Le printemps arabe : premier bilan et propositions pour une politique française

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Par Avicenne…

Avicenne est le nom d’un groupe de réflexion qui réunit des chercheurs, des diplomates et des journalistes de sensibilités différentes et qui s’intéressent au Maghreb et au Moyen-Orient. Un rapport intitulé Maghreb Moyen-Orient, contribution pour une politique volontariste de la France avait déjà été diffusé en avril 2007 à la veille de l’élection présidentielle. Parmi ses participants, on peut citer Denis Bauchard, Alain Gresh, Bassma Kodmani, Patrick Leclercq, Agnès Levallois, Jean-Pierre Séreni.

Au printemps 2007, un groupe réunissant chercheurs et diplomates sous le nom d’Avicenne avait rédigé et diffusé un rapport qui se présentait comme une « contribution pour une politique volontariste de la France » dans la région Afrique du Nord Moyen Orient. Après avoir fait un bilan de la situation, déjà très difficile dans cette zone, et un bilan de la politique menée par la France, il énumérait un certain nombre de recommandations opérationnelles. Parmi celles-ci, il était proposé de « manifester notre souci de voir émerger des systèmes démocratiques dans la région en développant une politique d’influence auprès de ses « forces vives », en particulier auprès des sociétés civiles et des mouvements islamistes intégrés dans la vie politique locale et s’engageant à renoncer à la violence ».

L’irruption du printemps arabe a incité le groupe à prolonger sa réflexion. Après un diagnostic portant sur la situation actuelle, ses causes profondes, ses manifestations et ses conséquences immédiates ou à terme, le présent rapport propose de tirer les leçons de cette nouvelle donne et d’apporter à notre politique un infléchissement significatif.

Une vague de fond

Le printemps arabe résulte de la conjonction de plusieurs éléments qui ont provoqué, à partir de la Tunisie, des mouvements spontanés et pacifiques qui ont touché la quasi-totalité des vingt-deux pays arabes.

Il s’agit avant tout d’un rejet politique massif de régimes sclérosés, souvent dirigés par des autocrates vieillissants, sur lesquels se sont focalisés tous les mécontentements. Ce rejet s’accompagne d’une revendication à la dignité et aux libertés fondamentales de même qu’à la dénonciation de la corruption. A cette dimension politique, s’ajoute un élément économique : l’impact de la crise sur un marché du travail où les jeunes trouvent difficilement un emploi souvent sous-qualifié par rapport à leurs diplômes. Ces mouvements sont partis d’une jeunesse de plus en plus nombreuse –les jeunes de moins de 25 ans représentent selon les pays entre 45 % et 55 % de la population – de plus en plus diplômée, frustrée dans sa recherche d’un emploi, ouverte sur le monde extérieur et capable de se mobiliser efficacement, notamment en utilisant Internet et les réseaux sociaux. Tous ces ingrédients se retrouvent, avec des pondérations et des contextes différents, dans la quasi totalité des pays arabes.

Un processus inachevé

En fait le phénomène des révolutions arabes est loin d’être achevé. A cet égard, plusieurs types de situations existent. Dans deux pays – la Tunisie et l’Egypte -, un véritable processus de démocratisation est en cours. Les chefs d’Etat ont été obligés de quitter le pouvoir ; de nouveaux gouvernements sont en place ; un calendrier politique a été défini conduisant à des élections législatives et présidentielles et la rédaction d’une nouvelle constitution. Les forces politiques, anciennes ou nouvelles, s’organisent dans la perspective de ces échéances. Ce processus ne se fait pas sans heurts mais le mouvement est lancé, en Egypte sous le contrôle de l’armée, et rien ne sera comme avant.

Dans d’autres pays, comme au Maroc et en Jordanie, les régimes tiennent et des réformes sont en cours qui, pour l’instant, ne semblent répondre qu’imparfaitement aux revendications des mouvements de contestation.

En Libye, au Yémen, en Syrie, aux manifestations pacifiques a répondu une répression brutale, de nature à faire basculer ces pays dans la guerre civile et conduisant à terme à la chute de ces régimes.

Enfin, dans une dernière catégorie, figurent des pays où « l’ordre règne ». C’est le cas des monarchies du Golfe où les quelques mouvements qui sont apparus ont été contenus, voire durement réprimés, notamment à Bahreïn. L’Arabie saoudite, en proposant l’adhésion de la Jordanie et du Maroc au Conseil de Coopération du Golfe, a pris la tête d’une « sainte alliance » qui risque de se comporter comme une force contre-révolutionnaire.

Ainsi rien n’est acquis et toutes les évolutions sont possibles : émergence de régimes démocratiques ; renforcement des monarchies autocratiques ; ordre islamiste ou chaos. Beaucoup dépendra du jeu des acteurs, notamment de celui des forces armées, mais également de l’évolution économique de ces pays.

Une nouvelle donne

Déjà une nouvelle donne apparaît. C’est tout d’abord un choc économique et financier lourd de conséquences qui se manifeste dans beaucoup d’Etats par une grave crise des finances publiques, un ralentissement économique important, une forte hausse du chômage conduisant à un renforcement des pressions migratrices. On notera que, pour l’instant, ces mouvements de contestation n’ont pas eu d’impact significatif sur l’économie mondiale.

