Burundi : la Ligue Iteka et les médias…

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Une relation fructueuse dans le plaidoyer

Par Jean-Marie Vianney Kavumbagu… La ligue burundaise des droits de l’homme Iteka est née le 6 février 1991 dans un contexte de changements politiques suite au vent de démocratisation de la fin de la décennie 80 qui a donné naissance au multipartisme dans la région des Grands lacs et ailleurs en Afrique. En défendant l’exercice des droits et libertés fondamentales, la jeune organisation était appelée à jouer un rôle de premier plan dans cette transformation socio-politique notamment au cours du processus électoral de 1993.

Dans ses stratégies, elle accordait dès le départ la priorité à la coopération avec les médias pour porter plus loin sa voix, particulièrement après la crise d’octobre 1993. Dans sa position d’avant-garde dans l’observation des violations des droits de l’homme, la Ligue Iteka devait  agir comme groupe de pression en dénonçant de multiples exactions et bavures commises à la fois par l’armée gouvernementale et les rebelles pendant de la guerre civile.

Les rapports annuels, les communiqués de presse, les actions urgentes, les mémorandums … étaient relayés par les médias nationaux (radios, agence de presse, journaux) et parfois par les médias internationaux comme les agences  AFP, Reuters, Associated Press, les radios RFI, BBC ou VOA.

Cependant, il convient de préciser que de 1991 à 1995, la Ligue Iteka utilisait le canal de l’unique radio télévision nationale gouvernementale (RTNB) pour rendre publiques ses actions, mais la plupart des documents critiques envers le pouvoir étaient censurés. Les autres alternatives étaient limitées car le paysage médiatique indépendant ne favorisait pas l’expression des préoccupations d’Iteka.

En effet, la presse écrite était dominée par des titres engagés politiquement et ethniquement entre les mains des partis politiques. Pire encore, le public était abusé et terrifié par les émissions de la radio pirate Rutomorangingo aux allures de la tristement célèbre  » Radio Télévision les Milles collines  » (RTLM), très impliquée dans la préparation du génocide d’avril 1994 au Rwanda.

La création de la Radio indépendante Umwizero en 1995 qui deviendra plus tard, Radio Sans Frontière Bonesha en 1999, fut une véritable révolution dans la stratégie de  communication de la Ligue Iteka. Un des objectifs de cette radio était de restaurer la paix en donnant la priorité aux actions de la société civile burundaise et des Organisations non gouvernementales.

D’autres radios privées très populaires furent créées plus tard comme la radio Isanganiro, la Radio Publique Africaine (RPA), la Radio Télévision Renaissance FM… Si bien qu’actuellement, le paysage médiatique burundais compte plus d’une quarantaine de radios et télévisions et la majorité d’entre elles sont indépendantes.

Le soutien des médias…

Citons quelques exemples de ces relations étroites entre Itéka et les médias… En Août 2004, la Ligue Iteka, en association avec d’autres organisations nationales et internationales, a pris position dans les médias locaux et internationaux contre les massacres de Congolais Banyamulenge en exigeant que des enquêtes soient engagées pour arrêter et juger les auteurs de ces violences. C’est sans doute l’ampleur de cette pression qui poussa le gouvernement du Burundi à ratifier le statut de la Cour Pénale Internationale, le 21 septembre 2004, à la grande satisfaction de la Ligue Itéka qui s’était engagée dans une lutte acharnée, aux côtés d’autres partenaires nationaux et internationaux, en vue d’aboutir à ce résultat.

Au cours de la même année 2004, la Ligue Itéka suivait avec une attention particulière le processus électoral qui devait aboutir à la mise en place des institutions post-transition, au mois de novembre 2004. Comme le président sortant n’entendait pas céder son fauteuil et que les candidats forçaient l’allure pour le « déloger », la Ligue Itéka a tenu une conférence de presse  pour demander aux acteurs politiques et à la communauté internationale de fixer un délai raisonnable pour un processus électoral susceptible de conduire le pays à des élections libres et démocratiques.

Concernant les violations des droits de la personne, Iteka organise une conférence de presse à chaque présentation de son rapport annuel sur la situation des droits de l’homme dans le pays. Cet évenement, où la Ligue dénonce des manquements dans la protection des populations tout en formulant des recommandations aux pouvoirs publics fait l’objet d’une large couverture médiatique.

En 2006, de nombreuses arrestations ont eu lieu, certaines arbitraires et abusives des présumés partisans et collaborateurs du dernier mouvement rebelle,  Palipehutu-Fnl d’Agathon Rwasa, dans les provinces de Bujumbura rural, dans les quartiers nord de la capitale, dans la province de Bubanza ainsi que dans d’autres provinces.

C’est dans ce contexte que les détenus des différents cachots de la province de Muyinga (nord-est du pays) présumés collaborateurs du Palipehutu – Fnl, furent rassemblées en juillet 2006 dans le camp militaire de Mukoni (centre ville de Muyinga) puis exécutés froidement et jetés dans la rivière Ruvubu.

La Ligue Iteka a publiquement dénoncé ces exactions dans les médias comme elle a dénoncé les actes de torture perpétrés en 2006, par le Service Nationale de Renseignement (police présidentielle) à l’endroit des présumés putschistes dont l’ancien vice-président de la République Alphone Marie Kadege et certains de ses co-détenus.

Sur le plan des libertés publiques, le pouvoir a livré un combat sans merci aux hommes de médias et de la société civile, multipliant menaces et intimidations : séquestration et bastonnade de journalistes en avril 2006, détention abusive, filature etc. La Ligue Itéka a condamné ces pratiques par la voie des ondes et demandé que des poursuites soient engagées à l’encontre des auteurs des multiples abus et bavures constatées ici et là.

La Ligue Itéka est revenue à maintes reprises sur l’obligation pour l’Etat du Burundi de lutter contre l’impunité. En 2006, elle a même porté plainte contre l’Etat du Burundi pour avoir libéré des prisonniers dits politiques alors que dans un rapport les Nations Unies les qualifiaient de « génocidaires ». Les médias ont fortement relayé cette action, obligeant ainsi la ministre de la Justice de l’époque, Clotilde Niragira, à s’expliquer longuement dans la presse.

Les échéances de 2010

En 2008, la Ligue Iteka a mené des actions médiatiques pour protester vivement contre l’emprisonnement abusif d’un journaliste, d’un syndicaliste et d’un chef de parti politique. Elle vient également de rendre publique une déclaration, au cours de ce mois de juin 2009  sur l’intolérance politique qui prend de l’ampleur au fur et à mesure qu’on approche les échéances électorales de 2010.

Toutefois, les défis restent nombreux surtout en cette période où les partis politiques s’apprêtent à entrer en compétition électorale. Des tensions se font jour entre le gouvernement et la société civile, souvent accusée de jouer un rôle d’opposition à cause de ses prises de position critiques vis-à-vis du pouvoir.

La Ligue Iteka considère qu’en cette période pré-électorale il est important que l’Etat puisse garantir l’indépendance des médias et que les journalistes respectent le code de déontologie professionnelle. Des comportements autres influenceraient durablement les populations. Itéka, dans cette phase cruciale pour la démocratie burundaise, compte travailler davantage avec les médias afin de promouvoir un dialogue politique de qualité et  de juguler par conséquent le phénomène de l’intolérance politique, en recrudescence depuis plusieurs mois.

Jean-Marie Vianney Kavumbagu est vice-président de la Ligue Itéka.

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La rédaction de Grotius International.

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