La « Barack Care » adoptée : chance historique pour les Américains

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Barack ObamaLa validation constitutionnelle, jeudi 28 juin 2012, du cœur du Patient Protection and Affordable Care Act – la fameuse loi « Obama Care » -, par la Cour Suprême des Etats-Unis, marque un tournant historique pour la santé de millions d’Américains et constitue une importante victoire politique pour le Président Obama. Il s’agit cependant d’encore bien plus que cela…

 Le « bond en avant » sanitaire d’Obama

Depuis 2 ans, une véritable guerre de tranchées politico-juridique s’était  déclenchée entre démocrates et républicains, quant à l’adoption de cette loi visant à obliger chaque Américain à prendre une assurance santé, même minimale, et à imposer aux Etats d’étendre individuellement le système Medicaid, y compris aux plus démunis. Au-delà des multiples aspects techniques d’un texte législatif comportant 2700 pages, il s’agissait d’un véritable combat sur une valeur centrale pour les Américains, celle de la responsabilité individuelle. Vue d’Europe, et particulièrement de France, où le système de santé est essentiellement basé sur un principe de solidarité collective et de justice redistributive, la situation sanitaire des Etats-Unis paraissait incompréhensible. Et inacceptable.

Les technologies médicales et scientifiques de pointe présentes dans les grands hôpitaux américains côtoyaient (et côtoient encore) une misère radicale et une absence d’accès aux soins, que n’ont rien à lui envier les pays aux indices de développement humain les plus bas, commela République Démocratiquedu Congo,la Centrafrique, le Niger ou l’Afghanistan. Dans un pays où 32 millions d’Américains sont encore dépourvus de toute protection sociale, les taux de mortalité infantile (indice généralement corrélé à l’état sanitaire d’un pays) du Bronx étaient considérés, par exemple, comme équivalents à ceux de l’Ouganda… Le courage d’Obama de s’attaquer à cet enjeu, et gagner un combat politique mobilisant des valeurs ancrées puissamment dans la conscience collective américaine, est vraiment à souligner. Dans cette lutte contre l’inégalité sanitaire, aux conséquences sociétales et économiques si désastreuses, la solidarité a fini par l’emporter sur la seule responsabilité individuelle, défendue farouchement, et égoïstement, par les républicains.

Le verdict de la Cour Suprême :
l’intérêt supérieur comme sens du devoir ?

La Cour Suprêmedes Etats-Unis, composée de 9 juges, a donc tranché de justesse, ce jeudi 28 juin 2012, en faveur des démocrates (5 voix contre 4). avait donc  à répondre à plusieurs points cruciaux qui constituaient le cadre juridique mais aussi politique du Patient Protection and Affordable Care Act.

Tout d’abord, le Congrès américain avait-il le pouvoir constitutionnel d’imposer que chaque américain doive adhérer à une assurance de santé, sous peine de se voir infliger une sanction financière? A cette question sur la provision d’une « couverture santé minimale » pour chacun,la Cour Suprêmea répondu positivement. Une réponse contraire aurait en fait mutilé et fragilisé considérablement l’ambitieux projet de Barack Obama . Le deuxième point crucial était ce que devenait le texte dès lors qu’une réponse négative aurait été faite au premier point (la question ne se pose finalement – et heureusement – pas). Le troisième élément, sur lequel Barack Obama n’a obtenu qu’une réponse positive partielle, concernait l’expansion coercitive de Medicaid dans tous les Etats. En effet,la Courn’a pas autorisé une autre disposition de la loi qui aurait permis l’élargissement de la couverture médicale aux plus démunis, soit 16 millions d’américains, répondant ainsi à la demande de 26 Etats républicains. L’Etat fédéral peut donc augmenter les fonds des Etats souhaitant participer à ce programme, mais ne peut pas retirer aux Etats refusant de l’appliquer l’argent dont ils bénéficiaient déjà dans le cadre de Medicaid. Enfin, cette nouvelle loi, censée être mis en œuvre dès 2014, ne devrait pas non plus être resoumise àla Cour Suprêmepour des questions de validation constitutionnelle.

