En 2004, moins d’une semaine après son déploiement en Irak, le jeune soldat Tomas Young prend une balle dans la colonne vertébrale, et il perd la fonction de son corps à partir du ventre. Il est envoyé d’un service d’urgence à un autre puis revient aux Etats-Unis. Après environ trois mois de rééducation, il est finalement invité à rentrer chez lui, en fauteuil roulant. Tomas se sent pourtant trahi. Il est l’un des premiers de retour à s’engager pour le droit des vétérans et contre la guerre en Irak. Pour lui, cette guerre n’a plus de sens, il est désormais convaincu qu’il s’agit d’une guerre pour des intérêts privés.
A son retour, un film lui est consacré : body of war. Tout le long du documentaire, on voit Tomas Young dans sa vie à son retour d’Irak, son combat, et surtout les souffrances qu’il endure suite à ses blessures. Le documentaire le montre furieux et déçu. Une des scènes phares décrit sa rencontre avec Bobby Moller, un vétéran du Vietnam, qui lui explique avoir subi des blessures similaires : “Je suis resté à l’hôpital plus d’un an, et la rééducation a duré deux ans. Avec toi, ils ont bâclé le travail. Tu n’as pas eu les soins que nécessite ton état !”.
En 2004, lorsque Tomas passe à l’antenne il donne l’impression d’un jeune dynamique et militant.
Le mois dernier, apparaissant sur la chaîne Democracy Now, Tomas Young semble très malade. Il a eu des complications de santé après la production du film : un caillot de sang s’est logé dans ses poumons, ce qui a endommagé son cerveau, rendant difficile son élocution et la mobilité de ses mains. Lors de l’interview avec la journaliste, il peine à articuler. Il semble fatigué, à bout de force. Tomas Young lit à l’antenne une lettre qu’il vient d’écrire à l’intention de l’ancien président, George W Bush. En voici un extrait :
“J’ai, comme beaucoup d’autres anciens combattants handicapés, souffert d’une insuffisance de soins, souvent ineptes, fournis par l’Administration des anciens combattants. Comme beaucoup d’autres anciens combattants handicapés, j’ai fini par réaliser que nos blessures mentales et physiques ne présentaient aucun intérêt pour vous et n’attiraient aucune compassion de votre part, ni peut-être aussi de celle de tous les autres politiciens. Nous avons été manipulés. Nous avons été trahis. Nous avons été abandonnés. Vous, M. Bush, vous faites démonstrativement semblant d’être chrétien. Mentir n’est-il pas un péché? Tuer n’est-il pas un péché? Le vol et l’ambition égoïste ne sont-ils pas des péchés ? Je ne suis pas chrétien. Mais je crois que dans l’idéal chrétien, il est dit que ce que vous donnez au plus petit de vos frères, vous le donnez pour vous même, pour votre propre salut.
Mon jour du jugement est devant moi. Le vôtre viendra aussi. J’espère que vous serez jugé. Mais surtout, je le souhaite, pour vous, afin que vous trouviez la force morale de faire face à ce que vous avez fait à moi et à beaucoup d’autres qui auraient mérité de vivre. J’espère qu’avant que votre temps sur terre ne se termine, comme c’est le cas pour le mien, vous aurez le courage de paraître debout devant le public américain et le monde, et en particulier devant le peuple Irakien, pour implorer leur pardon.”
Cela fait dix ans que la guerre en Irak a commencé, dix ans que Tomas subit les conséquences de ses blessures. A l’époque, ce jeune athlète est ému par les conséquences des attentats du 11 septembre et veut défendre sa patrie. Aujourd’hui, il attaque ceux qui l’ont envoyé sur le champ de bataille. En 2012, il se remarie à Claudia Cuellar. Depuis, l’aggravation de son état de santé lui impose de séjourner dans un hospice. Le 20 avril, date l’anniversaire de son mariage, Tomas arrêtera de se nourrir et de prendre la centaine de médicaments qui lui sont prescrits.
Sa mère, qui le soutient depuis son retour, refuse d’appeler cela un suicide. “Il ne se tue pas, non, il abandonne, c’est tout”. Tomas Young explique : “je ne veux plus voir mon corps se détériorer davantage”.
Âgé de 33 ans, les médecins estiment que son espérance vie ne dépassera pas quelques mois sans assistance médicale.
Les guerres en Irak et en Afghanistan ont coûté près de 6.000 milliards de dollars selon un récent article du monde. 150 000 Irakiens y ont laissé leur vie, ainsi que 4488 soldats américains. Le nombre de vétérans morts au combat ne surpassera pas le nombre de suicides. On compte un suicide par heure chez les vétérans de guerre, alors qu’il y avait une perte par jour au combat…
Note : Pour plus d’information, un autre film, diffusé en France par ARTE aborde la question lourde du retour après guerre des vétérans survivants. Il s’agit de l’excellent documentaire, l‘Ame en sang, réalisé par Olivier Morel.
Eva Soncin
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