La CPI et le Soudan : quelques remarques…

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L’ampleur des crimes commis au Darfour , en particulier de 2003 à 2005, est bien connue et on aimerait donc se réjouir sans réserve de l’intervention de la CPI, Cour pénale internationale, qui agit en Afrique de manière générale non pas contre, mais pour les Africains, et on aimerait être d’accord avec l’expression, rapportée par Simon Foreman, président de la Coalition française pour la CPI, désignant les chefs d’Etat arabes et africains qui ont décidé de ne pas coopérer à l’arrestation du chef d’Etat du Soudan comme un «syndicat du crime».

Ceci d’autant plus qu’un de leurs arguments, à savoir l’immunité des chefs d’Etat selon le droit coutumier, n’est guère défendable : leur immunité dans les autres pays est une règle «coutumière» généralement acceptée, mais elle est contestable  dans le cas de crimes de guerre ou contre l’humanité, et la CIJ, Cour internationale de justice des Nations unies, a confirmé, dans un avis consultatif de 2002 qu’ils  peuvent être poursuivis devant un tribunal international : la CPI peut être considérée comme telle si elle agit sur demande du Conseil de sécurité, instance internationale.

Pourtant, on est en droit de ressentir un réel malaise dû  au fait que la justice est à ce jour une justice unilatérale et que se pose  la question de la légitimité morale d’un Conseil dont plusieurs membres permanents avec droit de veto sont responsables de certains des crimes de guerre les plus graves, restés impunis, de 1945 à nos jours. Le chef d’Etat soudanais a beau jeu de demander «où était la justice internationale durant l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan, le bombardement de Gaza et les crimes commis dans les prisons de Guantanamo et d’Abu Ghraib ?».

Cela ne justifie en rien les crimes commis au Darfour mais, pour être  juste, la justice doit être égale envers tous et ses règles doivent être claires et les mêmes pour tous. Qu’attend le Conseil pour demander à la Cour de poursuivre les dirigeants des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, d’Israël ou d’autres, qui à bien des égards sont un «syndicat du crime» bien  plus important, si on tient à employer cette expression ? Même en l’absence de demande du Conseil, le procureur aurait pu agir à propos des crimes de la Grande-Bretagne (Etat partie) et même de ceux des Etats-Unis (dans la mesure où il s’agissait d’une entreprise conjointe avec la Grande-Bretagne) en Irak, ou des crimes de ces deux pays en Afghanistan (Etat partie).

Pour l’Irak, il a écarté le cas des Etats-Unis (qui était discutable sur le plan juridique) et, pour la Grande-Bretagne, il s’est appuyé sur le fait que les crimes étaient moins graves que ceux des Etats-Unis… Il a aussi noté que le Statut de la Cour, rédigé sous l’influence occidentale (y compris des Etats-Unis), en recul par rapport au Protocole I de 1977 additionnel aux Conventions de Genève à propos des bombardements et des armes, permet difficilement des poursuites dans ce domaine sauf à prouver qu’il s’agissait d’attaques contre des civils en tant que tels… : Mais, si les massacres à terre, les viols, les enrôlements d’enfants, sont des crimes très graves, les bombardements causant de graves pertes civiles sont-ils plus acceptables ?

Il a aussi noté que la justice britannique a poursuivi quelques soldats pour assassinats de civils en Irak, argument pour ne pas poursuivre de plus hauts responsables, sur la base du principe de «complémentarité» de la Cour avec les juridictions nationales. Dans le cas du Darfour, les autorités soudanaises ont aussi  indiqué que leur  justice a procédé  à des poursuites, suivies de condamnations parfois lourdes.

Le Procureur a estimé  dans ce cas que les résultats n’étaient pas adéquats. Il n’a peut-être pas tort, mais le fait est qu’on ne risque rien si on est un Etat puissant, en particulier occidental (ou si on est l’ami d’un tel Etat) et qu’on risque tout au contraire si on n’a pas l’heur de plaire. Le Soudan a ratifié en 2006 les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève et les crimes ont diminué depuis. Les Etats-Unis ne les ont toujours pas ratifiés et leurs crimes continuent et restent impunis.

Daniel Lagot

Daniel Lagot

Daniel Lagot, président de l’ADIF, Association pour la défense du droit international humanitaire, France