Au final, cette décision, dont le secret était un des mieux gardés de Washington, constitue pour le Président Obama une victoire politique indéniable. Victoire politique dans l’instant, à cinq mois des élections présidentielles, et qui confirme aussi bien sa ténacité que son sens de la stratégie. Mais surtout une victoire politique sur le long terme, car l’Histoire devrait retenir qu’il a été le premier Président des Etats-Unis à faire bouger aussi significativement les lignes du système sanitaire Outre-Atlantique, au bénéfice – en termes de santé publique – de plusieurs dizaines de millions de ses concitoyens.

Des leçons à prendre en Europe, et particulièrement en France…

Si nos spécialistes (médicaux et économiques) prennent la mesure de l’adoption de l’ « Obama Care » aux Etats-Unis, cela devrait les inciter peut-être à un peu plus de courage politique et de vision décentrée des seuls enjeux économiques, sur ce que représentent réellement des priorités de santé publique et le devoir de les mettre en œuvre . Alors qu’un gouvernement démocrate américain se battait pour obtenir un accès aux soins, plus équitable et moins inégalitaire, au bénéfice de sa population,  nous avons vécu ces dernières années en France, une minutieuse tentative de déconstruction libérale de notre système de santé et d’assurance maladie. Il est certes imparfait et très probablement corrigible, mais il prône (prônait ?) avant tout une éthique de solidarité où chaque citoyen, y compris les personnes sans-papiers, pouvait y avoir accès, même partiellement. La pénurie organisée des hôpitaux publics et les nouvelles formes entrepreneuriales de gestion hospitalière (financières comme en ressources humaines) ont participé à cette récente déstabilisation.

Tout en admettant que les contextes sont très différents et que le système de soins français reste encore une belle vitrine des acquis du Conseil National dela Résistance, la tendance prise ces dernières années au nom de la rigueur budgétaire va paradoxalement à l’encontre de la démarche et des perspectives du combat mené par le Président Obama.

Essentiellement économique, la « nouvelle » vision sanitaire hexagonale va surtout à l’encontre des fondations de notre modèle de société, où les principes fondamentaux de solidarité et d’équité dans l’accès aux soins sont préservés depuis bientôt 70 ans. Va-t-on savoir réagir à temps et sauver notre système de protection sociale, qualifié naguère de « meilleur système de santé au monde » ?

Une autre piste de réflexion, moins sanitaire que juridique, s’ouvre aussi pour nos institutions et tout particulièrement pour le Conseil Constitutionnel où, à la différence des Etats-Unis, siègent nos anciens Présidents dela République. Renforcédésormais dans ses pouvoirs, le Conseil Constitutionnel joue un rôle beaucoup plus actif et immédiat sur les lois adoptées par le gouvernement. Ne serait-il pas temps, comme l’a récemment suggéré Robert Badinter, de modifier la composition dudit Conseil, pour éviter la surenchère de conflits d’intérêt politiciens ? La décision favorable aux démocrates, rendue parla Cour Suprême, n’a pu l’être qu’avec la voix « pour » de son président, le juge John Roberts, pourtant nommé par G.W. Bush. Le résultat aurait-il été le même si G.W. Bush en personne avait eu la possibilité de prendre part au vote ?

Les réactions virulentes et violentes des élus républicains, et notamment de Mitt Romney qui promet d’abroger la loi le premier jour de son mandat s’il est élu, témoignent du séisme politique dont sont « victimes » aujourd’hui les opposants à cette loi. Barack Obama n’a bénéficié d’aucune chance pour expliquer sa victoire.  Dans un combat politique rempli d’écueils, il a courageusement saisi l’opportunité d’aller affronter les républicains sur un terrain idéologique que l’on croyait miné pour les démocrates. Grâce à lui, 32 millions d’américains supplémentaires vont pouvoir désormais bientôt bénéficier d’un accès (même partiel) aux soins, sans que leur vie et leur emploi ne soient plus directement menacés par une maladie ou un accident de la route sans gravité. Cette « chance » historique ne mériterait-elle pas que la loi s’appelle désormais la « Barack Care » ?!

 

Jérôme Larché

Jérôme Larché

Jérôme Larché est médecin hospitalier, Directeur délégué de Grotius et Enseignant à l’IEP de Lille.