Gaza debout face à la mer

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Avant-propos : La bande de Gaza : cible d’une offensive israélienne entre le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009. L’opération est baptisée « Plomb durci ». Son objectif est de faire cesser les tirs de roquettes par les groupes armés palestiniens. Bilan de l’opération : plus de 1400 morts palestiniens, 13 côté israéliens. Loin, bien loin des grands discours, nous sommes heureux de publier en cette fin d’année 2009 un témoignage inédit de Stéphane Hessel. Plus éloquent que n’importe quelle analyse… Un témoignage comme une lettre rapidement postée, peu après les événements. De retour de Gaza, encore meurtrie…

« Nous avons pu, ma femme et moi, passer récemment deux jours à Gaza, dans le cadre d’une mission de soutien aux enfants des camps de réfugiés, après les bombardements de décembre et janvier derniers. Nous étions accompagnés, au check point d’Erez, de la Directrice et de son adjoint, de « la Voix De l’Enfant » (association fédérative dont la Porte-Parole est Carole Bouquet), qui mène des actions en Israël, Cisjordanie et Gaza.

Bien que leur passage ait été sollicité par le Consulat Général de France à Jérusalem en raison de son caractère purement humanitaire et dépourvu de tous risques sur le plan sécuritaire pour Israël, nos deux compagnons se sont vu refuser leur entrée à Gaza, ce refus décapitant en grande partie notre mission.

En deux jours, nous avons rencontré beaucoup d’enfants, la plupart très marqués par ce qu’ils ont récemment vécu. Les plus atteints étant ceux de Raffah, qui montrent des signes de dénutrition déjà ancienne (certains d’entre eux atteignent la moitié de la taille normale de leur âge (par exemple, une petite fille de 11 ans en paraissant 6). Ces enfants vivent encore dans la peur et sont tétanisés au passage d’un drome ou d’un avion quelconque). Les merveilleuses éducatrices qui entourent ces enfants dans les Centres EJE (Les Enfants, le Jeu et l’Education) soutenues par la « Voix De l’Enfant » cherchent avant tout à leur apporter un peu de sérénité et se font aider par des psychologues récemment recrutées. Les enfants paraissent être la préoccupation majeure des habitants de Gaza.

Paradoxalement, nous revenons avec un sentiment que
tout est encore possible, car le peuple de Gaza est debout.

Les nombreux interlocuteurs que nous avons rencontrés font des projets et s’activent pour leur survie. Les immenses plages (que nous avions connues désertes du temps de l’occupation et des colonies, leur accès étant interdit aux Palestiniens) qui bordent, sur 40 km, le territoire  débordent de familles joyeuses, qui campent sur la plage ou s’ébattent dans la mer, y compris les mères de famille qui se baignent tout habillées, mais avec un immense plaisir. Des enfants arrivent par groupes organisés et encadrés de moniteurs. Ceux qui relèvent du Hamas portent des petites casquettes vertes, les autres n’ont pas de signes distinctifs.

Les rues sont étonnement propres (des ONG organisent des équipes de nettoyage). Les gravats des maisons démolies ont pour la plupart été déblayés, laissant place à des espaces lunaires (parfois des quartiers entiers). Seules les carcasses des grands immeubles dressent leurs silhouettes fantomatiques, la taille des blocs de béton ne permettant pas leur évacuation. Pas ou peu de reconstructions, faute de ciment et matériaux. Nous avons rencontré un architecte qui, avec quelques ouvriers, tente de revenir à des matériaux et méthodes traditionnels (sable et terre) pour fabriquer des briques au moyen de machines de moulage et compressage construites de leurs mains avec du métal de récupération. Mais ils en sont au stade expérimental et leur travail est souvent interrompu par des pannes d’électricité.

Nous avons vu beaucoup d’habitants vivre sous des tentes, dans le dénuement le plus total. Les voitures circulent en moins grand nombre, mais il semble que l’on trouve de l’essence… Nous n’avons constaté aucune présence  de milices ou de police.

