Noël 2012 : de la compassion à tous les rayons ou vers des grandes surfaces de la solidarité?

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Traditionnellement, dès novembre, les ONG sollicitent fortement les Français afin qu’ils effectuent un don en leur faveur. Souhaitent-elles, qu’ils fassent, durant cette période de l’année propice à tous les excès, une petite place à  leur bonne conscience? Cherchent-elles à bénéficier des deniers des cultes ?

Les consommateurs pensent-ils qu’un virement automatique ou mécanique les absoudra, qu’il leur sera donné la possibilité de se déculpabiliser, d’acheter leur rédemption ou tout simplement de fêter Noël dignement? Quoiqu’il en soit, les campagnes de communication des associations et des OSI en particulier ne manquent pas de sel durant cette période, complétant ainsi un calendrier commercial d’une année souvent bien chargée pour celles déjà qualifiées de multinationales du cœur.

  Les grandes surfaces de la solidarité

 Le concept de la Grande Surface de la Solidarité peut-il être calqué sur celui de la distribution spécialisée et sélective voire de la grande distribution ? Les similitudes sont pour le moins nombreuses et surprenantes même si leur « business model » [1] n’est pas similaire.

Calendriers commerciaux, promotions, saisonnalité, offres spéciales, produits spéciaux, exclusivités, têtes de gondoles, évènements, la distribution « massive » en petites, moyennes et grandes surfaces concernerait-elle aussi l’économie solidaire? Les ONG ne sont plus dans l’ère du bricolage et des missions sacs à dos comme pouvait l’être, dans son domaine et à ses débuts,  le feu militant du pouvoir d’achat Edouard Leclerc. Elles sont entrées dans celle de l’industrialisation et de l’ultra compétition des économies de marchés. Leurs budgets sont très conséquents et les moyens parfois utilisés n’ont rien à envier à ceux des entreprises.

L’Observatoire de la Communication Solidaire (OCS) de Communication Sans Frontières avec le concours de  KantarMédia analyse des centaines de campagnes chaque année. L’OCS a pu constater deux types de positionnements discursifs des ONG et assimilés (Croix-Rouge, UNICEF par exemple) dont l’un correspond à celui d’une marque-entité globalisante proposant de la compassion à tous les rayons. En un mot des « grandes surfaces de la solidarité » qui semblent répondre à presque toutes les problématiques « médiatico-solidaires »majeures de notre temps.

L’autre concerne celui d’associations plus spécialisées dans un domaine et qui vont le nourrir afin de lui donner plus de consistance et de récurrence médiatique, le rendre « consommable » pour ne pas dire comestible. Pour ce faire les calendriers commerciaux sont indispensables pour jalonner l’année d’opérations spécifiques liées à une actualité préparée tout autant qu’imposée par la conjoncture, les opportunités, les crises qui n’échappent guère aux prospectivistes et aux calendriers de l’avant des journées de l’ONU.

 Le calendrier commercial

Noël en décembre, les soldes d’Hiver en janvier ou bien la rentrée des classes en septembre. La publicité à un inconvénient majeur; si elle n’est pas répétitive elle est oubliée dans les trous noirs de notre mémoire. Il est donc indispensable de raviver régulièrement voire quotidiennement la flamme mémorielle du souvenir. Cette technique est utilisée notamment pour les marques à très forte notoriété (ou en recherche de) et avec de grands moyens pour se permettre par exemple une enseigne lumineuse permanente sur un très grand axe de circulation ou marquer sa présence dans tous les hôtels restaurants cafés du monde entier, sur des maillots d’équipes de sports réputées… mais c’est aussi le cas de celles qui, jour après jour, sont obligées d’exister par la publicité dans les médias pour ne pas sombrer dans l’oubli, laisser leur place vacante à des concurrents. Mais lorsque l’on souhaite communiquer il faut un sujet, un prétexte à la prise de parole.

Le calendrier commercial a cela de bon c’est qu’il est au commerce ce que les marronniers sont à la presse. Il y a des sujets qui reviennent chaque année et qui ont toujours autant de succès générant des attentes insoupçonnées, des comportements compulsifs pour ne pas dire maladifs. Pour ce qui concerne les ONG, qui travaillent aujourd’hui sur l’impulsivité, l’effet pervers du calendrier commercial les amène à construire tranquillement mais surement l’idée que personne n’a véritablement envie de régler les questions qu’elles abordent voire qu’elles les entretiennent ou bien encore qu’elles commencent à être inefficaces. Mais qui demandera le calcul d’un ratio retour sur investissement du donateur ou celui d’un rapport qualité prix ?

 Votre don sert à quoi = où passe votre argent ?

Dans l’idée d’une grande liberté de pensée et d’action les ONG ont mis énormément de temps à jouer la carte de la transparence notamment financière. L’on pourrait ici y trouver encore quelques correspondances avec le monde de l’entreprise qui n’aime pas beaucoup que l’on vienne y regarder de trop près. Mais c’est sans compter sur la société civile et les ONG qui jour après jour ne se lassent pas de dénoncer ici et là les dérives de certaines d’entre-elles telles que DOVE (Unilever), Nutella (Ferrero), Mattel, KITKAT (Nestlé) par GreenPeace par exemple.

C’est apparemment une démarche de consommateurs citoyens qui souhaitent que les produits qu’ils achètent correspondent bien sûr à des normes environnementales mais aussi à des critères éthiques, certes  à géométrie variable, mais qui redéfinissent cependant la relation entre un fabricant, un distributeur et son client à une notion dépassant le simple geste financier en incluant la responsabilité. Mais cela permet bien sûr à l’ONG de fabriquer son calendrier médiatique. Et si l’actualité ne vient pas à vous alors venons à elle. Stratégiquement l’entité peut ainsi se forger une image, une notoriété, une réputation et de constituer des groupes de consommateurs, pardon donateurs, par affinités très « sélectives » qui finiront certainement, eux aussi, à mettre la « pression » sur leurs ONG préférées.

Enfin, résumer le don à une notion purement pécuniaire ou matériel comme nous avons pu le constater dans la plupart des campagnes de communication de fin d’année 2012 est, à mon sens, devenu dangereux pour les ONG car il ne prend pas en considération cette notion, certes encore difficilement cernable ou identifiable de la responsabilité (surtout politique et sociétale) qui n’est pas la même que celle de l’engagement. Unique notion de justification des ONG devenue de nos jours insuffisante pour convaincre à long terme. Le procès de l’Arche de Zoe ne vient-il pas encore de le rappeler ? Il ne peut pas y avoir tromperie sur la marchandise ou de publicité mensongère. Et finalement de se demander si l’on ne verra pas fleurir ici ou là des publicités comparatives chez les ONG comme dans la grande distribution.

 

[1] Bruno DAVID : La trilogie associative, Entreprises&Mécénats, N° 139-septembre 2012 disponible on line en cliquant ici

 

 

 

Bruno David

Bruno David

Bruno David, président fondateur de l’association Communication Sans Frontières, a enseigné en Master II des universités de Evry, Créteil (Paris XII), Paris Dauphine, l’IEP de Grenoble, Oxford Brookes.