Katyn : de la difficulté du travail d’expertise en temps de guerre

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Du 18 au 21 avril 2007, à Genève, s’est déroulé un colloque ayant pour objectif de mettre en exergue l’importance et les difficultés des experts et des expertises en temps de guerre. En même temps, ce colloque faisait suite à de nombreuses recherches et à la publication en 2003 d’un ouvrage consacré à François Naville. Ce Professeur de médecine légale à l’Université de Genève a accepté en 1943 de participer à la commission d’enquête créée par l’Allemagne pour étudier le contenu des fosses de Katyn et déterminer les véritables auteurs de ce crime odieux.

En 1940, au moins 21 857 officiers de l’armée polonaise sont assassinés par la police secrète du Commissariat soviétique de l’Intérieur (NKWD). Par cet acte monstrueux, l’élite de la Pologne a disparu. Contrairement à la plupart des autres crimes commis pendant la seconde guerre mondiale, celui-ci n’a pas été jugé. Aujourd’hui encore, des points d’interrogation demeurent et les noms des personnes assassinées ne sont pas tous connus. Mais dès 1943 et la découverte des charniers par les troupes allemandes, une lutte s’est ouverte entre les deux dictatures, nazie et communiste, pour savoir qui en était l’auteur.

La demande d’expertise allemande face aux charniers de Katyn
et l’impossibilité genevoise d’y donner suite

Au printemps 1943, année de la découverte des charniers par l’occupant allemand, Berlin cherche à utiliser ce crime — qu’il attribue à l’URSS — pour sa propagande. Aussi, les autorités du Troisième Reich s’adressent-elles au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) qui déclare ne pouvoir accepter l’ouverture d’une commission d’enquête qu’avec l’accord de tous les protagonistes. Genève exige donc l’assentiment explicite de l’URSS pour accepter la mise en œuvre de l’article 30 de la Convention de Genève du 27 juillet 1929 relative aux blessés et aux malades.

Cet article 30 a été adopté lors de la Conférence diplomatique de 1929 chargée de réviser la Convention de Genève de 1906. Les négociateurs avaient alors en tête les violations perpétrées de part et d’autre entre 1914 et 1918 et la récente création de la Cour permanente de justice internationale. C’est pourquoi, les délégations allemande et française avaient respectivement proposé la création d’une commission d’enquête et d’une cour suprême devant juger des violations commises.

La possibilité de faire appel aux bons offices d’une Puissance protectrice ou du CICR fut aussi envisagée. La première solution a très vite été écartée en raison de la difficulté de faire reconnaître l’impartialité d’une Puissance protectrice. La seconde solution fut aussi éliminée pour ne pas nuire au «prestige» du CICR si sa sentence était discutée ou non exécutée. C’est ainsi que les délégations suisse et anglaise ont proposé le principe de la commission d’enquête mandatée pour adopter les mesures nécessaires à la poursuite de sa mission. Le caractère obligatoire de l’enquête et l’engagement des Etats à adopter les mesures pour que cessent les violations, ont alors été admis.

En 1935, l’article 30 a failli être appliqué.  En effet, lors de la guerre entre l’Italie et l’Ethiopie, une ambulance suédoise fut bombardée par les forces italiennes alors que le temps était clair et que l’emplacement était signalé conformément au droit de Genève. Ainsi, cet acte était délibéré. Cependant, le CICR eut du mal à déterminer sa position.

Son président Max Huber insista sur l’idée que l’Institution avait de fortes suspicions, mais non des certitudes. Aussi, rédigea-t-il une protestation formelle auprès de Rome. Mussolini suggéra alors au CICR d’ouvrir une enquête sur la base de l’article 30. Cependant, lorsqu’à la fin mars 1936, Genève envoya une délégation dans la ville éternelle, l’Italie fasciste savait qu’elle avait gagné la guerre et n’avait plus envie de discuter du bombardement de l’ambulance suédoise. En effet, cinq semaines après les troupes italiennes entraient dans Addis-Abeba.

