La justice internationale et Gaza

0
64

Des crimes de guerre ont-ils été commis dans le conflit entre Israël et Gaza? Si oui, quels en sont les responsables ? Quelles sont les possibilités pour les poursuivre, quelles initiatives ont été prises dans ce sens et quelles sont leurs chances de succès ?

Tout le monde invoque le « droit international », y compris Israël qui affirme qu’il l’aurait respecté contrairement au Hamas. Que dit ce droit ? Il repose d’abord sur des traités. Certains ont été ratifiés par tous les Etats (comme les Conventions de Genève de 1949), mais ce n’est pas le cas de beaucoup d’autres, en particulier de ceux qui sont les plus pertinents à propos des événements de Gaza et sur lesquels nous revenons ci-dessous : très peu ont été ratifiés par les Etats-Unis ou Israël. Le droit repose aussi sur ce qu’on appelle le «droit coutumier»,  supposé représenter des  règles largement acceptées en théorie par les uns et les autres, même s’ils n’ont pas ratifié certains traités ou si leur pratique peut être différente.

Cette notion est cependant vague et une étude menée en 2006 par le CICR, Comité international de la Croix-Rouge, ne permet guère de conclure dans les cas en particulier des bombardements causant de graves pertes civiles : il est largement admis, y compris par les Etats-Unis et Israël dans leurs déclarations officielles, que ceux menés  « intentionnellement » contre des civils «en tant que tels» sont des crimes de guerre, mais dans quelle mesure est-ce le cas des bombardements causent de graves pertes civiles, menés parce qu’une présence ennemie est suspectée, à tort ou à raison, au sein de la population civile, ou menés contre des infrastructures civiles (bâtiments administratifs, moyens de communication, production d’électricité,…) dont la destruction est supposée affaiblir l’adversaire ?

Les principaux éléments pertinents des traités, à propos en particulier des bombardements causant des pertes civiles et des armes, sont rappelés en section 1, les cas d’Israël et du Hamas sont discutés de manière plus détaillée en section 2, et les éléments de réponse sur la justice internationale sont donnés en section 3.

1.    Droit international : Protocole I de 1977, traités sur les armes et Cour pénale internationale

Bombardements causant des pertes civiles
1899, 1907 : les Conventions de La Haye interdisent entre autres « d’attaquer ou bombarder des villes, villages, bâtiments ou habitations non défendus ». Leurs dispositions sont largement considérées comme faisant partie aujourd’hui du droit coutumier et devant ainsi être appliquées par tous. Cependant, cent ans plus tard, le Statut de la CPI, Cour pénale internationale a modifié le texte précédent d’une manière ambiguë.

1977 : le Protocole additionnel I aux Conventions de Genève, avancée majeure pour la protection des populations civiles contre les effets des hostilités sous l’égide du CICR, définit entre autres de nouvelles « infractions graves », aussi qualifiées de crimes de guerre, s’ajoutant à celles des Conventions de Genève de 1949 et auxquelles est étendu la « compétence universelle » des juridictions nationales (voir section 3). Il a été ratifié par 167 pays, mais pas par les Etats-Unis ou Israël et avec des réserves importantes par les cinq grands pays européens occidentaux (dont la France). Y sont en particulier des infractions graves :

– le fait de «soumettre la population civile ou des personnes civiles à une attaque». Le Protocole précise que la présence éventuelle de non civils isolés «ne prive pas la population de sa qualité civile»
– les attaques indiscriminées (pouvant atteindre à la fois des objectifs civils et militaires) menées en sachant qu’elles vont causer des pertes civiles «excessives par rapport à l’avantage militaire direct et concret attendu».

