Dans la rue, de préférence en centre ville, il n’est pas rare de les croiser. Souriants, dynamiques, ils sont à la recherche d’un regard attentif et d’un éventuel portefeuille généreux.
Vêtus de cercles bleus ou d’autres triangles rouges, à première vue, ils attirent l’attention du badaud, qui se laissera prendre au jeu, guidé par une certaine conscience d’être un citoyen du monde. Vendre l’humanitaire, tel est le job saisonnier à la mode dans les rues et autres centres commerciaux de nos grandes villes. Il ne faut pas spécialement s’y connaître en géopolitique ou en solidarité internationale, non, il faut savoir démarcher et soumettre aux passants la misère du monde, dans l’objectif le plus à la mode de notre époque : faire du chiffre.
Triste époque où l’argent, moteur du monde, achète notre conscience et bâillonne notre esprit critique. Peut-on vraiment « être contre » cette démarche des organisations d’entraides internationales ? C’est difficilement critiquable, car c’est ainsi que fonctionne le monde actuel, une balance entre l’offre et la demande, les moyens et les actions menées, en partant du principe de leur efficacité. On a toutefois le droit de s’interroger sur ce système de « quête du donateur », basé sur le commerce de la misère du monde. Puisque, par leurs modes d’action, les ONG nous invitent à assimiler action de solidarité internationale et plan d’action commerciale.
L’humanitaire, à ses débuts, avait quelque chose de militant, d’engagé. Nostalgie d’un temps où le débat d’idées avait plus de force qu’un chèque signé à la va-vite dans les galerie d’un centre commercial. Pire que cela, le système humanitaire actuel semble s’épanouir dans la politique du chiffre et des chèques. Est-ce parce que la misère du monde est plus grande qu’avant, ou simplement parce que la société occidentale se satisfait de ce mode d’action qui lui permet d’assumer les incohérences de son système et les injustices de sa planète avec une bonne conscience ?
A cette question, le gars au T-shirt solidaire n’a pas de réponse. Il connaît son speech par cœur, et le vend mieux qu’un marchand de tapis. Il reste tout de même un vendeur de « bons de conscience». Peut-on lui en vouloir ? Ce n’est pas un militant mais un commercial, qui fait son boulot pour gagner sa vie.
On peut crier au loup que Fatimatou et ses 9 frères et sœurs vont mourir de faim demain si tu ne donnes pas 20 euros, que son campement périra d’une épidémie de choléra si tu ne fais pas un virement permanent sur 12 mois. C’est une certaine réalité, joliment libérale, défendue par un jeune chômeur en quête d’un vrai travail, bras croisés derrière son stand face au Monoprix, dans cette grande surface de la misère humaine.
Pourtant, militants et travailleurs humanitaires existent et produisent sur le terrain un travail souvent remarquable, palliant les injustices les plus criantes aux yeux des donateurs. Sur le terrain ou dans les sièges des organisations, on imagine des débats collectifs invitant à la réflexion sur les actions menées. Pourquoi cette image là, plutôt culturelle que « communicative » ou – plus grave encore – publicitaire, n’est elle pas plutôt mise en avant ? Peut être que c’est une conséquence de la professionnalisation du domaine. La part d’engagement militant s’est effacée au profit du salariat, devenue généralement rare, des CDI et autres perspectives de carrière. Les militants deviennent des salariés, et puis, les salariés deviennent des employeurs. Ou des chômeurs…
Peut être aussi que ce visage commercial de l’humanitaire serait alors le reflet d’une action de solidarité internationale détournée de ses premiers objectifs ? Pas nécessairement… Elle s’inscrit simplement dans la mouvance de notre époque, où tout se vend et tout s’achète, et où le badaud, tout comme Fatimatou et son campement, resteront encore pour un temps, des victimes de la marchandisation planétaire.