En juin 1936, lorsque le Dr Junod, délégué du CICR en Ethiopie, rentra à Genève, il refusa officiellement de croire à un bombardement délibéré, tout en insistant sur l’aspect cruel et barbare de cette guerre. Cependant, le CICR mit l’accent sur le fait que Marcel Junod n’était pas présent sur les lieux lors du bombardement. Aussi, le rapport de janvier 1937 reprenait-il l’argumentation italienne et se montrait-il respectueux pour l’Italie fasciste, laquelle en était d’ailleurs très satisfaite.

Ceci étant, les rédacteurs des rapports du CICR ont toujours fait attention à ne pas s’aliéner un belligérant dans l’intérêt des victimes que l’Institution a pour mission de protéger. En 1937, la guerre avec l’Ethiopie était terminée, mais une autre se déroulait en Espagne qui était le prélude à la deuxième guerre mondiale. Aussi, peut-on sans doute estimer que l’Institution a eu raison de ne pas braquer l’Italie de Mussolini contre elle. L’on ne peut pas parler de «raison d’Etat», mais la réaction est comparable. Fort de cette expérience, le 12 septembre 1939, le CICR informe les belligérants qu’il «ne peut ni ne doit se constituer lui-même en commission d’enquête ou en tribunal arbitral», qu’en outre il «ne peut procéder à une enquête […] qu’en vertu soit d’un mandat qui lui serait confié d’avance par une Convention, soit en vertu d’un accord ad hoc» et à condition que «la procédure d’enquête [fournisse] toutes les garanties d’une procédure impartiale et [donne] aux parties les moyens de défendre leur cause».

En avril 1943, le CICR est donc saisi, par l’intermédiaire du représentant en Suisse de la Croix-Rouge polonaise, d’une demande d’enquête par le gouvernement polonais en exil à Londres, puis par le gouvernement de Berlin par l’entremise de sa Croix-Rouge, et enfin par le gouvernement polonais. Dans sa requête, ce dernier insiste sur le fait que Berlin veut ici faire sa propagande en attribuant à d’autres la responsabilité du crime, alors que lui ne veut que connaître la vérité. L’URSS réplique en dénonçant l’attitude du gouvernement polonais accusé de complicité avec Berlin. Quant à la Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, ils préfèrent rester silencieux. Ils doivent en effet éviter toute brouille avec leur allié communiste dans leur lutte contre le nazisme.

Genève se trouve une fois de plus au cœur d’intérêts divergents mués par des circonstances politiques et diplomatiques très particulières, et par la raison d’Etat. Par son refus d’accepter d’emblée l’enquête demandée par Berlin, le CICR prend le risque d’indisposer l’Allemagne alors qu’elle détient des milliers de prisonniers. Mais si Genève avait accepté les requêtes allemande et polonaises, l’Institution estimait qu’elle devait alors renoncer à obtenir quoi que ce soit de la part de Moscou qui détenait pourtant de très nombreux Allemands, et dont le poids politique dans la guerre allait croissant. En acceptant la requête allemande, le CICR aurait, estimait-il, été accusé de partialité par l’URSS. Néanmoins en la refusant, il l’a quand même été.

En effet, Moscou a accusé Genève d’avoir douté de son innocence en ne rejetant pas d’emblée cette idée d’enquête, par définition totalement inopportune du point de vue de l’URSS.

A l’époque, le CICR tente vainement d’entretenir des relations avec l’URSS. Celle-ci n’ayant pas ratifié la Convention de 1929 sur la protection des prisonniers de guerre, les démarches du CICR auprès de Moscou se heurtent à une fin de non recevoir. En 1939, Moscou refuse donc l’envoi d’un délégué du CICR en Union Soviétique pour s’occuper notamment des prisonniers de guerre. De même, l’URSS rejette l’idée de l’envoi d’un délégué du CICR en Pologne, alors occupée par les Soviétiques.

De plus, Moscou argue du fait que n’étant, à l’époque, en guerre ni avec l’Allemagne, ni avec la Pologne, il ne peut y avoir de prisonniers de guerre en URSS. D’ailleurs, Genève doit assez rapidement ne plus employer le terme de «prisonnier de guerre» en s’adressant à Moscou. De son côté, la Croix-Rouge soviétique n’a pas été épargnée par la terreur stalinienne. Elle a subi les conséquences des purges des années 1937-1938 et du renforcement du contrôle gouvernemental sur ses activités. De plus, elle est isolée ; elle ne collabore plus avec la Ligue de la Croix-Rouge depuis 1937.

