Haïti : La coordination humanitaire comme lieu d’exclusion et d’affaiblissement des capacités locales ?

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Faiblesse des capacités institutionnelles, pertes humaines suite au séisme, élection présidentielle, crise du choléra, partisanerie des acteurs haïtiens… les raisons pour justifier l’exclusion des acteurs locaux de la réponse humanitaire en Haïti ont été multiples.

L’idée n’est pas de nier l’importance de ces facteurs, mais en les invoquant, on risque de voiler d’autres éléments essentiels pouvant expliquer la marginalisation des Haïtiens de l’urgence et la difficulté de faire une transition vers la reconstruction.

L’enjeu de la coordination en Haïti, et plus particulièrement du mécanisme des clusters, est trop souvent abordé sous l’angle unique de l’efficacité : rapidité des prises de décisions, échanges d’informations, cartographies des besoins, capacités des acteurs présents… Or il serait pertinent de plutôt se questionner sur la qualité et l’origine de l’information échangée, sur les acteurs qui prennent part à la coordination et sur les stratégies de transition pour redonner à l’État bénéficiaire le contrôle sur une de ses prérogatives essentielle : celui de coordonner l’afflux d’aide et d’acteurs sur son territoire.

Les stratégies de sorties des clusters sont au cœur des débats actuels en Haïti. En avril 2010, dans le tumulte post-séisme, l’évaluation menée par le Groupe URD et GPPi (Binder et Grünewald, 2010) soulevait déjà les risques de faire persister les rencontres de clusters dans un contexte où les acteurs locaux ne se réapproprient pas ces espaces. L’absence d’une prise en compte du contexte haïtien et des espaces de coordination préexistant au séisme était déjà symptomatique de l’implantation des clusters en Haïti. Dès lors, la transition vers des tables sectorielles risquait d’être ralentie, voire difficilement opérable.

Les rencontres de coordination, souvent considérées comme des espaces strictement techniques et opérationnels, deviennent pourtant stratégiques en Haïti. La création de sous-groupes parallèles aux clusters, les Strategic advisor Group (SAG), témoigne de cette volonté de se réunir entre « acteurs opérationnels efficaces » afin de s’entendre sur des normes communes, d’établir les priorités et besoins des populations et de mettre en place un cadre stratégique opérationnel. Ces objectifs sont certes louables dans un contexte où l’efficience est synonyme de sauver des victimes du choléra, de sortir des familles des camps et d’entamer la reconstruction. Toutefois, personne ne s’étonnera que la proximité ainsi créée entre les acteurs internationaux disposant d’importantes capacités et ressources facilite la création de pratiques et de savoir communs

. Cette situation accentue la division inclus/exclus entre acteurs locaux et internationaux. Surtout, elle accentuera le fossé des connaissances entre ces derniers.

De même, force est de constater qu’en plus d’avoir un impact sur la qualité de la réponse à court terme, les effets de l’exclusion sur le long terme sont sans nul doute les plus néfastes. Un représentant du MSPP expliquait bien cela : « C’est toute une bataille avec les ONG pour s’inscrire [au gouvernement]. Le MSPP a dit que [vous devez] vous inscrire pour informer que vous êtes dans la zone, mais […] on ne l’a pas fait. Vous imaginez que vous êtes le représentant du MSPP de la zone et qu’au premier jour, vous êtes à peine arrivé […] Vous constatez que cette personne n’est pas inscrite. C’est très difficile de s’asseoir avec cette personne ».

L’architecture du système de coordination, les biais culturels et la spécialisation des internationaux limitent certainement l’appropriation des lieux de coordination par les acteurs haïtiens. Néanmoins, certains secteurs semblent être parvenus à sortir de la logique d’urgence et à assurer dès le début une coordination par des instances locales. Le secteur WASH est emblématique de cette réussite. La Direction Nationale de l’Eau Potable et de l’Assainissement (DINEPA) a été évoquée à maintes reprises comme étant une structure participant réellement à la coordination du secteur. Outre la mobilisation et les efforts déployés par certains acteurs de ce secteur afin de se l’approprier, certains éléments ont certes pu influencer positivement. Déjà, la présence d’un homologue local fort a assurément contribué à renforcer le secteur contrairement à certains secteurs de l’urgence n’ayant pas d’homologues locaux identifiés (e.g Shelter). Toutefois, cet argument est insuffisant considérant que le secteur de la santé, qui a un homologue haïtien dans le MSPP, n’a pas connu autant de succès.

Finalement, Building Back Better Haïti, signifie de prendre en compte les acteurs haïtiens dès le départ en assurant un co-lead entre les clusters et les structures gouvernementales dès que la crise survient. Il importe aussi de prendre conscience que les capacités locales et internationales ne se calculent pas toujours en des termes similaires. À cela, on doit ajouter un décloisonnement des phases d’intervention pour éviter que certains acteurs, agissant à contre-courant, maintiennent des logiques d’opérations différentes, voire opposées, selon qu’ils opèrent dans l’urgence, dans la reconstruction ou dans le développement.

Cet article est composé d’extraits de l’article d’Andréanne Martel « La coordination humanitaire comme lieu d’exclusion et d’affaiblissement des capacités locales ? », février 2012.

Pour suivre les informations et études produites par le Groupe URD – Haïti 

 

 

 

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La rédaction de Grotius International.

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