Sur le plan culturel, le Directeur du Centre Culturel Français, Gaëtan Pellan, fait un immense effort d’animation (expositions, séances cinématographies, notamment pour les enfants, spectacles, etc…) en dépit d’énormes difficultés (artistes refoulés en dernière minute, matériel bloqué, etc…). Il existe un magnifique et très moderne centre culturel avec bibliothèque, construit avec des fonds privés de palestiniens de l’étranger, la Fondation QATTAN. Ce centre, dirigé par une jeune femme remarquable, accueille des milliers d’enfants et leurs familles, dans des locaux bien équipés et attrayants. Ayant été épargné par les bombardements, il n’a cessé de fonctionner.

Nous avons également visité le nouveau (août 2008) Musée Archéologique de Gaza qui abrite une intéressante collection remontant à l’âge de bronze (le sol et le littoral de Gaza regorgeraient de vestiges). Son fondateur Mr.Khoudary y consacre tout son temps et sa fortune personnelle. Il accueille gratuitement des centaines d’enfants, qu’il initie à leur histoire et leur passé. L’Ecole Biblique de Jérusalem lui apporte ses conseils et son savoir archéologique. Le Musée, face à la mer, dispose d’un restaurant de qualité, dans un beau jardin où le Président Carter, lors de sa récente visite, a planté un arbre.

En bordure de mer, les grands hôtels sont intacts, mais certains d’entre eux se dégradent faute de clientèle et de moyens. La terrasse du célèbre restaurant DAIRI déborde d’une clientèle composée d’internationaux en poste à Gaza et d’une bourgeoisie aisée et élégante qui s’enivre de narghileh, surtout les femmes.

Une bourgeoisie qui comme les autres classes de la
société se sent prisonnière… et rêve de contacts avec l’extérieur.

Il y a bien sûr, l’envers du décor : les ruelles étroites et sordides des camps de réfugiés, les intérieurs misérables et exigus où s’entassent des familles plus nombreuses en raison des démolitions, absence d’électricité et d’eau potable (un problème majeur). Nous avons pu, avec le concours de la Voix De l’Enfant et d’EJE, son correspondant palestinien, équiper quelques familles choisies en raison de leur pauvreté ou de problèmes médicaux (enfants dialysés, etc.), de filtres à eau qui sont accueillis comme la manne.

Nous avons aussi visité l’hôpital Al Quds (Croissant-Rouge) entièrement démoli par les bombes incendiaires et dans les ruines duquel se reconstitue un semblant de vie.

Le responsable des Droits de l’Homme à Gaza, Radji Surani, nous a parlé de l’impact considérable de la visite du Président Carter et de son discours sur la population de Gaza.

La vie continue donc à Gaza, grâce à l’incroyable courage de sa population, bien que nul ne se sente à l’abri d’atteintes aériennes, terrestres ou maritimes. Aucun projet de développement n’est sérieusement envisageable, tant  que la libre circulation ne sera pas rétablie. C’est la première et la plus urgente des exigences que les démocraties doivent imposer. La survie d’un million et demi d’être humains en dépend. Si l’on veut sérieusement faire un pas vers l’Union pour la Méditerranée (UPM), il ne peut être fait d’impasse sur ce problème et l’exemple doit venir de l’aide décisive à apporter à ce traditionnel point de passage à l’extrême sud-est de cette mer. »

«Gaza debout face à la mer» est le titre du livre de Béatrice Guelpa sur le Fondateur du Musée Archéologique de Gaza (éditions ZOE, Genève)

Stéphane Hessel

Stéphane Hessel

Diplomate et ancien résistant, Stéphane Hessel est né à Berlin le 20 octobre 1917. Il est reçu en 1937 à l’École normale supérieure (ENS) et simultanément naturalisé français, avant d’être mobilisé en 1939. Résistant lors de la Seconde Guerre mondiale, Hessel a rejoint le Général de Gaulle en 1941, il est déporté à Buchenwald et à Dora, le camp de concentration dépendant de Buchenwald. Stéphane Hessel échappe à la pendaison et s’évade lors d’un transfert vers Bergen-Belsen. Après la guerre, Stéphane Hessel participe à la rédaction de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme en 1948. Depuis lors son engagement pour les droits de l’Homme n’a jamais cessé.

Stéphane Hessel

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