En 1941, Moscou ayant changé de camp, le gouvernement polonais en exil à Londres conclut un accord prévoyant la libération des prisonniers polonais en Union Soviétique. Or, ceux-ci n’ont pas tous été retrouvés. En 1941, peu après l’offensive allemande en URSS, le CICR propose ses services. Mais Moscou n’a finalement pas coopéré avec Genève. Or, la même année, Roland Marti, délégué du CICR en Allemagne, informe Genève du caractère effrayant des prisonniers soviétiques arrivant en Poméranie. En effet, Berlin traite les prisonniers soviétiques encore plus durement que ceux en provenance de l’Occident.

Depuis 1940, l’Institution sait que des officiers polonais gardés dans des camps soviétiques, ont disparu. Il lui est donc facile de faire le rapprochement entre cette information et celle de la Commission de la Croix-Rouge polonaise reçue le 22 avril 1943 affirmant que les officiers retrouvés à Katyn ont été tués en mars-avril 1940 au moment de l’occupation de la Pologne par l’armée soviétique.

Genève préfère donc refuser le requête venue de Berlin dès lors que Moscou n’envisage pas de donner son accord préalable à une enquête. Pour l’Institution, cette position est sage. Elle lui permet de conserver sa neutralité indispensable pour mener à bien son action. Elle s’inspire de son expérience de 1936 et répond conformément à la ligne de conduite indiquée dès 1939. Elle se situe en outre dans la logique du droit humanitaire qui prévoit toujours l’assentiment, implicite ou explicite, des belligérants dans l’application de mesures issues du droit de Genève ou de son esprit.

La non opposition du CICR et de la Suisse à l’examen du charnier
par un expert helvétique injustement attaqué par la suite

Berlin, qui a intérêt à ce qu’une enquête aboutisse, cherche à établir une commission composée d’experts internationaux. C’est ainsi que François Naville est contacté par le consulat général allemand à Genève. Naville s’adresse alors au Département politique fédéral et au CICR pour avoir leurs avis respectifs.  Berne répond ne pas voir d’inconvénient à la participation du Genevois à cette enquête, mais ne la cautionne pas.

Pour Berne, Naville part donc à titre privé. Mais Berlin ne tiendra pas compte de cette réalité et le présentera dans son rapport comme étant un représentant de la Suisse. Quant au CICR, il ne se prononce pas sur l’opportunité de cette participation. Mais il espère qu’elle servira ses intérêts dans son action en Allemagne et dans les pays occupés.

En outre, il pense, comme Naville, que d’autres experts venus de pays neutres composeront la Commission. En effet, Berlin avait contacté d’autres experts de pays neutres, mais finalement aucun autre n’a accepté d’aller enquêter à Katyn sous une présidence allemande.

Ainsi, sur les douze experts nommés, François Naville est le seul à venir d’un Etat neutre. Tous les autres appartiennent à des pays occupés par l’Allemagne. La présence du Genevois est donc fondamentale pour la crédibilité de la Commission. Celle-ci reste du 28 au 30 avril 1943 à Katyn. Elle conclut notamment que les assassinats ont eu lieu en 1940. Elle note que tous les cadavres exhumés ont reçu une balle dans la nuque et ont les mains attachées derrière le dos. Certains ont en outre des blessures en forme de X comme en font les baïonnettes de l’armée soviétique. En affirmant que les hommes ont été tués en 1940, le rapport de la Commission internationale accuse de fait l’URSS de ces crimes monstrueux car c’est elle, et non l’Allemagne, qui occupait la région à ce moment-là.

