Erythrée : dans les prisons, « on attend la mort »…

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Par Tara Osmane

Un ex-gardien de prison érythréen passé clandestinement en Ethiopie en février 2010 a témoigné des conditions de détention où il travaillait, au camp d’Emtbakala, puis d’Eiraero, dans le centre ouest du pays. Là, journalistes, hommes politiques se suicident dans leurs cellules ou attendent la mort…

D’une voix neutre, sans émotion, Eyob Bahta décrit le calvaire de 35 prisonniers politiques depuis leur incarcération en septembre 2001. Parmi eux, l’ancien vice-président Mahmoud Sherifo, le chef d’Etat major Ogbe Abraha, et des membres du comité central : Aster Fisehatsion, Germano Nati, Hamid Himid and Salih Kekya. Tous avaient fait partie d’un groupe de 15 politiciens de haut rang qui avait critiqué le président Isaias Afeworki et demandé des réformes. Outre onze politiciens et militaires, le groupe de détenus comptait à l’origine neuf journalistes, dont Dawit Isaac, qui a la double nationalité érythréenne et suédoise.

Emprisonnés d’abord à Emtbakala, ils ont été transférés en 2003 à Eiraeiro dans le centre ouest du pays. Selon Eyob Bahta, «il n’y a pas de torture, le gouvernement n’attend rien d’eux». Les détenus sont enfermés dans d’obscures cellules individuelles sans fenêtre de 3 mètres sur 3, ils ne voient la lumière qu’une heure par jour, entre 8 et 9 heures du matin, seul sur une petite terrasse qui surplombe la cellule. La température oscille entre 40 et 50°. Ils sont maintenus en total isolement, personne ne sait où ils se trouvent, il n’y a eu ni procès, ni sentence. «Tout ce qu’ils ont à faire, c’est attendre la mort.»

Depuis 2001, 15 détenus sont morts, deux se sont suicidés en se pendant avec leur tee-shirt à la porte de leur cellule. Plusieurs ont succombé à la chaleur en arrivant à Eiraero, d’autres à la maladie, faute de traitement. «Ceux qui restaient quand je suis parti sont extrêmement faibles» précise l’ex-gardien. L’ancien ministre des affaires étrangères Hailé Woldetensae, qui fait partie du groupe de politiciens incarcérés, a perdu la vue.

Quant au gardien, il a profité d’une permission pour passer clandestinement la frontière avec un ami. Il surveillait ces détenus depuis 9 ans, sans savoir quand il serait affecté à un autre poste, «j’ai commencé à penser que je mourrai avec eux» dit-il. Environ 2000 Erythréens passent la frontière chaque mois clandestinement pour venir en Ethiopie, qui accueillent 49000 réfugiés érythréens, parqués pour la plupart dans les camps bondés du nord. Eyob Bahta, qui affirme être aussi un ancien membre de l’intelligence érythréenne, est allé directement à Addis Abeba, où sa femme l’a rejoint par la suite, ajoute-t-il sans donner plus de détail.

Le gouvernement éthiopien a sans doute vu immédiatement le parti qu’il pouvait tirer de ce témoin. Ce sont les nombreux détails donnés par l’ex-gardien de prison sur des détenus dont on était jusqu’à présent sans nouvelle qui crédibilise son témoignage, recueilli en Ethiopie, ennemie jurée de l’Erythrée et qui n’est pas en reste en matière de propagande.

Tara Osmane est journaliste (Addis-Abeba)


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