Rencontre avec Noemie Muñoz, Responsable du service Sécurité chez Handicap International
Geneviève Sababadichetty : Quand on parle de sécurité chez Handicap International, de combien de personnes s’agit-il ? Combien d’expatriés ? Combien de nationaux ?
Noemi Muñoz : Handicap International œuvre dans plus de 55 pays et compte environ 3000 employés nationaux et 300 expatriés sur le terrain.
Chez Handicap International, la responsabilité en matière de sécurité incombe aux responsables de programme. Le service de sécurité a pour mandat d’apporter un soutien méthodologique aux programmes afin de mener à bien nos activités en réduisant le plus possible les risques pour nos équipes.
Pour cela, les membres de l’équipe développent les outils et méthodologies à utiliser et font, entre autres, des visites d’évaluation, de renforcement des capacités ou de formation.
GS : Combien de jours par an êtes-vous sur le terrain ?
NM : En ce qui me concerne, en tant que responsable de Service, je passe entre 50 et 60 jours sur le terrain. Pour le référent technique de Sécurité, cela avoisine les 75 jours. Outre les membres permanents du service, Handicap International fait parfois appel à des experts en sécurité indépendants pour réaliser ces visites d’appui afin de renforcer les systèmes de sécurité existants.
GS : La question sécuritaire se pose-t-elle de la même manière pour les expatriés et les nationaux ?
NM : Chez Handicap International, nous accordons la même importance à la sécurité de nos personnels nationaux comme internationaux, et nous adoptons les mesures nécessaires en fonction de l’exposition au risque de chaque type de population.
Cependant, de manière générale, il est vrai que pendant un certain temps l’accent était mis sur la sécurité des expatriés, priorité certainement fondée sur la fausse croyance que le personnel national bénéficiait de plus de ressources pour faire face aux risques en raison de sa connaissance du contexte dans lequel s’inscrivait l’activité. Aujourd’hui, je crois que cette idée n’existe plus. D’ailleurs, je pense que c’est un préalable erroné (il suffit de voir les statistiques pour se rendre compte que le personnel national est également victime d’incidents de sécurité).
Chaque « type » de population présente des caractéristiques spécifiques qui font que son niveau d’exposition au risque est différent et doit donc être traité de manière différenciée. En d’autres termes, la possible différence de mesures doit se baser sur le niveau d’exposition au risque de chaque personne, que ce soit du fait de son genre, âge, nationalité ou de ses fonctions au sein de l’équipe (pour ne citer que quelques critères). Évidemment, le critère de « national » ou « expatrié » n’est qu’un critère de plus à prendre en compte au moment de faire cette différenciation qui n’est d’ailleurs pas toujours pertinente.
Enfin, nous ne pouvons oublier que dans la plupart des cas, les deux types de personnel encourent le même type et le même niveau de risque. C’est notamment le cas dans les situations où l’objectif éventuel des attaques ne vise pas spécifiquement un groupe de population (par exemple, le risque d’être victime d’un attentat qui vise la population civile en général sera le même pour les deux types de population pour peu qu’elles fréquentent les mêmes lieux).
GS : Comment se répartissent les incidents/accidents entre les « expats » et les nationaux ?
NM : Handicap International n’a pas été impliqué dans beaucoup d’incidents de sécurité ayant affectés directement l’intégrité de ses employés et collaborateurs. L’analyse de ces incidents n’est pas concluante pour démontrer une corrélation entre le type d’incident vécu et le « type » de personnel.
Actuellement, les incidents les plus fréquents chez HI sont les accidents de la route, avec divers niveaux de conséquences. Dans ces cas-là, ce sont les personnels nationaux les plus affectés. Cependant je ne pense pas qu’il soit possible d’en tirer des conclusions puisque ce type d’accident est aléatoire, et il est normal qu’en termes de chiffres absolus, il y ait plus de personnels nationaux affectés, sachant qu’ils sont plus nombreux que les expatriés.
GS : Quelle expérience avez-vous du remote control ? Cette pratique (le remote control) fait débat, car pour certains ce serait un transfert de risques des expatriés vers les nationaux… Qu’en pensez-vous ?
NM : Pour pouvoir répondre, il est nécessaire de définir en amont ce à quoi nous faisons référence en parlant de remote control.
