Les Israéliens et la question palestinienne : poursuite de l’impasse ou occasion unique pour la gauche de revenir dans le jeu ?

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L’initiative du président palestinien Mahmoud Abbas a eu, sans jeu de mots, l’effet d’une petite bombe diplomatique, depuis plusieurs semaines au sein même des chancelleries et dans le grand échiquier mondial remodelé des relations internationales. Si les Etats-Unis ont à nouveau montré l’occasion d’apporter leur soutien indéfectible à Israël et manifesté leur autisme face à une communauté internationale favorable à la reconnaissance de la Palestine à l’ONU, ils poseront probablement leur veto lors du prochain vote.

En défiant les nouveaux pays émergents que sont la Chine, la Russie par exemple, Washington défiera surtout les presque 150 pays qui sont déjà prêts à soutenir la reconnaissance de la Palestine. Un jour, le monde tournera sûrement sans l’Amérique dont tant prédisent le déclin. En attendant, au delà des USA et des applaudissements du premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de son ministre des Affaires étrangères Avigdor Liebermann au discours de Barack Obama le 22 septembre dernier à la tribune des Nations unies, ce sont les Israéliens qui s’enferment un peu plus encore, contre les Palestiniens d’une part, contre les Arabes en général, mais également contre le monde enfin.

Aujourd’hui, pourtant, ils sont près de 71% à soutenir côté israélien la solution à deux Etats et donc la création de l’Etat palestinien, là où, paradoxalement, seulement 57% des Palestiniens approuvent cette idée (1). On comprend bien que pour les uns et les autres, les conditions d’une telle réalisation sont déterminantes dans leur prise de position. Paradoxaux et rôdés aux crises politiques, les Israéliens continuent à ne pas croire en une paix prochaine. Seulement 25% de la population juive y croit encore selon l’indice de paix établi par l’Israel Democracy Institute de l’institut Guttman (2).

Si on pose la question aux Israéliens juifs sur une échéance de dix ans, ils sont 43%, ce qui reste encore bien moins que la moitié de la population. Il y a tout de même quelques intellectuels de gauche et des pacifistes, où ce qu’il en reste, qui y croient toujours et tentaient encore de rassurer les Israéliens en soutenant la proclamation de l’Etat palestinien, notamment en manifestant le 22 septembre dernier. Ils n’étaient pourtant que quelques milliers de sympathisants.

Un contexte inédit défavorable à Israël

On ne peut pas dire que l’été israélien aura été de tout repos. Il aura même été chaud dans tous les sens du terme. Il n’est pas sûr que l’automne qui arrive procure à Benjamin Netanyahou et à Shimon Perès, le président de l’Etat hébreu davantage de sérénité. La question israélo-palestinienne ressurgit dans un contexte d’isolement diplomatique inédit pour Israël : avec l’Egypte, pourtant en paix avec lui depuis 1978, avec la Syrie prise dans la tourmente depuis plusieurs mois et avec la Turquie, son alliée historique depuis 1958 (3).

Ne serait-ce donc pas  le moment opportun pour les Israéliens de reconnaître l’Etat palestinien, alors que près de 135 pays dans le monde l’ont déjà fait, et de relancer ensuite les négociations directes ? L’inverse est-il encore possible ? Israël en est loin et le ministre de la défense Ehud Barak, qui parlait il y a quelques semaines de « torpille diplomatique » à propos de l’initiative palestinienne à l’ONU, était déjà en train de réaliser la portée de cette dernière alors même que Mahmoud Abbas n’avait pas encore déposé sa demande de reconnaissance d’un Etat palestinien à l’ONU. Les positions des officiels israéliens réfractaires s’étaient radicalisées depuis des semaines et une campagne active israélienne et américaine avait tout tenté pour dissuader les Palestiniens et à leurs soutiens politiques d’aller jusqu’au bout de leur projet.

Le gouvernement israélien avait pourtant d’autres priorités nationales. La grave crise sociale et économique qui ébranle l’Etat hébreu depuis le mois de juillet a donné lieu aux plus grandes manifestations que le pays n’ait jamais connu en 63 années d’existence. Or ce phénomène déstabilisateur pour le pays aggrave la précarité de l’équilibre régional, ce qui complique les relations qu’entretient Israël avec ses voisins.

Voilà qu’après avoir eu à se méfier encore plus de ces derniers et de lui-même, le pays doit faire face dans l’urgence à l’un des plus importants actes d’émancipation politiques que les Palestiniens aient réalisé depuis la création du mouvement national en 1958. Tout cela tombe bien mal pour le gouvernement de coalition de « Bibi » qui risque de finir par se sentir à l’étroit, d’autant qu’aucune concession n’est vraiment envisageable pour lui à l’égard des Palestiniens comme des « indignés » israéliens, s’il veut se maintenir au pouvoir ; et ce, au vu du poids de la droite radicale religieuse et de l’extrême droite nationaliste qui forment sa coalition et le maintiennent en poste.