En laissant de côté ici pour simplifier les statuts des tribunaux internationaux créés par le Conseil de sécurité des Nations Unies, qui n’ont que très partiellement repris les dispositions citées plus haut, mous en arrivons ensuite à :

1998 : création de la CPI, Cour pénale internationale, résultant d’un accord entre certains Etats et dont le Statut a été ratifié à ce jour par 108 pays (il ne s’agit donc pas à ce jour d’une vraie cour internationale). Les articles de La Haye et du Protocole de 1977 y sont repris mais avec des changements non négligeables. Y sont ainsi des crimes de guerre ;

– «le fait de diriger intentionnellement des attaques délibérées contre la population civile en tant que telle…» ; la précision du Protocole sur la présence éventuelle de non civils isolés n’est pas reprise
– les attaques indiscriminées menés en sachant qu’elles vont causer des pertes civiles  « qui seraient manifestement excessives par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire… « .
– «les attaques ou bombardements de villes, villages, bâtiments ou habitations qui ne sont pas défendus et ne sont pas des objectifs militaires». Si on peut comprendre cet ajout s’agissant de bâtiments non défendus mais voués à un usage militaire, il n’en est pas moins ambigu. Les objectifs militaires sont ceux dont la destruction apporte, en anglais, «a definite military advantage» : ce qui peut signifier soit un avantage militaire précis (version officielle française du Protocole de 1977), soit un avantage «certain», ce qui est par exemple le sens donné par Israël et qui ouvre la voie à diverses interprétations (voir section 2).

Par ailleurs, les Etats puissants, y compris Israël, cherchent à justifier leurs bombardements en accusant les mouvements de résistance de se cacher au sein de la population. Le fait d’utiliser la présence de civils pour se protéger est effectivement une infraction, mais non une infraction grave, selon le Protocole. C’est un crime de guerre selon la CPI. Cependant, le fait de vivre et se battre en ville ne signifie pas a priori utiliser les civils pour se protéger. Par ailleurs, même si tel est le cas, un principe fondamental du droit humanitaire, selon le Protocole de 1977, est que les infractions éventuelles des uns n’autorisent pas des crimes de guerre en retour. Principe, il est vrai, rejeté par certains pays, par exemple par la Grande-Bretagne lors de sa ratification du Protocole de 1977.

Armes

Les Conventions de La Haye énoncent le principe d’interdiction des armes « de nature à causer des maux superflus » et interdisent explicitement les armes empoisonnées, certains types de balles et en partie les gaz asphyxiants, totalement interdits par la suite dans un Protocole de Genève de 1925. De nouvelles conventions, ratifiées par une grande majorité des pays, ont ensuite interdit les armes biologiques (1972) et chimiques (1993 ; cette dernière convention n’a pas été ratifiée par Israël, elle l’a été par les Etats-Unis qui en font cependant une interprétation particulière).

Une convention de 1980 sur les armes classiques, ratifiée par une centaine de pays (dont Israël avec des réserves) énonce le principe général d’interdiction ou de limitation d’armes «produisant des effets traumatiques excessifs ou frappant sans discrimination» : des protocoles associés interdisent ou limitent en particulier les « mines, pièges et autres dispositifs » et les armes incendiaires (les armes pouvant avoir des effets incendiaires  « fortuits » y restent cependant autorisées). Une convention de 1997, ratifiée par 156 pays, interdit totalement les mines antipersonnel, une autre en mai 2008, les bombes à sous munitions (91 signatures préliminaires et 4 ratifications à ce jour). Elles n’ont pas été ratifiées (ou signées) par les Etats-Unis ou Israël.

Les seules armes à ce jour dont l’emploi est un crime de guerre selon la CPI sont essentiellement celles déjà interdites à La Haye : armes empoisonnées, certains types de balles, gaz asphyxiants, toxiques ou similaires. Le Statut mentionne aussi «le fait d’employer des armes et méthodes de guerre de nature à causer des maux superflus ou des souffrances inutiles, ou à frapper sans discrimination, à condition que ces armes et méthodes de guerre fassent l’objet d’une interdiction générale et qu’ils soient inscrits dans une annexe au présent Statut, par voie d’amendement…».

