Famine et politique… Ubu est roi en Ethiopie

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Par Tara Osmane… Pour le gouvernement éthiopien, la loi sur la société civile (loi CSO) promulguée en février 2009, est un pas vers une meilleure gestion. Pour certaines ONG, c’est l’asphyxie financière assurée.

La raréfaction des financements résulte de la combinaison de deux dispositions de la loi. En son article 3, elle stipule que toutes les ONG dont le financement extérieur est supérieur à 10% sont considérées comme étrangères. La grande majorité d’entre elles se trouvent dans cette catégorie. L’article 14 enfin liste les domaines d’intervention dont sont désormais exclues ces ONG étrangères : à savoir la promotion des droits de l’homme et la démocratie, de l’égalité des peuples, des religions et des sexes, de la résolution des conflits, de l’efficacité de la justice. Les ONG, très vite, pourraient être asphyxiées si la loi, début 2010, est appliquée au pied de la lettre…

« Après de nombreuses consultations avec le personnel et les membres, nous avons décidé de nous réenregistrer comme organisation de charité éthiopienne, ce qui signifie que nous ne pourrons pas recevoir plus de 10% de nos fonds de source étrangère » explique Yoseph Mulugeta, secrétaire général du Conseil éthiopien des Droits de l’homme, une ONG dont les principaux bailleurs incluaient jusqu’à présent les Pays-Bas, la Suède, la Finlande, le Canada et DFID, l’organisme britannique en charge de l’aide et du développement.

« Nous allons donc être obligé de compter sur nous-mêmes, et réduire la voilure en terme de personnel et de bureaux régionaux, nous sommes en train de développer un plan qui nous permettra d’avoir plus de financements domestiques et nous pensons à partager nos bureaux avec d’autres ONG.»

La mise en œuvre de la loi est effectuée par une agence gouvernementale dotée de grands pouvoirs d’enquête et de contrôle. La disposition 84 stipule que cette agence pourra de temps à autre « diligenter des enquêtes (…) d’ordre général ou pour un motif particulier ». Elle peut renvoyer des employés et en nommer d’autres à leur place (article 91). Les sanctions relèvent du droit pénal. Une criminalisation dénoncée par Human Rights Watch. Des questions d’ordre pratique se posent également. Alors que les procédures de renouvellement des licences et autorisations se sont alourdies, beaucoup doutent des capacités de la nouvelle organisation à gérer les quelque 4700 ONG qui opèrent dans le pays.

« Nous pensons que les capacités de l’entité établie pour gérer les affaires relatives aux ONG sont adéquates, elles sont en tout cas meilleures que ce qui existait auparavant » a estimé le premier ministre éthiopien Meles Zenawi, au cours d’une récente conférence de presse. Il a également démenti toute baisse de financement consécutive au vote de la loi, « Je ne suis pas au courant d’une quelconque baisse d’arrivée de devises étrangères destinées aux ONG. Peut-être la loi a-t-elle ralenti quelque peu le taux d’augmentation des financements. Mais en aucun cas, il n’y a eu de baisse.»

Une entrée en application dans quelques semaines…

Il est difficile d’évaluer les conséquences financières de la loi mais « il y a clairement un impact sur les programmes d’aide des bailleurs vis-à-vis de la société civile » estime le représentant d’un pays donateur. Quelques exemples : l’Union européenne a dû supprimer une ligne budgétaire de 600.000 euros. Certes, le Fonds de la Société Civile – géré en partenariat avec le gouvernement, est doté d’une dizaine de millions d’euros et est toujours opérationnel. Un autre programme de 24 millions d’euros alimenté par la Norvège, le Canada, l’Irlande, les Pays Bas et le Royaume Uni est maintenu et a été affecté.

En visite en Ethiopie en avril dernier, l’ex secrétaire d’Etat française aux droits de l’homme Rama Yade a souligné que l’Ethiopie est le premier bénéficiaire de l’aide alimentaire au monde depuis vingt ans. « Pour mettre en œuvre cette politique d’aide alimentaire, il est important que les ONG humanitaires qui ne sont pas là pour faire de la politique puissent effectuer leur travail dans des conditions sereines ».

« Pour le moment, nous sommes dans une zone grise » reconnaît un bailleur de fonds. «Tout dépend de la façon dont l’agence en charge de l’application de  la loi CSO va l’interpréter et de l’espace qu’elle va décider de laisser ou non aux ONG. Normalement, la loi n’entre en application qu’un an après sa promulgation, mais certains gouvernements locaux ont déjà commencé à l’appliquer».

Durcissement du régime avant les élections de 2010

Sans rapport avec l’application de la loi, le gouvernement de la région SNNPR, au sud du pays, a retiré en juillet leur agrément à 42 ONG. Après la loi CSO, une loi anti-terroriste a également été votée. Les qualifications imprécises de cette loi anti-terroriste offrent toute latitude aux autorités, au grand dam des organisations de défense des droits de l’homme. Selon Merera Gudina, l’un des représentants du forum de l’opposition éthiopienne, il s’agit tout simplement d’une volonté de réduire l’espace publique. « Les lois sur les médias, sur les partis politiques, sur les procédures parlementaires, sur les ONG, la loi antiterroriste, toutes font partie d’un même plan du gouvernement » affirme-t-il. Pour de nombreux observateurs, cette évolution est liée à l’approche des élections générales de 2010, et alors que le scrutin de 2005 s’est achevé dans le sang.

L’Ethiopie a lancé un appel il y a peu à l’aide alimentaire de 121 millions de dollars pour faire face au risque de famine. Les bailleurs de fonds avaient assuré que le vote de la loi CSO conduirait à une baisse de l’aide de l’ordre d’un milliard de dollars. On en est très loin. Alors que l’avenir politique du Kenya et du Soudan suscite les plus vives inquiétudes, que plus au nord l’Erythrée est enferrée dans une logique militaire et que la Somalie s’enfonce dans le chaos, l’Ethiopie, pilier de la Corne de l’Afrique, bénéficie d’un soutien quasi-inconditionnel de la communauté internationale.

Tara Osmane est journaliste indépendante (Addis-Abeba)

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