Les Israéliens et
l’Etat palestinien en général

Une majorité d’Israéliens rejette la création d’un Etat palestinien né sur l’autel des Nations unies même si cette majorité voit l’issue inéluctable ; elle la soutient dans le processus de négociation directe entre Israël et l’autorité palestinienne. En effet, d’après l’Institut israélien de la démocratie, 64% des Israéliens estimaient le mois dernier que les Palestiniens iraient jusqu’au bout de leur démarche. Si en juin et juillet dernier, 67% et 64% avaient jugé que cette décision serait prise à une forte majorité, ils sont aujourd’hui 70% à le croire. Enfin, il est à noter un renversement de tendance intéressant. En mai, 58% des sondés jugeaient qu’Israël ne devait en aucun cas reconnaître l’Etat palestinien issu du vote à l’ONU ; ils ne sont plus que 43% à présent. 51% ont dit croire qu’Israël pouvait se permettre de joindre sa voix à celles qui voteront en faveur de l’Etat palestinien (4).

Pour beaucoup d’Israéliens inquiets, la reconnaissance unilatérale de la Palestine à l’ONU ne fera qu’engager un nouveau cycle de violence. Les colons s’arment, appuyés par Tsahal et, fait nouveau, par la Ligue de Défense juive (5), mouvement interdit en Israël et aux USA mais toléré en France, et qui a envoyé une partie de ses membres pour armer et soutenir les habitants des implantations en cas d’agression. Dans ce genre de situation, sans que l’on ne sache toujours d’où vient le premier coup, l’escalade de la violence peut se faire très rapidement entre les Palestiniens des territoires et les 400 000 colons israéliens qui y résident. Voilà pour la réalité.

En ce qui concerne la perception de la menace par les Israéliens, en mai dernier, selon l’institut Dahaf, ils étaient une large majorité, aussi bien côté juif (70%) qu’ arabe (62%), à penser qu’une déclaration unilatérale d’indépendance de l’Etat palestinien conduirait à une nouvelle Intifada ; et plus grave encore, 58% des juifs israéliens disent que l’Autorité palestinienne encouragerait la violence (6).
La voie directe des négociations dont parle « Bibi » est pourtant à réinterpréter à rebours alors même qu’il reprochait à Mahmoud Abbas sa volonté de « torpiller les négociations » (Haaretz(7). Voilà dix ans que les négociations sont en berne et que se sont tenues les négociations de Camp David II qui ont viré à l’échec. Pire : la seconde Intifada et la construction du Mur ont fait s’éloigner plus encore le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Ce qui est sûr, c’est que le fameux interlocuteur que Ehud Barak, premier ministre d’alors, avait fait disparaître en 2000, dixit Yasser Arafat, le rendant seul responsable de l’échec puis de la violence, semble ressuscité avec Benjamin Netanyhou qui appelle de toutes ses forces Mahmoud Abbas à revenir à la table des négociations.

Quelles sont les différentes positions des Israéliens à l’égard de la proclamation de l’Etat palestinien ? Une fois encore, les voix sont plurielles, et c’est bien là une chance pour la démocratie israélienne dont on craignait qu’elle s’enracine dans la radicalisation pour un siècle, jusqu’à la réémergence récente d’une nouvelle gauche et peut être d’un retour des travaillistes avec une femme à leur tête, Shelly Yacimovitch, la première depuis Golda Meir. Selon des officiels israéliens interrogés par l’International Crisis Group et cités dans leur rapport « Curb your enthousiasm : Israel and Palestine after the UN »(8), le danger pour la paix et la sécurité est bien réel : «Les officiels israéliens sont inquiets des risques de violence qui pourraient survenir fin septembre et début octobre au moment du vote par l’ONU, alors que des manifestations sont déjà prévues en territoire palestinien. » Le président palestinien pourra-t-il étouffer l’embrasement ? « Ramallah a intérêt à prévenir la violence d’un éventuel chaos en Territoire palestinien, comme le fait la sécurité israélienne, qui s’y est préparée même si les mouvements de masse ont des conséquences souvent imprévisibles.»