Il n’y a pas eu de tel amendement à ce jour. En réponse aux organisations humanitaires, le Procureur a rappelé que, par exemple, les bombes à sous munitions ne font pas partie à ce jour des armes dont l’utilisation est un crime de guerre selon la CPI. En vue de la procédure de révision du Statut prévue en 2009 (et qui devrait avoir lieu en 2010), la Belgique a proposé en février 2009 un amendement destiné à ajouter toutes les armes faisant l’objet des différents traités mentionnés ci-dessus à celles dont l’emploi serait un crime de guerre. Elle est pour l’instant la seule.

De manière générale, certains juristes considèrent que les principes généraux énoncés dans les traités sont suffisants pour entrainer de facto l’interdiction d’un grand nombre d’armes. Pour d’autres, elles doivent pour cela faire l’objet d’une interdiction explicite.

Autres crimes de guerre

Mentionnons en particulier «le fait d’affamer des civils, en les privant de biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l’envoi de secours…». Cette règle fait partie des crimes de guerre définis par la CPI. Elle était déjà contenue dans des traités antérieurs, par exemple était une infraction (mais non une infraction grave) selon le Protocole de 1977 et elle fait partie du droit coutumier selon l’étude du CICR. Elle peut s’appliquer au blocus imposé à Gaza déjà avant les événements de janvier 2009, et aux limitations apportées aux secours pendant ces événements, ce que conteste bien entendu Israël.

2.    Les cas d’Israël et du Hamas

Le cas d’Israël

Il convient de distinguer :

i) les attaques «délibérées» contre des civils «en tant que tels» : de tels actes ont probablement eu lieu. Ils sont cependant contraires à la politique officielle d’Israël, même s’ils peuvent le cas échéant être encouragés ou tolérés, et il s’agit de crimes de guerre selon les différents traités ou le droit coutumier. Si on peut prouver que de tels actes ont eu lieu alors qu’il était certain qu’il n’y avait aucune présence militaire ennemie, et si la pression internationale est suffisante, quelques exécutants seront peut-être poursuivis par la justice israélienne elle-même (comme l’ont été des soldats US pour de tels crimes en Indochine ou en Irak, quitte à être rapidement libérés par la suite).

ii) le problème de fond est cependant différent : c’est celui, mentionné au début de cet article, des bombardements causant de graves pertes civiles, menés parce qu’une présence ennemie plus ou moins importante est suspectée au sein de la population, ou contre des infrastructures civiles. C’est le cas selon Israël de l’ensemble de ses attaques.

S’agit-il de crimes de guerre ? Oui dans la plupart des cas selon les articles cités du Protocole de 1977, et les premiers responsables en sont les dirigeants du pays, s’agissant de méthodes systématiques et délibérées. La réponse est plus ambiguë selon la CPI et il appartiendrait en tout état de cause aux juges de décider ce qui est ou non un objectif militaire et si les pertes civiles sont ou non «manifestement» excessives par rapport à l’ »ensemble » de l’avantage militaire attendu. Les changements apportés aux articles du Protocole et de La Haye ouvrent cependant la voie à des interprétations proches des thèses d’Israël et des Etats-Unis.

Lors de son rejet des demandes d’examen des crimes commis par la Grande-Bretagne en Irak (bombardements causant des pertes civiles en particulier), le Procureur de la Cour a ainsi déclaré en février 2006 : «…le Statut de la Cour se fonde sur les principes du Protocole, mais restreint l’interdiction pénale à des cas qui sont manifestement excessifs… » », et il conclut à l’absence «d’attaques manifestement excessives». La mention d’ensemble de l’avantage militaire introduite par la CPI n’est pas non plus innocente. Elle tend à indiquer qu’il faudrait évaluer l’avantage attendu au-delà de l’avantage précis attendu de l’attaque, et peut aussi conduire à des interprétations analogues aux réserves déjà effectuées par les grands pays européens occidentaux lors de leur ratification du Protocole de 1977 : pour eux, il devait s’agir de l’avantage attendu de l’ensemble de l’attaque «et non de ses parties isolées ou particulières» : voir par exemple réserve 10 de la France, donnant ainsi au mot attaque le sens d’un ensemble d’opérations plus ou moins important. Selon les Etats puissants, en particulier Israël, les pertes civiles, certes regrettables, ne sont jamais manifestement excessives par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire qui est de détruire rapidement l’adversaire.

