Afghanistan et Pakistan : le moment de vérité…

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Parmi les différents fronts de crise auxquels le président Obama doit faire face, celui de l’Afghanistan et du Pakistan apparaît le plus préoccupant et prioritaire.

En effet, tous les signaux sont au rouge : augmentation des pertes parmi les soldats de la coalition (le mois de septembre 2009 a été le plus meurtrier depuis 2001) ; dégradation de la situation sécuritaire comme en témoignent  la multiplicité des attentats spectaculaires, notamment à Kaboul, Peshawar ou Islamabad ; affirmation de l’influence des talibans pakistanais – le TTT, Tahrir-e-taliban- dans les zones tribales, en particulier au sud Waziristan ; développement de l’influence des talibans sur tout le territoire afghan, y compris dans le nord ; climat général de corruption et mise en évidence des turpitudes de la fratrie Karzaï ; confusion politique après la décision d’organiser un deuxième tour de l’élection présidentielle compte tenu de l’ampleur de la fraude constatée suivie de l’annonce du retrait d’Abdullah Abdullah.

Les perspectives à court terme ne sont guère plus favorables. En Afghanistan les talibans  mettent tout en œuvre pour désorganiser ce deuxième tour (1) avec la perspective d’une abstention record. La légitimité et la crédibilité du président Karzaï tant vis-à-vis de son peuple que de la communauté internationale sont gravement atteintes. Sa prise de distance vis-à-vis des forces étrangères et son refus affiché de ne pas être une « marionnette » dans les mains des Etats-Unis, ne sont pas des éléments suffisants pour créer une légitimité. Au Pakistan, il est probable que les attentats et l’insécurité vont continuer à s’étendre des zones tribales à la Province des Frontières du Nord Ouest et aux grands centres urbains, y compris dans la capitale.

Quels choix ?

Devant cette dégradation générale de la situation, que faire tant en Afghanistan qu’au Pakistan ?  Le président Obama comme les dirigeants des pays de la coalition ne peuvent  choisir qu’entre de mauvaises  solutions. Certes tout le monde est d’accord pour gagner «les esprits et les cœurs» et pour considérer que la solution aux problèmes ne peut pas être seulement militaire : des actions à caractère politique comme des mesures en faveur du développement sont également indispensables. La solution ne peut venir que d’un faisceau de mesures touchant tous les domaines.

Cependant, aux Etats-Unis, deux écoles de pensée s’affrontent sur les moyens d’y parvenir. D’un côté le général Mac Chrystal et le Pentagone demandent des renforts importants – de l’ordre de 40 à 60.000 hommes – qui permettraient de mieux assurer la protection des populations, notamment dans les principales villes afghanes.

De l’autre, le Département d’Etat craint que l’envoi de soldats ne fasse qu’accroître la réaction de rejet à l’égard de troupes considérées comme des forces d’occupation plus que de protection sans apporter une réelle amélioration de la situation sur le terrain. Mathew Hoh, personnalité respectée de la mission du Département d’Etat sur place, et qui vient de donner sa démission, est représentatif de cette tendance. Quant à la Maison Blanche,  consciente de l’hostilité croissante de l’opinion américaine comme des réticences des alliés, elle hésite à envoyer des renforts substantiels.

Plus généralement le doute s’installe. Quel est l’objectif poursuivi en Afghanistan ? Promouvoir la démocratie dans un pays où règnent depuis des siècles les seigneurs de la guerre ? Consolider l’autorité d’un « ami » de l’occident de plus en plus discrédité aux yeux mêmes de la population afghane ? Eradiquer la culture du pavot et le trafic de drogue qu’elle génère ? Eliminer la menace terroriste représentée par Al Qaïda ? L’impression demeure que face à la question « Pourquoi nous combattons ? » la réponse n’est toujours pas clairement exprimée.

Quant au Pakistan, la faiblesse d’un gouvernement civil contesté, la complaisance passée, et peut être encore présente, à l’égard de mouvements islamistes radicaux encore soulignée par Hillary Clinton lors de son passage, les hésitations d’une armée dont la priorité reste indienne et dont l’objectif est d’avoir à Kaboul un gouvernement ami, la force des sentiments antiaméricains qui se nourrit des incursions de l’armée américaine, notamment sous forme de drones , et des « dommages collatéraux », contribuent à  expliquer la confusion actuelle. En fait le Pakistan se trouve dans une situation tout aussi préoccupante, si ce n’est plus, que l’Afghanistan.

Un risque existe d’une déstabilisation d’un pays fondé sur des bases religieuses, qui n’a connu qu’une vie politique chaotique, semée de coups d’état militaires et n’a jamais trouvé son équilibre. Longtemps tolérant à l’égard des tribus des F.A.T.A. –Federally Administered Tibal Areas – qui bénéficient d’une autonomie de fait, le Pakistan se trouve confronté au phénomène des talibans, que l’armée pakistanaise et son service de renseignement, l’ISI, ont contribué à créer et qui se retournent maintenant contre leur apprenti sorcier. Ainsi l’objectif prioritaire pour le Pakistan est-il moins de rechercher Al Qaïda que de mettre fin à l’influence grandissante des groupes islamistes radicaux, qu’il s’agisse des talibans ou d’autres groupes dont le développement a été favorisé pour entretenir au Cachemire comme ailleurs une insécurité visant l’ennemi indien.

Ben Laden, mort ou vif

En définitive, en Afghanistan comme au Pakistan, il convient de définir des objectifs clairs et limités. Si l’objectif est l’éradication d’Al Qaïda, ne conviendrait-il pas de suivre les conseils du prince Turki ? On rappellera que dans ses fonctions antérieures de chef des services de renseignement saoudiens, il avait favorisé la naissance et le développement des groupes islamistes radicaux opérant en Afghanistan. Lors de la rencontre du World Policy Forum qui s’est tenue à Evian en octobre 2008, il recommandait aux troupes de la coalition de se saisir, «mort ou vif», de Ben Laden réfugié quelque part dans son repaire des zones tribales et se retirer ensuite rapidement. Opération plus facile à proposer qu’à exécuter.

L’ampleur des défis, bien décrits par Ahmed Rashid, dans son livre de référence paru en 2008 au titre révélateur «Descend into chaos», permet de comprendre les hésitations des gouvernements engagés politiquement et militairement dans cette partie troublée du monde. Face à ces défis, qui est prêt à mourir pour Kaboul ou Islamabad ? Il est clair que les opinions publiques des pays occidentaux répondent par la négative et qu’un engagement massif, militaire, politique et financier suppose une forte détermination qui pour l’instant fait défaut chez les dirigeants américains comme européens. A cet égard, les décisions que le président Obama va devoir prendre pour définir une nouvelle stratégie dans cette zone, auront valeur de test.

(1) La Commission électorale a décidé ce 1er novembre 2009 d’annuler le deuxième tour de la présidentielle. Hamid Karzaï a été proclamé président.

Publié le 1er novembre 2009.


Denis Bauchard

Denis Bauchard

Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001).

Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.

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Ancien diplomate, Denis Bauchard a effectué une grande partie de sa carrière au Moyen Orient ou à traiter des affaires de cette région au Ministère des Affaires étrangères. Il a été ambassadeur en Jordanie (1989-1993), puis directeur pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient (1993-1996), directeur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, Hervé de Charrette (1996-1997) et ambassadeur au Canada (1998-2001). Après avoir été président de l’Institut du Monde arabe (2002-2004), il est aujourd’hui consultant, notamment auprès de l’Institut français des relations internationales (IFRI). Il est l’auteur de nombreux articles et études, consultables sur le site de l’IFRI.