Jinmi Adisa de l’UA: « Que la société civile arrête de faire de l’agit-prop »…

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Entretien réalisé par Tara Osmane

On en parle peu. Même très peu. A part certains médias internationaux comme RFI ou la BBC… L’Union Africaine (U.A) qui a succédé à l’Organisation de l’Unité Africaine (O.U.A) n’a guère le vent en poupe. Les opinions européenne et américaine ignorent largement les objectifs politiques et économiques de la structure panafricaine, qui tente d’affirmer son autorité sur le continent africain en s’associant de plus en plus aux opérations de maintien de la paix. Quelles relations entretient l’UA avec la société civile africaine, avec les Organisations Non Gouvernementales internationales ? Jinmi Adisa, le directeur du département de l’UA en charge des citoyens africains et de la diaspora – dont la parole est rare, répond aux questions de Grotius.fr…

Tara Osmane : « L’Union africaine a-t-elle une stratégie vis-à-vis des ONG ?

Jinmi Adisa : L’une des principales différences entre l’UA et l’ancienne O.U.A est justement l’accent mis sur le développement et la participation de tous les segments de la société. Selon l’Acte constitutif de l’UA, il s’agit d’un partenariat entre les Etats et la société. Un corps représentant la société civile, l’ECOSOC (ndlr : Conseil Economique Social et Culturel de l’UA, inauguré en mars 2005), existait dans la charte de l’OUA, mais c’est l’UA qui l’a mis en place. Ses membres sont directement élus par la société civile, c’est-à-dire non seulement les ONG, et tout un éventail d’acteurs qui ne dépendent pas de l’Etat : groupes religieux, culturels et… Son rôle est de faire de la société civile un acteur direct. Un département pour les acteurs non étatiques, CIDO (Citizens and Diaspora Directorate) a été créé. L’année dernière, nous avons versé 75.000 dollars à certains de ces acteurs qui nous soumis des demandes de financement.

Tara Osmane : Ces structures contribuent-elles vraiment à une plus grande participation de la société civile?

Jinmi Adisa : Quand par exemple nous avons dû définir les modalités de l’interaction entre le Conseil de Paix et de sécurité de l’UA (ndlr : formé de représentants des Etats membres, le CPS est chargé des questions relatives à la paix et à la sécurité sur le continent) et la société civile, nous avons eu une série de consultations au cours desquelles la société civile a pu faire des propositions qui ont été avalisées à Lusaka, en novembre dernier. Ce document a ensuite été adopté par le CPS. C’est un outil révisé chaque année. L’ECOSOC organise également des concertations avec chaque commissariat – Economie, Agriculture etc… Ce qui signifie qu’il y a en permanence des échanges et des recommandations.

Tara Osmane : Quel regard portez vous sur l’action d’urgence des ONG étrangères ?

Jinmi Adisa : Leur place a donné lieu à de vifs débats lorsqu’il a fallu rédiger les statuts de l’ECOSOC. Nous étions d’accord sur le partenariat entre les Etats et la société civile. Mais souvent, ce qu’on désigne en Afrique par société civile, ce sont en fait les ONG internationales. Les Etats s’inquiétaient, ils voulaient être sûrs que les voix émaneraient vraiment des pays eux-mêmes et non de l’extérieur. Au final, l’ECOSOC met l’accent sur les organisations africaines de la société civile (African CSOs), mais les ONG internationales ont accès en tant qu’observatrices à toutes les réunions, ce qui est une reconnaissance de leur apport et de leur connaissance des enjeux.
Nous avons aussi une procédure qui s’appelle le pré-sommet, pour s’assurer que les préoccupations de la société civile seront débattues par les chefs d’Etat. Les ONG internationales y ont accès.

Tara Osmane : Mais les ONG en général se plaignent du manque d’accès aux sommets…

Jinmi Adisa : La participation à un sommet fait l’objet de régulations. La société civile ne peut pas avoir des privilège que les chefs d’Etat n’ont pas. Il y a des limitations en terme de nombre de participants, c’est un + quatre pour chaque délégation. Ajoutez les partenaires. Allez voir la place dont nous disposons dans la salle. Il faut être réaliste, tous les membres de la société civile ne peuvent pas entrer. La plupart du temps, la société civile a plus de représentants que les Etats membres et les partenaires. Les listes soumises par l’Ecosoc et CIDO sont acceptées. Mais souvent elles viennent à la dernière minute, même si elles connaissent les procédures. Ensuite, elles veulent six, parfois huit représentants. Ce n’est pas possible. La commission elle-même a besoin de la société civile pour obtenir certaines choses des chefs d’Etat, mais les procédures doivent être respectées. Les CSOs doivent aussi être formées aux procédures. Dans un processus politique, il faut venir avec des propositions structurées et être prêt au compromis.


Tara Osmane : Les propositions sont-elles entendues ?

Jinmi Adisa : Pour chaque sommet, il y a un thème et nous invitons les associations de la société civile en accord avec ce thème, l’eau, l’agriculture, par exemple. Il faut que les points de vue soient argumentés pour être pris en compte par les chefs d’Etat. Les ONG internationales, tout ce qui les intéresse, c’est le Zimbabwe, ou de manière générale les sujets politiques. Ce n’est pas un mal mais si on veut que la société civile soit respectée, il faut qu’elle soit capable de conseils avisés, informés. La société civile doit apprendre comment avoir un impact sur le processus politique. Si ses recommandations sont bonnes sur l’agriculture, elles seront considérées aussi en matière de droits de l’homme.

Tara Osmane : Les thèmes officiels des sommets ne sont pas souvent la véritable priorité du moment… Ce sont les questions politiques qui dominent, souvent dans les coulisses…

Jinmi Adisa : Les chefs d’Etat passent en fait beaucoup de temps sur ces thèmes que vous dites officiels. La société civile doit aller au-delà de la propagande et être capable de propositions. Le défi en Afrique, c’est que la société civile n’est pour l’instant qu’une sorte de club. Nous devons élargir la participation. Je pense aussi qu’il faut former les CSOs au processus politique. Les structures sont là, le président d’ECOSOC, Akere Muna, par ailleurs vice-président de Transparency International, a le même statut que le président de la Commission Jean Ping quand il s’adresse aux chefs d’Etats. Mon message aux CSO : utilisez ces structures de façon constructive, proposez des alternatives viables aux Etats, démontrez votre force de proposition, parce que sinon les Etats diront : « on leur a offert un espace politique, mais ils ne l’utilisent pas ». La société civile en Afrique s’est formée aux méthodes de l’agit-pro, nécessaires pour lutter contre les dictatures sans aucun doute. C’est aussi en étant vindicatifs que les principaux acteurs de la société civile se font un nom. Mais dans les circonstances actuelles, les attaques ne suffisent plus. »

Tara Osmane est journaliste indépendante

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