Rentré à Genève, Naville demeure silencieux. Il déçoit l’Allemagne en refusant de témoigner à la radio. Cependant, en 1945, il doit renoncer à la présidence du Congrès français de médecine qu’en d’autre temps, il aurait logiquement pu obtenir. En 1952, il explique ce refus de parler à la radio pour ne pas servir la propagande allemande. Il a accepté d’aller à Katyn uniquement en scientifique et avec le souci de faire surgir la vérité. Mais jusqu’à la fin de sa vie, François Naville aura une obsession, sa réhabilitation.

En effet, à Genève, François Naville a dû subir les attaques des communistes et justifier sa position seul, sans le soutien du Conseil fédéral, devant le Grand Conseil de la ville de Calvin. Ayant reconquis la région de Smolensk près de Katyn en septembre 1943, les Soviétiques peuvent contre attaquer en créant leur propre commission d’enquête constituée uniquement de Soviétiques. Celle-ci date les assassinats de l’automne 1941 et accuse donc les Allemands d’en être les auteurs.

Cependant, en 1946 juste avant sa mort, le président de la Commission a reconnu avoir modifié les conclusions du rapport sur ordre de Staline. Néanmoins, la même année, à Nuremberg, les Soviétiques ont maintenu la version officielle. Naville, quant à lui, a refusé de témoigner au Tribunal international tout en affirmant maintenir la conclusion du rapport qu’il avait signé. En revanche, l’ancien membre Bulgare de la Commission internationale, Markov, a témoigné contre l’Allemagne à Nuremberg en assurant avoir agi sous la contrainte. Finalement, le crime de Katyn n’a pas été jugé à Nuremberg et l’URSS n’y a rien trouvé rien à redire. Ce qui peut être interprété comme une forme d’aveu implicite.

En 1952, un Comité du Congrès américain installé à Francfort, a demandé à François Naville de témoigner. Ce qu’il fit, à titre privé, le 26 avril après que le Département politique fédéral eut tenté de le dissuader d’aller à Francfort. La conclusion de la Commission internationale est en effet quelque peu gênante pour Berne. Dès 1943-1944, le Conseil fédéral souhaitait reprendre des relations diplomatiques avec Moscou, rompues depuis 1918.

Or, le Comité américain conclut que les assassinats ont bien été commis par le NKWD, que les responsables doivent être jugés par une cour internationale créée par les Nations Unies. Cependant, les démarches commencées devant l’Assemblée générale des Nations Unies ont  vite été stoppées.

Si François Naville a subi les conséquences de sa volonté de chercher la vérité sur le crime de Katyn en passant outre les questions de géopolitique, d’autres experts ont bien plus souffert que lui en raison de leurs origines. Mais en 1943, ils n’avaient pas eu le choix d’accepter, ou non, la requête de Berlin. Ainsi, le Napolitain Vincenzo Mario Palmieri a dû lui aussi subir de virulentes attaques de la part des communistes dont l’objectif était probablement qu’il ne divulgue pas des photographies prises à Katyn en 1943.

De même qu’il y eut une «affaire Naville» en Suisse, il y eut une «affaire Palmieri» en Italie. Quant aux Professeurs Markov de Sofia et Hajek de Prague, dans une situation beaucoup plus dangereuse, ils ont finalement jugé préférable de se rétracter. Palmieri a d’ailleurs déclaré qu’il aurait fait de même si, à l’issue de la guerre, l’Italie avait connu le même sort que la Bulgarie et la Tchécoslovaquie.

Pour le Roumain Alexandre Bircle, la situation a été bien pire. Dès 1944, il est recherché par des militaires de l’Armée rouge, mais réussit à s’enfuir. Pour échapper aux Soviétiques, il doit vivre caché. En 1946, la Roumanie organise le procès de Bircle malgré son absence. Il est condamné à 20 ans de travaux forcés pour «crime de guerre».

Les Etats-Unis et l’Angleterre refusent néanmoins d’aider Bircle, alors qu’il doit toujours vivre reclus. Finalement, il réussit à passer à l’Ouest. En 1952, année de l’enquête américaine, sa femme et sa fille sont une nouvelle fois arrêtées et condamnées à cinq ans de prison — ramenées à deux ans et demi en 1953 — pour «complicité de crime de guerre». En 1952, Alexandre Bircle est retrouvé mort après avoir témoigné devant le Congrès américain.