S’il s’agit de travailler dans des zones sans présence permanente des expatriés, alors dans ce cas, Handicap International travaille en « remote control » principalement dans des zones où un haut niveau de risque d’enlèvement d’expatriés a été détecté (généralement associé à un risque pour la vie des personnels nationaux qui les accompagnent), comme c’est le cas dans certaines zones de l’Afghanistan, du Pakistan, du Liban, de l’Irak, du Mali, du Niger et d’autres pays.
D’après moi, les risques encourus par les différents « types » de personnels doivent être analysés conjointement aux mesures de réduction de ces derniers.
Si le niveau de risque est accepté par l’organisation et par les individus, une intervention est possible. Dans ce cas, je ne pense pas qu’il y ait un transfert du risque puisqu’il s’agit de faire en sorte qu’un risque existant pour l’un « passe » à l’autre.
En fait, je pense que dans certains cas et contextes, la présence des expatriés augmente le risque pour l’intégrité physique des équipes nationales, mais en soi le risque ne se transfère pas.
Par exemple, dans certains contextes, les expatriés sont une cible claire d’enlèvement. L’absence de présence d’un expatrié n’impliquera pas un transfert de ce risque au personnel national. Cependant, la présence d’un expatrié entraînera l’augmentation du risque d’être agressé physiquement, blessé ou tué pour le personnel national qui l’accompagne.
GS : Comment a évolué votre travail ces dernières années par rapport aux nouveaux contextes dans lesquels se retrouvent les humanitaires (multiplication d’acteurs sur le terrain, conflits de nature plus complexe…) ?
NM : Aujourd’hui, nous assistons à une variété de conflits (Ukraine, Moyen-Orient, Libye, pour n’en citer que quelques-uns), qui se caractérisent par une multiplicité d’acteurs locaux, nationaux, régionaux et internationaux dont les structures de commandement et les intérêts peuvent être très changeants, ce qui complique l’analyse et la possible « menace » que peut représenter pour eux la présence de l’aide humanitaire. Et donc l’analyse des risques est plus complexe.
De plus, à l’heure actuelle, les différents acteurs ont établi des réseaux de contact et de soutien au-delà des limites territoriales des États. Cela favorise l’augmentation de la capacité d’armement, d’argent pour la guerre, et une coordination globale entre eux qui permet d’établir des stratégies de « combat » globales/mondiales. N’importe quel incident ou action qui se passe aujourd’hui au Mali peut avoir des conséquences dans d’autres latitudes très éloignées.
D’où la nécessité d’affiner notre analyse à chaque niveau (local, national, régional, international) afin de pouvoir travailler dans les zones où cela est nécessaire. Le suivi de ces changements, son analyse et l’identification des éventuels risques constituent le travail quotidien de nos équipes.
GS : Protection, dissuasion et acceptance sont les trois pivots des procédures de sécurité. Il semblerait cependant que la notion d’acceptance soit de plus en plus mise en avant…
NM : De mon point de vue, l’acceptance a toujours été, dans la plupart des cas, la meilleure stratégie pour réduire les risques quand ceux-ci découlent de la volonté humaine, bien qu’il ne soit pas toujours possible de l’atteindre lorsqu’il s’agit de criminalité de droit commun.
Actuellement, la plupart des contextes dans lesquels nous intervenons sont soumis aux risques créés par la volonté humaine et liés à un conflit. Il est donc nécessaire que ses acteurs (à l’origine du risque) soient au courant de nos activités, qu’ils comprennent que notre but est de soutenir les populations qui en ont besoin, et qu’en aucun cas, nous n’entrerons dans des débats politiques.
Notre intervention se fonde sur l’existence au sein de la population de besoins primaires non couverts. Le fait qu’il y ait une prolifération de groupes, pas toujours structurés et hiérarchisés en interne, implique que nous devions établir cette acceptation à divers niveaux et cela demande du temps et un [réel] engagement.
Dans tous les cas, il faut chercher un équilibre entre les mesures que nous mettons en place sans oublier que notre objectif est de pouvoir assister les plus vulnérables, tout en réduisant le risque pour nos équipes, partenaires et bénéficiaires.