L’emploi de certaines armes par Israël est largement considéré comme un crime de guerre. Cependant, comme nous l’avons vu, il ne s’agit pas de crime de guerre selon la CPI dans l’état actuel, les traités pertinents sur les armes n’ont pas été ratifiés par tous les Etats, et ce que dit le droit coutumier n’est pas clair. Nous avons par ailleurs mentionné à la fin de la section 1 le problème posé par le blocus de Gaza ou les difficultés apportées à l’envoi de secours qui sont a priori des crimes de guerre, y compris selon la CPI.

Le cas du Hamas

Les envois de roquettes par le Hamas vers  Israël peuvent être considérés comme des crimes de guerre selon le Protocole de 1977, le Statut de la CPI ou le droit coutumier, dès lors qu’ils ont volontairement visé des zones civiles. Ceci, même s’ils n’ont été effectués qu’en réaction aux actes sans commune mesure commis par Israël, y compris le blocus de Gaza (voir section 1) et les bombardements israéliens ayant causé de graves pertes civiles, et si le but n’était pas de tuer des civils (très peu l’ont été) mais de tenter de stopper les crimes d’Israël dans le cadre d’une guerre asymétrique où le moyens militaires sont sans proportion.

Les dirigeants du Hamas pourraient cependant argumenter, en se référant au Statut de la CPI, qu’ils n’ont pas visé délibérément des civils et ont envoyé des roquettes au hasard pour tenter de faire pression sur Israël.

Si par ailleurs ils ont volontairement, dans tel ou tel cas, utilisé les civils pour tenter d’ »éviter que certains points, zones ou forces militaires ne soient la cible d’opérations militaires », par exemple en effectuant des tirs de roquettes à partir d’hôpitaux, d’écoles… comme les en accuse Israël, il s’agirait aussi de crimes de guerre selon le Statut de la CPI.

En tout état de cause, il apparaît difficile de dénoncer les actions du Hamas dès lors que les Etats puissants, tel Israël, ne respectent pas le minimum d’équilibre qui avait été instauré par le Protocole en imposant des contraintes fortes à leurs actions en particulier dans le domaine des bombardements.

3. La justice internationale et Gaza

Les Nations Unies

Le Conseil de sécurité est l’organe ayant selon la Charte le pouvoir de juger s’il y a agression ou menace contre la paix internationale et de décider de sanctions, y compris militaires, contre certains pays. Il a aussi récemment instauré des tribunaux spéciaux (ex-Yougoslavie et Rwanda) qu’il a jugés nécessaires pour rétablir la paix internationale, et il peut par ailleurs demander à la CPI d’intervenir (cas du Darfour). Les USA y ont droit de veto, qu’ils appliquent pour protéger Israël. Ils ne sont pas isolés : même si d’autres membres permanents du Conseil (Grande-Bretagne, France) ont des positions plus nuancées, ils ne sont pas disposés à prendre des sanctions contre Israël (et ne le font pas dans leurs relations bilatérales).

L’Assemblée Générale des Etats membres de l’ONU n’a pas de pouvoir, selon la Charte, autre que de faire (par ses résolutions) des recommandations au Conseil, s’il ne s’est pas déjà saisi d’une question, ou aux Etats membres. Une résolution (Résolution 337) de cette Assemblée de 1950 indique par ailleurs qu’en cas d’empêchement du Conseil, elle peut recommander directement des actions aux Etats membres : elle était destinée à l’époque à contourner le cas échéant l’opposition de l’Union soviétique (membre permanent avec droit de veto) à la guerre de Corée décidée par le Conseil en son absence. Que fera l’Assemblée Générale à propos de Gaza ? Certains ont évoqué le recours à la résolution 337 en considérant qu’il y a «empêchement» du Conseil suite au veto systématique des Etats-Unis. Il semble cependant difficile d’espérer des résultats : il n’y a pas réellement  « empêchement » du Conseil, au sein duquel les Etats-Unis sont loin d’être totalement isolés comme nous l’avons rappelé.