Il faut attendre l’arrivée au pouvoir de Gorbatchev pour que l’Agence Tass reconnaisse enfin que le NKWD était bien l’auteur du crime de Katyn. Puis, le 14 octobre 1992, Eltsine, Président de la Fédération de Russie, a rendu public des documents prouvant la culpabilité soviétique. Cependant, en 2004, le procureur général du parquet militaire de la Fédération de Russie a classé le dossier sous le prétexte du décès des auteurs. Un travail commun entre Polonais et Soviétique avait cependant permis qu’une instruction fût menée entre 1990 et 1994. Des cimetières ont ensuite été créés entre 1994 et 1996.

L’indispensable et inconfortable
rôle de l’expert en cas de guerre

Le seul fait de devoir établir l’existence d’une infraction grave, au sens où l’entend le droit de Genève de 1949, peut nécessiter une expertise fort complexe. C’est notamment le cas lorsqu’il s’agit de contrôler l’application de certaines dispositions relatives à la conduite des hostilités. Des experts peuvent ainsi être amenés à vérifier si un belligérant a, ou non, lancé une attaque en sachant qu’elle était susceptible d’engendrer des pertes excessives parmi les civils par rapport à l’avantage militaire escompté.

Les experts doivent alors comptabiliser les disparitions de civils, vérifier la réalité de la présence d’un objectif militaire au moment de l’attaque sur le lieu visé, et enfin reconstituer les circonstances exactes de l’attaque, un peu comme pour une reconstitution des faits sur une scène de crime. Les armes employées et leur degré de précision, la visibilité le jour de l’attaque, le fait qu’il y ait, ou non, eu un avertissement avant l’attaque, doivent également être étudiés. Par ailleurs, les experts sont de plus en plus amenés à procéder à des études de cadavres pour tenter de retrouver les corps de personnes disparues.

Les Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, sont depuis leur création, conduits à mandater des experts pour des enquêtes. L’enjeu est toujours très grave. Aussi, les règlements de procédure et de preuve ont-ils retenu le critère le plus élevé en prévoyant que «la culpabilité des accusés soit établie ‘au-delà de tout doute raisonnable’».

Le «doute évoqué ne doit pas résulter de considérations purement hypothétiques, mais doit trouver sa justification dans les informations (ou dans l’absence d’informations) réunies autour du cas à vérifier». Des experts peuvent être nommés pour vérifier l’état de santé mental d’un accusé afin de savoir s’il était, ou non, responsable de ses faits et gestes au moment de l’infraction, et donc s’il peut être jugé.

L’état physique d’un accusé peut aussi être étudié. Des experts ont ainsi dû décider si Milosevic pouvait se défendre lui-même. Une étude des corps assassinés a permis de démontrer, devant le Tribunal d’Arusha, l’intention des auteurs du génocide rwandais d’empêcher leurs victimes de pouvoir s’enfuir par les blessures systématiques remarquées au tendon d’Achille.

Moins épineux, mais tout de même très important pour l’application de mesures de rapatriements ou d’internements mentionnées dans la troisième Convention de 1949 protégeant les prisonniers de guerre, celle-ci prévoit — comme le Traité de 1929 — l’envoi de commissions médicales mixtes dans les camps afin de déterminer les captif pouvant être autorisés à quitter le pays ennemi. Mais l’action et les conclusions des experts doivent être respectées par les belligérants.

En effet, durant la deuxième guerre mondiale, des experts suisses visitant les camps allemands entre 1941 et 1942 ont menacé les autorités de Berlin d’arrêter leurs fonctions car elles ne respectaient pas leurs conclusions. Craignant un désistement général de la part des médecins suisses œuvrant un peu partout dans le monde, le Conseil fédéral s’est empressé de convaincre les deux Suisses à l’origine de l’affaire de reprendre leur service. En même temps, Berne rappelait à Berlin son devoir de respecter la Convention de 1929 sur les prisonniers de guerre.