Quant aux Israéliens sous le feu des sondages quelques semaines avant le dépôt de la demande d’Abbas, ils étaient fatalistes : « Près de 60% des Israéliens pensent que le gouvernement ne devrait pas assouplir sa politique de contestation de l’initiative des Palestiniens. 64% pensent que même si Israêl le faisait, les chances que les Palestiniens n’aillent pas au bout du processus étaient minimes. »(9)

Les Israéliens et l’Etat palestinien
proclamé unilatéralement en particulier

Benjamin Netanyahou déclarait le 9 août 2011 : « La paix se fait à travers des négociations directes entre les deux parties et non à travers un diktat international. J’appelle donc dès maintenant, le président de l’Autorité palestinienne à se rendre à des négociations directes, sans conditions préalables, et à les poursuivre jusqu’à leur finalisation »(10). La société civile est beaucoup plus partagée, y compris au sein même des rangs pacifistes ou des intellectuels historiquement de gauche. Gideon Levy, journaliste au Haaretz déclarait dans l’une de ses tribunes une semaine avant le dépôt de la demande du président palestinien :« Qu’allons nous dire au monde la semaine prochaine à l’ONU ? La vérité va apparaître : Israël ne veut pas d’un État palestinien. Mais les responsables israéliens n’ont aucun argument contre l’établissement et la reconnaissance internationale d’un tel État et ne peuvent démontrer que les Palestiniens ne méritent pas d’avoir leur propre Etat. Même le meilleur orateur ne sera pas capable (…) d’expliquer la logique israélienne »(11).

Quant au fondateur de l’Alternative Information center, Michel Warschawski, il s’oppose farouchement à l’initiative palestinienne contrairement à nombre de militants de gauche :
« Quelle sera la destinée de l’Organisation de Libération de la Palestine, qui, jusqu’à maintenant, était reconnue par la communauté internationale comme l’unique représentante du peuple palestinien et représentait officiellement les Palestiniens dans les organismes de l’ONU ? Remplacer l’OLP par un Etat de Palestine virtuel n’est pas un progrès, mais rejoint un vieux rêve israélien : remplacer la nation palestinienne par la population de Cisjordanie et de Gaza et l’OLP par une direction locale. Jusque récemment, un tel objectif était clairement rejeté par l’ensemble du peuple palestinien, qui se revendique non pas comme une « population occupée », mais comme une nation, possédant un droit inaliénable à l’autodétermination »(12).

Dans les rangs des politiques qui militent aujourd’hui en faveur de la paix et pour la création d’un Etat palestinien à tout prix, il y a Avraham Burg, membre de l’organisation pacifiste Sheikh Jarrah Solidarity Movement, ex-directeur de l’Agence juive et président de la Knesset de 1999 à 2003 et qui déclarait : 
« Le processus de paix a presque vingt ans. Dans son ombre, c’est toute une génération d’Israéliens et de Palestiniens qui ont grandi et perdu leur innocence. La plupart ne croient plus que ce processus débouchera sur un avenir meilleur. La stratégie palestinienne, qui conjugue construction de structures étatiques et souhait de reconnaissance par les Nations unies, ne peut pas se substituer à l’espoir de paix, mais elle est à l’image de ce nouvel esprit qui souffle sur tout le Moyen-Orient. C’est ce nouvel esprit, ce sont ces transformations qui permettront au long processus de paix d’atteindre enfin son but. Un Etat palestinien sera créé. Ce n’est qu’en le reconnaissant, en œuvrant à son acceptation au sein de la famille des nations, que nous nous rapprocherons de ce jour où deux Etats souverains se partageront dans la paix et la prospérité cette étroite bande de terre entre Jourdain et Méditerranée ».

Alors,  si le veto américain est effectif dans les semaines à venir et que les Palestiniens repassent par l’AG des Nations unies pour accéder à leur demande, il reste un espoir pour l’ensemble de la Communauté internationale, de trouver une position commune, à commencer par l’Europe déchirée sur le sujet. Akiva Eldar, éditorialiste et journaliste au Haaretz, analyse plus en profondeur la stratégie palestinienne : 
« Le texte du projet de résolution, que la direction du Fatah a établi, a pour but de permettre aux pays considérés comme « problématique », comme l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la République Tchèque, de prendre le train en marche ou tout au moins de s’abstenir ».

Aurait-on pu éviter l’initiative palestinienne à l’ONU ? Il semble que les Israeliens épargnaient leur gouvernement sur cette question, jusqu’à la crise sociale survenue en juin dernier. Serait-ce le dernier baroud d’honneur pour le gouvernement de droite et d’extrême droite israélien qui fuit un peu plus chaque jour la paix depuis deux ans et demi avec les Palestiniens et qui n’a fait que renforcer l’impasse ? Non.