Cour pénale internationale

Le Procureur peut intervenir sur demande d’un Etat partie au Statut ou du Conseil de sécurité, et il peut aussi intervenir de sa propre initiative si au moins un des Etats concernés (qui peut être l’Etat victime) a ratifié son Statut ou déclare accepter sa compétence (il aurait ainsi pu, ou pourrait, intervenir à propos des crimes de la Grande-Bretagne, qui a ratifié le Statut, en Irak, ou de ceux des Etats-Unis en Afghanistan : ce dernier pays a aussi ratifié le Statut). Israël n’a fait ni l’un ni l’autre. Gaza n’est pas a priori un Etat reconnu pouvant intervenir et une demande du Conseil est improbable. Cependant l’Autorité palestinienne a déclaré officiellement accepter la juridiction de la Cour.

Le Procureur pourrait ainsi intervenir si cette Autorité est reconnue au même titre qu’un Etat, dont de plus l’autorité s’appliquerait à Gaza. Elle n’est cependant pas un Etat, ce qui a priori rend difficile la prise en compte de son acceptation de la juridiction de la Cour, tout en étant cependant une institution reconnue internationalement. L’Autorité palestinienne avait fait, en 1989, une démarche voisine auprès du CICR, en souhaitant ratifier les Conventions et Protocoles de Genève, ce que le CICR n’avait pas accepté.

Un groupe d’organisations sous la direction de l’avocat Gilles Devers a déposé plainte auprès du Procureur à propos des crimes commis par Israël. Le Procureur examinerait en ce moment si la déclaration de l’Autorité palestinienne peut être prise en compte. Gilles Devers mentionne par ailleurs la double nationalité de certains responsables israéliens : si par exemple l’un d’eux a la nationalité française, le Procureur pourrait agir de sa propre initiative à son encontre, la France ayant ratifié le Statut.

Dans tous les cas, le Procureur devrait estimer satisfaites les conditions suivantes : crimes de guerre selon les définitions de la CPI (dont nous avons vu l’ambigüité), parmi «les plus graves» commis dans le monde (ce que peut contester le Procureur, comme il l’a fait dans le passé à propos des crimes de la Grande-Bretagne en Irak), absence de poursuites par Israël ou d’autres juridictions nationales («principe de complémentarité»).

Si la CPI intervient malgré tout, ce qui est a priori peu probable, que peut-on attendre ? Il semble peu probable que les dirigeants israéliens soient poursuivis : ceci en particulier pour les raisons liées à l’ambigüité des définitions des crimes de guerre de la CPI. Un scénario vraisemblable pourrait être le suivant : la justice israélienne elle-même poursuivrait un petit nombre d’exécutants à la demande de la Cour dans des cas trop flagrants.

Reste le cas du Hamas : par «souci d’équilibre» et suite à l’influence des pays occidentaux, on voit mal le Procureur l’ «oublier» : leurs dirigeants pourraient être poursuivis, comme le souhaitent certaines organisations israéliennes, pour  l’envoi de roquettes vers des zones civiles.

C’est un tel scénario que craignait peut-être en 2006 le Hezbollah, très réticent lui-même envers toute intervention de la CPI qu’il considère liée aux pays occidentaux. Selon Gilles Devers, les dirigeants du Hamas ne craindraient pas un tel scénario et soutiennent officieusement son initiative : contrairement à ceux du Hezbollah en 2006, ils n’auraient pas officiellement revendiqué l’envoi des roquettes et ne pourraient donc pas être poursuivis…argument un peu surprenant.