De par leurs fonctions, les délégués du CICR sont amenés à être les témoins privilégiés des actes des belligérants et de leurs conséquences. En 1945, le Dr Marcel Junod est envoyé au Japon, non partie à la Convention protégeant les prisonniers de guerre. Néanmoins, au lendemain de l’attaque de Pearl Harbour, Genève offrait ses services à Tokyo qui avait accepté d’appliquer les dispositions du Traité dans la mesure où elles ne contrariaient pas ses coutumes ; le Japon ne s’engageait ainsi pas véritablement.

Or, il occupait de nombreux pays. Le chef de la délégation au Japon, le Dr Paravicini, réussit cependant à acheminer des secours aux captifs qu’il a pu rencontrer. Décédé en 1944, il est remplacé par Marcel Junod après un an de négociations puis un voyage fort long, notamment parce que Moscou a beaucoup tardé à lui délivrer un visa pour traverser le pays.

Marcel Junod arrive donc au Japon le 9 août 1945, alors que les deux bombes atomiques ont été larguées au-dessus d’Hiroshima et de Nagasaki. L’empereur s’apprête à accepter l’ultimatum des Alliés et l’installation d’une administration américaine. Le CICR a alors une priorité, le ravitaillement et l’évacuation des prisonniers alliés retenus par les Japonais en Asie.

Un délégué, Fritz Bilfinger, part néanmoins à Hiroshima afin d’évaluer la situation. Marcel Junod reçoit des photographies d’Hiroshima et de Nagasaki le même jour que le rapport très alarmant de son collègue. Puis il prend contact avec les Américains et demande l’envoi rapide de secours. Le Quartier général donne quinze tonnes de médicaments et de matériel sanitaire pour Hiroshima, à charge au CICR d’en assurer le contrôle et la distribution.

Le Dr Junod accompagne la Commission d’enquête américaine et deux médecins japonais à Hiroshima puis reste quatre jours pour visiter les hôpitaux et distribuer les secours. Au total, il n’y reste donc que cinq jours, mais son passage est toujours présent dans la mémoire des Japonais. D’ailleurs l’une des vitrines du Mémorial d’Hiroshima relate son action.

C’est dans 42 hôpitaux que Junod a apporté les quinze tonnes de secours comprenant des thérapies encore inconnues des Japonais. Il a aussi visité ce qui restait de la ville. Marcel Junod a marqué les Japonais car il était le premier étranger à leur porter secours, mais aussi parce qu’il a montré intérêt et compassion pour chacune des personnes rencontrées. Une fois rentré à Tokyo, il a indiqué par deux fois qu’il souhaitait retourner à Hiroshima, mais il n’a pas refait ce voyage.

L’on peut dès lors se demander si les Américains ne l’en ont pas dissuadé. Alors qu’il a transmis la demande des autorités de la ville dévastée de l’envoi de baraques et de vitres, il lui a été conseillé de ne rien dire car le gouvernement japonais avait assuré ne pas avoir besoin d’aide. Or, la Croix-Rouge japonaise s’est vivement étonnée de cette réponse. Cependant, Marcel Junod a préféré s’abstenir d’entreprendre une action puisque manifestement les Américains ne le souhaitaient pas. En outre, les prisonniers de guerre étaient la priorité du CICR.

Mais dès le 5 septembre 1945, l’Institution adressait une circulaire aux Etats en posant la question de la légalité de l’arme nucléaire.

Bibliographie

Katyn et la Suisse, Katyn and Switzeland, Experts et expertises médicales dans les crises humanitaires, 1920-2007, Forensic Investigators and Investigations in Humanitarian Crises, 1920-2007, D. Debons, A. Fleury, J.-F. Pitteloud, (ed.) Genève, Georg éditeur, 2009.

On peut également consulter sur Katyn et les actions du Dr Marcel Junod en Ethiopie et à Hiroshima :

Kwiatkowska Viatteau, Katyn, l’armée polonaise assassinée, Bruxelles, Complexe, 1989.
M. Junod, Le troisième combattant, Genève, CICR, 1989.

Véronique Harouel-Bureloup

Véronique Harouel-Bureloup

Véronique Harouel-Bureloup est Maître de Conférences à l’Université de Paris 8.

Véronique Harouel-Bureloup

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