Sur le plan géopolitique, cette nouvelle donne est en train de s’esquisser sans que ses contours se dégagent encore nettement. Là aussi, rien ne sera comme avant. Il est sûr que les pays occidentaux qui ont soutenu et soutiennent encore des régimes autoritaires, se trouvent dans une position inconfortable, critiqués qu’ils sont de part et d’autre. Critiques des monarques accusant notamment les Etats-Unis de lâchage ; critiques de la «rue arabe» qui dénonce un soutien cynique au nom de la défense contre le «péril islamiste». Israël, pour sa part, s’inquiète d’une déstabilisation à ses frontières et de l’arrivée de gouvernements moins coopératifs qui pourraient affecter sa sécurité. La Turquie, l’Iran, la Russie se trouvent également dans la même position inconfortable face à cette situation encore évolutive. D’un côté, ils se félicitent de la disparition de certains régimes ; mais, à l’inverse, ils craignent une déstabilisation des pays où ils ont des intérêts majeurs. La Chine et, d’une façon générale, les puissances émergentes d’Asie, peuvent y trouver une opportunité pour affirmer leur présence économique, voire leur influence politique.

Des orientations pour une politique française

Dans un tel contexte de printemps arabe déclenché par des mouvements spontanés, quelle politique la France pourrait-elle pratiquer ? Tous les pays, puissances occidentales comme pays émergents et acteurs régionaux ont assisté en spectateurs à cette vague imprévue et ont fait du pilotage à vue avec plus ou moins de succès. De fait la capacité d’influence sur les événements est très limitée. Mais la France ne peut se désintéresser d’une région à sa proximité géographique immédiate où elle a des intérêts majeurs. Après un flottement liminaire, des inflexions ont été prises qui demandent à être diversifiées et amplifiées. Entre ingérence et indifférence, seule une politique d’accompagnement paraît réaliste ; encore convient-il d’en définir le contenu.

La politique française devrait se fonder sur quelques principes incontestables : soutenir politiquement et financièrement les progrès vers la démocratie ; être à l’écoute des opinions ; jouer sur le capital de sympathie dont dispose encore notre pays dans le monde arabe malgré sa mansuétude lorsqu’il s’agit d’Israël ; éviter de s’engager dans des querelles internes à dominantes communautaires ou tribales ; agir plutôt que réagir ; mesurer les conséquences des initiatives prises notamment au niveau européen comme à celui des Nations unies ; utiliser lorsque ceci est possible le levier européen.

Sur la base de ces principes, la politique de la France pourrait se déployer autour de trois grandes orientations.

° Affirmer la priorité méditerranéenne.

Celle-ci doit être affirmée tant au niveau bilatéral que multilatéral et à celui des institutions financières internationales, européennes et onusien. En termes d’organisation, une refonte de notre dispositif de réflexion et d’action autour d’un « Secrétariat pour la Méditerranée », sur le modèle du Secrétariat général aux Affaires européennes pourrait être institué. L’Union pour la Méditerranée, déjà sinistrée avant le déclenchement du printemps arabe et dont le dispositif institutionnel est paralysé, exige d’être repensé pour promouvoir une telle politique. L’approche bilatérale, au niveau de l’UE – statut avancé- comme au niveau français, doit être privilégiée.

° développer les contacts avec la société civile arabe.

Une ouverture est indispensable au-delà de l’establishment traditionnel, notamment en direction des jeunes. L’Institut du monde arabe, conformément à sa vocation, devrait devenir effectivement un lieu de rencontre et de dialogue avec les sociétés civiles arabes. Des outils comme les Instituts français et les centres de sciences sociales existants, doivent être renforcés. La coopération dans le domaine de la gouvernance, actuellement faible et timide, doit recevoir une plus grande impulsion et des moyens plus importants, dans ses différents aspects politiques, juridiques, économiques etc…..

° Renforcer le dialogue politique sur l’évolution actuelle autour de la thématique du printemps arabes avec les acteurs régionaux les plus importants, la Turquie, Israël, l’Arabie saoudite, l’Egypte.

° Mobiliser la communauté internationale en faveur de la création d’un Etat palestinien.

La situation actuelle offre une réelle fenêtre d’opportunité. En s’appuyant sur le camp de la paix qui existe aussi bien en Israël que dans les pays arabes et sur les principes du plan Abdallah de 2002, il convient d’encourager la reprise des négociations, y compris en exerçant, sur les deux camps, les indispensables pressions. En toute hypothèse se pose la question de la reconnaissance d’un Etat palestinien lors de la prochaine Assemblée générale de l’ONU, la situation sur le terrain risquant à terme de faire disparaître cette option à laquelle la communauté internationale, les Etats-Unis compris, prétend adhérer en tant qu’objectif d’un règlement. La France se doit d’être exemplaire, comme elle l’a été dans le passé en étant finalement suivie, c’est à dire de franchir le pas.

La France se fondant sur le capital de sympathie que lui a valu la politique menée depuis le général de Gaulle, se doit d’adapter sa politique étrangère à ce nouveau contexte et de donner une priorité majeure à cette zone sensible où ses intérêts politiques, économiques et sécuritaires sont majeurs.

Le rapport ci-après propose une série de mesures à mettre en œuvre rapidement.

Lire le rapport (publication 2011-07-15)

 

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La rédaction de Grotius International.

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