Syrie : le risque-tout des ONG syriennes et des témoins de la révolte

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La révolte qui gronde depuis mi-mars en Syrie entame son 9ème mois de résistance. Tout comme le régime de Bachar El-Assad qui résiste, l’opposition tente de se consolider avec le conseil de transition syrien dirigé par Burhan Gallioun, et le conseil national syrien à Istanbul. Il est très difficile d’obtenir des informations précises en temps réel sur la situation des manifestations et notamment de la part de la société civile. Il est encore plus difficile de gloser sur la durée de survie du régime. C’est pour cela que beaucoup parlent de révolte à huis clos[1].

L’isolement diplomatique croissant de Damas dans la communauté internationale, tout comme l’ultimatum fixé par la Ligue arabe à la mi-novembre avant sanctions économiques contre le régime de Bachar ne semblaient pas l’inquiéter outre-mesure. La répression ne semblait pas faiblir, ce qui inquiétait au plus haut point les ONG. On parlait déjà de 3500 morts selon l’ONU depuis le début des manifestations, même s’il semblerait que l’on puisse en attribuer le tiers aux soldats ‘défectionnistes’ de l’armée exécutés pour désertion.

Le plan de sortie de crise de la Ligue arabe qui a échoué demandait avant tout un arrêt des massacres par le régime alaouite. L’organisation Human Right Watch alertait dans un rapport  à la mi-novembre sur les atrocités commises dans tout le pays, et notamment à Homs, le siège de la rébellion. On chiffre le nombre de morts à près de 600 de mi avril à fin août, et pas moins de 200 en septembre dernier. L’organisation non gouvernementale a pu effectuer une centaine d’interviews à distance et parle déjà de crimes contre l’humanité. Dans son rapport [2], HRW évoque également des milliers de cas de torture, classiques de la fuite en avant d’un conflit asymétrique, et ce d’ailleurs de part et d’autres des camps belligérants [3].

HRW comme un certain nombre d’ONG syriennes se sont adressées directement à la Ligue arabe afin de faire pression sur elle pour sanctionner le régime, et ce face à l’inaction et l’impuissance de la communauté internationale. Quant à Amnesty international, il publie communiqué sur communiqué de sensibilisation[4] ou met en ligne des vidéos des violences[5]

Mais comment témoigner lorsque l’on ne peut plus être sur un terrain de crise et que l’on ne peut plus effectuer son travail sereinement et efficacement, c’est à dire témoigner d’une situation et aider les populations en détresse? Ce sont souvent grâce aux « réfugiés syriens qui arrivent au Liban et en Jordanie » que les ONGI peuvent récolter des informations en restant à l’extérieur du pays, précisait Nadim Houry [6] d’HRW, basé au Liban depuis la crise. L’information en soi est un enjeu. Quant aux ONG syriennes proprement dites dont l’information est souvent relayée par l’Observatoire national syrien des droits de l’homme basé à Londres et dirigé par Rami Abdul Rahmane[7], elles sont les seules à pouvoir témoigner du nombre de morts, et égrènent les chiffres des disparus quotidiennement. Ainsi le 14 novembre dernier, elles annonçaient le chiffre de 70 morts, en faisant l’une des journées les plus sanglantes depuis le début de la révolte. Il est difficile de faire la part belle dans la nature des victimes : pour beaucoup tuées lors de funérailles ou dans les propres rangs de l’armée, où des soldats sont abattus par des déserteurs. Elles se battent contre la censure comme elles peuvent. Dans un article daté du 19 août et paru dans le Figaro, on y apprenait « Les stratégies des ONG contre les censures ».

En réalité, des organisations se sont créées de manière pragmatique pour contourner les interdits de Damas.  Se sont constituées toute une flopée de comités locaux d’informations, et d’animateurs de pages sur Facebook qui témoignent en temps réel de la violence de la répression [8]. Internet joue ainsi un rôle non négligeable comme dans beaucoup des révoltes du monde arabe jusque là : les témoignages, les photos, s’échangent sur internet par mail, par skype, par téléphone portable, ou directement via les réseaux sociaux.

Dans son article cité, la journaliste Aude Lorriaux interrogeait l’un des responsables d’un comité local, Aber Al Cham : «L’interdiction par le régime syrien des médias et des ONG est la preuve implacable que ce régime veut cacher les atrocités qu’il opère contre les civils. C’est pour cela que nous offrons notre aide aux médias internationaux, en leur apportant des témoignages de l’intérieur du pays, des résumés des événements, des vidéos et des photos et des experts».

La manière de transmettre les informations est digne d’un arsenal de guerre orchestré dans l’urgence mais efficace. Les informations sont cryptées, les lignes protégées par les grandes ONG internationales qui récoltent les informations de l’étranger et recoupent les informations. Il s’agit avant tout de protéger les sources, mais aussi pour qu’elles puissent continuer avant tout à témoigner de la tragédie quotidienne que fait vivre Bachar Al Assad à son peuple. Il s’agit aussi de protéger et collecter des matériaux pour l’histoire qui serviront à la communauté internationale si un jour ou l’autre  l’on parvient à juger les principaux dignitaires du régime alaouite pour les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis.

 

[1] Selon les termes du chercheur  Salam Kawakibi, à l’Arab Initiative reform, table ronde d’Egmont, Bruxelles, 16 novembre 2011.
[2] http://www.hrw.org/news/2011/11/11/syria-crimes-against-humanity-homs
[3] http://www.tdg.ch/syrie-ong-pressent-ligue-arabe-2011-11-11
[4] http://www.amnesty.fr/search/apachesolr_search/SYRIE
[5] http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Violences/Armes-et-conflits-armes/Media/Syrie-Tirer-pour-tuer-2835
[6] http://www.lefigaro.fr/international/2011/08/19/01003-20110819ARTFIG00379-syrie-les-strategies-des-ong-contre-la-censure.php
[7]Contesté par certains qui l’accuseraient de servir les frères musulmans et gonfler les chiffres, et considéré par d’autres comme l’AFP ou le Monde comme crédible.
[8] https://www.facebook.com/pages/Syrian-Revolution-News-Round-ups/108855819196476

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien BOUSSOIS est docteur en sciences politiques, spécialiste de la question israélo-palestinienne et enseignant en relations internationales. Collaborateur scientifique du REPI (Université Libre de Bruxelles) et du Centre Jacques Berque (Rabat), il est par ailleurs fondateur et président du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO) et senior advisor à l’Institut Medea (Bruxelles).