Le discours du Président Obama prononcé le 19 mai au Département d’Etat marque selon lui, un « nouveau chapitre » de la diplomatie américaine. Obama entend saluer solennellement les mouvements vers la démocratie qui se développent dans le monde arabe. Paradoxalement, ce sont ses propos sur la question palestinienne, brièvement évoquée, qui ont eu le plus de retentissement.
« Le statu quo n’est pas tenable »
Ce discours s’inscrit en fait dans la continuité de celui prononcé au Caire le 4 juin 2009. On y retrouve le même souci de se concilier les opinions publiques arabes et par delà musulmanes et la même « humilité », terme utilisé par Obama, pour reconnaître que les Etats-Unis ne sont pour rien dans les mouvements qui se sont développés en Tunisie puis en Egypte. On retrouve aussi l’appel au « respect mutuel » et la volonté de souligner que les intérêts américains ne sont pas « hostiles aux espoirs des peuples ».
Mais l’insistance avec laquelle le président américain encourage les peuples arabes à s’engager sur la voie de la démocratie mérite d’être remarquée : le « statu quo n’est pas tenable » dit-il, soulignant ainsi la volonté des Etats-Unis de promouvoir les réformes et de soutenir les transitions vers la démocratie. Dans le même temps, il condamne les violences et la répression mises en œuvre par les régimes en place. Passant de généralités à des propos plus ciblés, il s’en prend nominalement et en termes vifs, au colonel Kadhafi et au président Saleh qui doivent partir.
Quant à Bachar el Asad, « il n’a pas de choix : il doit conduire la transition ou partir ». Il critique, en termes plus nuancés le gouvernement de Bahrein, qui doit « créer les conditions du dialogue ». Par ailleurs, il salue « la promesse d’une démocratie multiethnique et multicommunautaire » en Irak. En revanche les mouvements qui se poursuivent en Jordanie ou au Maroc ne sont pas évoqués. Silence également sur l’Arabie saoudite et son intervention au Bahrein.
A cet appui politique, s’ajoute un soutien financier en faveur de la Tunisie et de l’Egypte explicitement citées. Les Etats-Unis y contribueront, notamment sous forme de remise de dettes, mais en chargent surtout les institutions financières internationales, notamment le FMI, la Banque mondiale et la BERD, dont le mandat doit s’étendre aux pays méditerranéens. Ainsi Obama confirme-t-il la politique d’accompagnement des mouvements démocratiques tout en insistant, comme il l’avait fait au Caire, sur le fait que les Etats-Unis n’entendent pas imposer leur modèle de démocratie.
Ces propos encourageants sont-ils de nature à modifier l’image que les populations arabes ont de l’Amérique en général et d’Obama en particulier ? On rappellera que, selon le sondage effectué par l’Université de Maryland en 2010, 16 % seulement des jugements recueillis dans six pays arabes étaient positifs sur l’administration Obama, alors que ceux-ci était de 51 % après le discours du Caire. On peut douter que cette nouvelle intervention modifie sensiblement ces jugements.
La position prise sur la question palestinienne, même si elle a suscité de vives réactions de la part du gouvernement israélien, ne peut que décevoir une opinion publique et les gouvernements arabes qui ne croient plus aux promesses de l’Amérique.
Une position mal reçue sur la question palestinienne
Certes, ce discours a fâché le premier ministre israélien sur deux points essentiels : l’Etat palestinien aura les frontières de 1967 sauf ajustements compensés ; cet Etat aura une frontière commune avec la Jordanie, ce qui signifie que l’armée israélienne devra évacuer la vallée du Jourdain. Sur ces deux points, le rejet de B. Netanyahou a été total, comme il l’a dit d’emblée. Il l’a confirmé lors de son discours devant le Congrès le 24 mai : ces frontières « sont indéfendables » et mettent en danger la sécurité d’Israël. L’annonce de la création de 1520 logements supplémentaires à Jérusalem-est ponctue, non sans provocation, ce refus.
Et pourtant, l’essentiel des propos du président américain penche en faveur d’Israël : assurance que les Etats-Unis s’opposeront à toute tentative de son isolement dans les instances internationales ; reconnaissance qu’Israël est bien un Etat juif ; absence de toute mention aux colonies traditionnellement considérées par les Etats-Unis comme par la communauté internationale comme un « obstacle à la paix » ; assurance qu’aucune solution ne sera imposée ; absence de toute prise de position sur la question de Jérusalem et sur le problème des réfugiés ; mise en garde contre toute tentative de l’Autorité Palestinienne de passer en force sur la reconnaissance de l’Etat palestinien, accompagnée d’une allusion implicite à un veto au Conseil de Sécurité.
Certes le président ne condamne pas l’accord entre le Hamas et le Fatah, mais il indique qu’il soulève des questions auxquelles il devra être répondu ; il reconnaît la situation d’ «humiliation » de la population palestinienne et souligne la nécessité de s’acheminer vers une « paix durable » ; il insiste sur l’urgence de trouver une solution alors que le temps travaille contre Israël. Mais rien dans ce discours ne crée les conditions d’une reprise sérieuse des négociations. Ces éléments expliquent que ce discours ait été également mal reçu du côté palestinien. Bien plus, on peut craindre que le blocage demeure entier et que sur la question des frontières de 1967 comme sur celle de l’occupation du Jourdain, le président américain ne soit contraint de revenir sur sa position comme il l’avait été sur la question des colonies. Son discours le 22 mai à l’AIPAC esquisse déjà un repli. Il est évident que le calendrier électoral américain ne met pas Obama en position de force.
Au total, ce discours est tout autant à usage interne qu’adressé à la « rue arabe ». Il s’agit de rassurer les Américains sur le fait que les aspirations démocratiques des peuples arabes sont conformes tout à la fois aux valeurs et aux intérêts américains. Cependant malgré son caractère globalement favorable à Israël, l’hostilité du gouvernement israélien à égard de la politique et de la personne d’Obama se renforce. Il apparaît clairement que l’objectif de B. Netanyahou, dont les liens avec le parti républicain sont de plus en plus étroits, est de jouer contre la réélection d’Obama, en s’appuyant notamment sur le relais d’influence que représente l’AIPAC : les vingt neuf standing ovations qui ont accompagné son discours devant le Congrès le 24 mai ne peut que le confirmer dans sa détermination. Ce constat a pu être fait à l’occasion d’un récent séminaire, tenu à l’Ifri, consacré à la politique arabe des Etats-Unis et à ses relations avec Israël.
En toute hypothèse, pour les Etats-Unis comme pour Israël, le moment de vérité approche. On peut craindre que l’attitude autiste d’Israël dans son refus de voir la portée des révoltes arabes ne conduise à accentuer son isolement et à fragiliser sa sécurité. On peut penser également que la crédibilité américaine, et donc la capacité d’influence des Etats–Unis dans le monde arabe, ne diminue encore au moment où le Moyen-Orient connaît toujours de fortes turbulences.
Denis Bauchard
Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.
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