« Cochon de Gaza »: le cochon était une colombe

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Si le conflit israélo-palestinien fait partie de ces « brûlants sujets d’actu », comme on dit, et typiquement de ces sujets dont on peut faire le point de départ d’un « film engagé », il peut aussi, parfois, donner lieu à des histoires débarrassées de cet aspect souvent gênant du « film à message ». C’est le cas du Cochon de Gaza, auquel son réalisateur, Sylvain Estibal, imprime la marque de l’absurde et du burlesque pour tracer une fable humaniste.

Une fois n’est pas coutume, le conflit israélo-palestinien fait donc l’objet d’une fable pétrie d’humanisme. Sorti sur les écrans français le 21 septembre 2011, Le Cochon de Gaza s’attaque à ce sujet difficile sous un angle novateur… et qui fait sens ! Sylvain Estibal, son réalisateur, a fait vibrer la fibre humaniste en lui pour ce premier long-métrage. Ecrivain et journaliste, il est installé à Montevideo, où il travaille pour le siège Amérique latine de l’Agence France Presse (AFP).

Journaliste, photographe, réalisateur… Sylvain Estibal est très éclectique. Enthousiasmé par une rencontre avec Théodore Monod, il a publié en 1997 des entretiens avec l’explorateur chez Actes Sud sous le titre Terre et Ciel.  Son premier roman, Le Dernier Vol de Lancaster (Actes Sud, 2003), qui se situe dans le désert, son espace de prédilection, a été adapté au cinéma en 2009 par Karim Dridi (Le Dernier Vol, avec Marion Cotillard et Guillaume Canet). S’il avoue ne pas trop aimer cette adaptation, elle lui a toutefois donné envie de devenir réalisateur.

Son parcours multiple laisse deviner une sensibilité à l’humain sous le politique, intuition confirmée par son Cochon de Gaza qui, s’il peut par moments revêtir un aspect naïf, a la saveur et l’intelligence de l’utopie, le goût de la parabole qui sied au conte. Humaniste et burlesque, le film tourne autour de Jafaar, pauvre pêcheur palestinien qui remonte un jour dans ses filets un cochon. L’animal impur des religions musulmanes et juives devient objet de commerce entre des ennemis a priori irréconciliables. Sauf que l’entente fonctionne !

Jusqu’à un certain point, certes. Mais Estibal parvient à pointer une réalité  du Proche Orient très peu montrée : les ressemblances entre les deux peuples. Il construit une galerie de personnages désopilants, et place Jafaar dans un cadre où seul compte l’amélioration de son quotidien, au-delà de toute considération politique. Politique qui, évidemment, n’est jamais loin, dans le film… et dans sa construction. « Au moment du montage financier du projet, explique Sylvain Estibal, j’ai ressenti qu’on ne me prenait pas nécessairement au sérieux, car je n’étais ni israélien, ni palestinien, ni même juif ou arabe ! » Etait-il donc illégitime pour s’emparer de ce sujet parce qu’il n’est pas « de là-bas » ? Doit-on être juif pour souffrir de l’existence de la Shoah ou pour réaliser Le Dictateur, chef d’œuvre de Charlie Chaplin ? Sylvain Estibal, en metteur en scène du burlesque, s’amuse justement à brouiller les pistes, confiant le rôle de Jafaar à Sasson Gabay, star israélienne (on l’a vu notamment en 2007 dans l’excellent La Visite de la fanfare, de l’Israélien Eran Koliris) et celui de la Juive Yelena à la Tunisienne Myriam Tekaïa.

L’ingéniosité du Cochon de Gaza résulte aussi, comme le dit son auteur, de « l’envie de transformer la rage en force comique. » Force comique doublée d’un bel onirisme : « On me dit souvent que je suis un rêveur éveillé… ». Son film lui ressemble, généreux et humaniste, avec un humour qui casse les stéréotypes politiques offerts par certains mélodrames politiques trop discursifs.

 

 

Sarah Elkaïm

Sarah Elkaïm

Sarah Elkaïm est journaliste, Chef de la rubrique Arts & humanitaire de Grotius International. Elle collabore régulièrement à Afrique magazine et à Critikat.com.