Guatemala : revirement au “procès du siècle”

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L’annulation, dix jours après son énoncé, le 10 mai dernier, de la condamnation historique de l’ancien dictateur Rios Montt pour “génocide” souligne les difficultés du Guatemala à entrer dans l’État de droit. Et à solder les comptes de la pire période de son histoire récente.

Par son contenu comme par son symbole, la sentence rendue le 10 mai 2013 contre le général Efraín Ríos Montt avait bien la dimension d’un Nuremberg centre-américain. Déclaré criminel contre l’humanité et pour cela condamné à trente ans de prison, le président de facto du Guatemala de mars 1982 à août 1983, a vu s’ajouter à sa peine cinquante années carcérales de plus en “qualité” de génocidaire.

Historique aura été dans cette région latino-américaine un verdict rendu à l’appui de cette qualification pénale, contre un ancien chef d’État, grâce à l’effort des ONG et d’une société civile de structuration récente [cf. l’article du Collectif Guatemala], pour solde de la pire séquence du conflit armé guatémaltèque (1960-1996) voire même des guerres civiles d’Amérique centrale. Aussi cruelle est l’annulation de ce même verdict, dix jours après son énoncé, par la Cour constitutionnelle pour vice de procédure. Efraín Ríos Montt n’en reste pas moins comptable devant la justice pour seize opérations systématiques de “terre brûlée” conduites au cours de sa présidence dans le département du Quiché ayant causé la mort 1771 personnes issues de la population indigène Ixil.

Le nouveau procès dont la date reste à fixer attise déjà les craintes. D’après le Centre d’action légale pour les droits humains (CALDH), partie civile dans la procédure, certaines victimes, très éprouvées par le revers judiciaire du 20 mai, hésitent à revenir témoigner. “Certaines refusent, d’autres ont peur”, explique Luis Ovalle, du Centre de rapports informatifs sur le Guatemala (Cerigua (1)). “Après avoir revécu leur calvaire durant le procès, elles ont logiquement accueilli la décision de la Cour comme une négation de leur douleur.”

Un froid examen juridique de l’arrêt suprême n’est évidemment pas de nature à satisfaire tous ceux qui ont obtenus de haute lutte le verdict du 10 mai. Mais ce revirement pose en lui-même le défi paradoxal de tout état de droit en construction : la Justice peut-elle déroger à la justice ? Autrement dit, un verdict si moralement incontestable dans une affaire de cette dimension pouvait-il souffrir d’une faille juridique, au risque de voir la justice sacrifier ses propres règles (comme elle l’aurait fait sans état d’âme sous un régime politique comparable à celui d’Efraín Ríos Montt) ? C’est la délicate mais nécessaire analyse que risque le Cerigua.

“La justice a été lente aux yeux des victimes. Et elle prendra encore davantage de temps avec un procès renvoyé. Or, la juge Jazmín Barrios n’a pas attendu que soient tranchés les recours présentés par la défense ni que soient auditionnés certains témoins, pour rendre son verdict, ce qui a finalement affaibli sa décision. Le revers du 20 mai est d’autant plus cuisant compte tenu des espoirs, mais aussi des tensions, générés par la qualification pénale de ‘génocide’ dans ce dossier”, souligne Luis Ovalle.

Pour l’analyste du Cerigua, le “procès du siècle” était par nature à la merci de la forte polarisation qu’il a provoqué au sein de la société guatémaltèque, réédifiée sur les bases fragiles des Accords de paix du 3 décembre 1996. Les accords en question avaient évité toute perspective judiciaire, se bornant à instituer une Commission d’éclaircissement historique (CEH). Au préalable, armée, gouvernement et guérillas avaient toutefois accepté le principe d’une loi de réconciliation nationale (en fait d’amnistie) qui n’inclurait pas les crimes contre l’humanité ni les actes génocidaires.  Une porte restait donc ouverte au solde judiciaire des années de terreur. Mais pour quelle “réconciliation” ?

Le problème a rejailli avec le procès Ríos Montt, perçu avec la réprobation qu’on imagine par l’actuel président Otto Pérez Molina, militaire d’active à l’époque des faits et chef de détachement dans le Quiché à l’heure des massacres. Les associations d’anciens militaires, certaines fondations et les principaux groupes économiques dénoncent le “coût politique” d’un tel procès pour le pays et son image.

Cette pression n’est, hélas, pas la seule à faire obstacle à une réconciliation encore incertaine et à l’établissement de toute la vérité sur ces années de guerre civile, entretenue par une forte ingérence étrangère. Surtout, comme le déplore Luis Ovalle, “les engagements sociaux entérinés avec les Accords de paix n’empêchent pas le Guatemala de demeurer l’un des pays au monde affichant les plus forts indices d’inégalité”. “Cette réalité, poursuit l’analyste, condamne encore la majorité d’une population à la survie et la maintient à l’écart du débat sur une période qui l’y a précipité.” Justice sans paix ou paix sans justice ?

(1 ) Organisme dédié à l’information, à la protection des droits humains et à la défense des libertés publiques, le Cerigua est né le 8 août 1983. Cette même date fut celle du renversement du général Ríos Montt par son ministre de la Défense, le général Oscar Humberto Mejía Victores, dernier militaire à la tête de l’État durant la guerre civile. 

 

 

Benoît Hervieu

Benoît Hervieu

Benoît Hervieu est Directeur du Bureau Amériques – RSF…………………………………………………………………………….
Benoît Hervieu, Reporteros sin Fronteras, Despacho Américas .