55% des Juifs disent qu’Israël n’aurait rien pu faire contre la décision de Mahmoud Abbas, et ce même si le gouvernement israélien avait montré une plus grande flexibilité (13). Quant à la suite à donner, ils sont pourtant majoritaires (71%) à penser que pour ces raisons, le gouvernement de Netanyahou « ne reconnaîtra (…) pas l’Etat palestinien déclaré de cette manière. »(14)

Ils sont mêmes plus d’un Israélien sur deux (51%) à penser qu’Israël doit prendre des sanctions contre les Palestiniens et, dans le même temps, près de 70% à reconnaître que si les Nations unies venaient à reconnaître l’Etat palestinien, Israël devrait faire de même. C’est à n’y rien comprendre.

Alors les Israéliens, résignés, transformés, schizophrènes ou toujours prêts à soutenir l’impasse Netanyahou? La dernière idée semble la plus réelle. Preuve en est ce sondage réalisé le 24 septembre dernier par l’institut (15) du Haaretz qui nous informait du soutien (47%) d’un pays à son Premier ministre, et ce quelques jours après que Netanyahou ait fait son discours à la tribune des Nations unies. Un dernier sondage qui posait la question de la légitimité de la colonisation le 5 juin 2009 semblait pourtant y apporter une réponse positive pour la paix: 52% des Israéliens pensaient qu’il fallait geler la colonisation au nom de la paix, 43% s’y opposaient2. Ce que rejette catégoriquement le gouvernement de Netayahou !

Alors les Israéliens, résignés, transformés, schizophrènes ou prêts à tourner la page de l’impasse Netanyahou? Un dernier sondage qui posait la question de la légitimité de la colonisation le 5 juin 2009 semblait pourtant y apporter une réponse positive pour la paix : 52% des Israéliens pensaient qu’il fallait geler la colonisation au nom de la paix, 43% s’y opposaient (16).Ce que rejette catégoriquement le gouvernement de Netayahou !

(1)  Selon un sondage réalisé en juin 201 par l’Institut Harry Truman, consultable à l’adresse : http://truman.huji.ac.il/poll-view.asp?id=325
(2)  http://www.peaceindex.org/indexMonthEng.aspx?num=206
(3)  A qui l’Etat hébreu a refusé des excuses suite à l’attaque de la flottille de la paix en mai 2010 destinée à venir en aide aux Palestiniens de Gaza contraints par le blocus israélien.
(4) http://www.israelvalley.com/news/2011/09/08/33070/israelvalley-le-chiffre-du-jour-un-sondage-de-l-institut-israelien-de-la-democratie-montre-que-tres-massivement-77-les-is. L’Institut israélien de la Démocratie vient de publier son indice du mois d’août. Le sondage a été supervisé par les professeurs Ephraïm Yiar et Tamar Herman. Singularité de ce sondage : les questions portant sur la l’intention palestinienne de solliciter l’ONU quant à la création de leur Etat ont été posées aux seuls israéliens juifs.
(5) http://jssnews.com/2011/09/13/la-ligue-de-defense-juive-envoie-ses-militants-defendre-les-israeliens-de-judee-samarie/
(6) http://www.israelpolicyforum.org/blog/dahaf-institute-poll-majority-israelis-support-obamas-settlement-policy
(7) http://www1.alliancefr.com/netanyahou-accuse-les-palestiniens-de-vouloir-torpiller-le-processus-de-paix-news1430,78,17082.html
(8) http://www.crisisgroup.org/en/regions/middle-east-north-africa/israel-palestine/112-curb-your-enthusiasm-israel-and-palestine-after-the-un.aspx
(9) Rapport de l’ICG cité plus haut.
(10) http://www.jpost.com/DiplomacyAndPolitics/Article.aspx?id=237120
(11) Haaretz, 16 septembre 2011
(12) Communiqué de l’AIC du 11 septembre 2011.
(13) Joint Israelo Palestinian Poll, harry Truman Institute, juin 2011, http://truman.huji.ac.il/polls.asp
(14) Joint Israelo Palestinian Poll, 21 septembre 2011, http://www.pcpsr.org/survey/polls/2011/p41ejoint.html
(15) http://www.haaretz.com/print-edition/news/haaretz-poll-netanyahu-s-popularity-soaring-following-washington-trip-1.364068
(16) http://www.israelpolicyforum.org/blog/dahaf-institute-poll-majority-israelis-support-obamas-settlement-policy

 

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien BOUSSOIS est docteur en sciences politiques, spécialiste de la question israélo-palestinienne et enseignant en relations internationales. Collaborateur scientifique du REPI (Université Libre de Bruxelles) et du Centre Jacques Berque (Rabat), il est par ailleurs fondateur et président du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO) et senior advisor à l’Institut Medea (Bruxelles).