Plaintes selon le principe de compétence universelle du Protocole de 1977

Ce principe est énoncé dans les Conventions de Genève de 1949 pour des crimes tels que torture, traitements inhumains ou détentions illégales, puis est étendu dans le Protocole de 1977 aux infractions graves rappelées plus haut. Chaque Etat l’ayant ratifié a en principe l’obligation de poursuivre les responsables de telles infractions devant ses propres juridictions nationales (ou de les remettre à une autre juridiction adéquate), ceci quelle que soit leur nationalité ou le lieu où les actes ont été commis.

Les Etats qui ont ratifié le Protocole devraient ainsi poursuivre les dirigeants d’Israël devant leurs juridictions nationales…Mais, contrairement à leur obligation, peu d’Etats ont inclus la compétence universelle dans leurs lois ou l’ont fait sous des conditions restrictives (présence plus ou moins longue du suspect dans le pays, décision de poursuivre ou non dans les mains du ministère public…). Les grands pays européens occidentaux ont ratifié le Protocole avec des réserves qui le vident déjà largement de son contenu dans ce domaine…

Par ailleurs, les chefs d’Etat et membres de gouvernements bénéficieraient d’ «immunités coutumières» dans les autres pays pendant leurs fonctions, voire selon un arrêt de la Cour internationale de justice des Nations Unies même après la fin de leurs fonctions, pour leurs actes officiels, dans le cas  des chefs d’Etat ou ministres des Affaires étrangères (ils ne sauraient selon cet arrêt être poursuivis que dans leur propre pays ou devant un tribunal « international »). Il a été souligné à ce propos par certains juristes que crimes contre l’humanité ou crimes de guerre ne font probablement pas partie d’actes officiels normaux de chefs d’Etat, mais l’immunité mentionnée ci-dessus reste admise par les Etats à ce jour.

Les plaintes déposées contre le général US Franks pour crimes de guerre en Irak ou pour torture contre Donald Rumsfeld et autres responsables US, en Belgique, France ou Allemagne ont été rejetées. En Belgique, la loi a été modifiée sous la pression des Etats-Unis. Cependant, déjà pour des crimes passés, certains responsables israéliens hésitent par «principe de précaution» à se rendre dans certains pays, y compris pays européens occidentaux, même s’ils ne risquent pas grand-chose, dès lors que des procédures sont ou peuvent être engagées contre eux.

L’application éventuelle, même limitée, de la compétence universelle peut ainsi faire peser une pression à la fois morale et pratique sur eux et il est probable que certaines procédures seront le cas échéant à nouveau engagées, même avec des chances de succès limitées, contre certains responsables israéliens en liaison avec Gaza.

Tribunal Russell pour la Palestine

Mentionnons pour terminer le lancement début mars 2009 du Tribunal Russell pour la Palestine, tribunal non officiel. Le Tribunal Russell pour l’Indochine avait eu à son temps un très grand retentissement auprès de l’opinion publique internationale. Des «tribunaux des peuples» plus récents, par exemple à propos de l’Irak, ont joué un rôle utile pour souligner l’ensemble des crimes commis par les Etats-Unis, sans toutefois avoir le même écho auprès de l’opinion.

Un autre tribunal d’opinion devrait se tenir en mai 2009 à propos du cas de l’agent orange au Vietnam dans les années 1960-70, dont les effets se font encore sentir aujourd’hui, en liaison avec le procès en appel qui devrait avoir lieu aux Etats-Unis en 2009 suite aux plaintes des victimes vietnamiennes. Il est difficile de savoir à l’avance l’écho que peuvent avoir ces tribunaux, qui jouent cependant de toute façon un rôle utile.

Les chances de voir une vraie justice internationale s’appliquer apparaissent assez faibles. On peut espérer un petit nombre de poursuites d’exécutants et une application limitée de la compétence universelle faisant peser une pression morale sur certains responsables israéliens et les empêchant le cas échéant, par principe de précaution, de se rendre dans certains pays. Pour une vraie justice visant les dirigeants, il faudra probablement attendre. De nombreux combats des uns et des autres, avec l’appui de l’opinion publique, seront probablement nécessaires.

Daniel Lagot

Daniel Lagot

Daniel Lagot, président de l’ADIF, Association pour la défense du droit international humanitaire, France