‘image perçue ici de celle reçue là-bas (et vice versa). C’est bien l’un des dangers de la mondialisation. Certains professionnels le savent bien, mais moins le grand public. De nombreuses images font le tour du monde mais ne seront pas comprises ou déchiffrées de la même manière d’un bout à l’autre de la planète. Ceux qui les fabriquent doivent en avoir conscience et ceux qui les reçoivent doivent savoir que certaines significations peuvent leur échapper, qu’une image peut se lire à un autre degré que celui qui lui sera prétendument donné. C’est la manipulation et la propagande qui en régissent souvent les motivations. Enfin, si cette affaire dévoile le manque de briefing en communication des équipes allant sur le terrain (et qui ne concerne pas que les militaires loin de là) elle apparaît par ailleurs comme un conflit de génération et de responsabilité.

Un conflit de génération et de responsabilité. Laisser croire que la réalité de la guerre et de l’armée est proche de la virtualité des jeux vidéo, est-ce bien responsable?

Combien d’articles ne faisant pas référence au jeu Call of Duty et à Ghost ? Quelle formidable promotion pour les concepteurs de ces jeux. Mais ne pourrait-on pas prendre n’importe quelles autres références cultes comme celles des tontons flingueurs, du cinéma de guerre américain Apocalypse Now, Platoon ou Full Metal Jacket? Ils n’ont rien à envier à ceux des « bleus » et de leurs jeux de guerre online. Mais, non, on ne le peut pas pourquoi? D’une part parce que ces films sur la guerre du Vietnam étaient des tentatives de retranscription d’une certaine réalité. Ce n’est pas le cas des films d’action et de divertissement de Sylvester Stallone ou Arnold Schwartzenegger par exemple qui s’inscrivent dans une pure fiction et pour certains même dans la science-fiction. D’autre-part le cinéma n’est pas virtuel. Il est fait de chair et d’os et les situations sont, pour celles qui ne relèvent pas de l’animation, une forme de représentation de la vie réelle. De nos jours, l’animation, la réalité augmentée, la fiction, la virtualité se mélangent pour donner des films  autant que des vidéos où l’on se situe dans un monde mi-imaginaire, mi réel. L’industrie cinématographique n’hésite plus d’ailleurs et depuis longtemps à produire et adapter des jeux vidéo en longs métrages. Est ce là que le bas blesse dans ce conflit de génération créative, dans cette vision des choses qui rend la réalité de plus en plus abstraite comme dans les publicités de recrutement de l’armée française ? Laisser croire que la réalité de la guerre et de l’armée est proche de la virtualité des war games, est-ce bien  responsable?

Enfin, si les soldats et l’armée s’inspirent de la virtualité de la vie en consoles, l’inverse est aussi vrai comme le rappelle Quentin Girard dans Libération : « Ce n’est pas la première fois qu’un soldat mélange la guerre et les jeux vidéo. En novembre dernier, des membres de l’unité Seal Team 6, celle qui a tué Ben Laden, ont été sanctionnés par leur hiérarchie pour avoir conseillé les concepteurs du jeu Medal of Honor Warfighter. Ils ont notamment dévoilé certains objets propres de leurs équipements et raconté des détails sur l’opération contre l’ex-leader d’Al-Qaeda, sans demander l’autorisation. Le cercle est vicieux : les soldats conseillent les programmeurs qui les mettent en scène de manière héroïque, ce qui pousse les soldats ensuite à imiter dans la vraie vie les personnages principaux des différents opus. Une frontière floue encouragée parfois par les instances dirigeantes. L’armée des Etats-Unis elle-même finance un jeu vidéo, America’s Army, pour pousser les jeunes à s’enrôler ». Et pour les humanitaires qui ne sont jamais en reste n’oublions pas que World Food Program avait lancé son jeu vidéo Food Force.

Les états-majors de l’armée ne peuvent donc ne pas se dédouaner à bon compte de cette situation qu’ils viennent de constater au Mali. Pas plus les fabricants et diffuseurs d’images, qui finiront peut-être par accepter un jour qu’elles influent sur les comportements, ce qui engage donc leur propre responsabilité.

Quoi qu’il en soit, une image est toujours un miroir double face dans lequel on peut y voir toujours son pire ennemi: soi même, comme son meilleur ami: l’autre. Dans les jeux vidéo ce qui est certain c’est que l’on ne se bat contre personne si ce n’est contre soi-même. Mais la vraie vie n’est pas un jeu vidéo et ce probablement, jeune soldat va vite apprendre à ses dépends que la publicité est une forme de réalité caricaturée, que les médias n’aiment pas beaucoup les hérauts, ni les héros…

 

Bruno David

Bruno David

Bruno David, président fondateur de l’association Communication Sans Frontières, a enseigné en Master II des universités de Evry, Créteil (Paris XII), Paris Dauphine, l’IEP de Grenoble, Oxford Brookes.